AGEFI Luxembourg - avril 2024

AGEFI Luxembourg 20 Avril 2024 Immobilier Par Dorian RIGAUD, David SYENAVE, Pierre GELENNE et Mark STEVENSON, EY* L ’immobilier figure ac- tuellement parmi les plus grands risques pour le secteur bancaire, à côté de ceux liés aux taux d’intérêt et aux consé- quences des incertitudes économiques et géopoli- tiques, livre JoséManuel Campa, président de l’EBA (EuropeanBankingAutho- rity), dans une interviewdu 18mars dernier (1) . A la suite de la crise immobilière de 2008, le marché immobilier luxembourgeois, grâceà sa renta- bilité attrayante, a très vite été la cible d’investissements massifs. L’augmentation significative des prix dans ce secteur s’explique d’abordpar la forte croissance du secteur financier entraînant une demande de plus en plus forte et également par un contexte de taux d’intérêts bas qui a favorisé l’accès à l’emprunt immobilier. La crise du COVID en 2020 et les confinements successifs ont pro- voqué une désertion des espaces de bureaux. La pratique du télé- travail s’est normalisée, question- nant la nécessité d’espace de bureau aussi vastes. Malgré la fin de la crise sanitaire, ces questions perdurent tant pour exercer les activitésde service,mais aussi sur les valeurs et rendements à atten- dre de l’immobilier commercial. Celan’apas empêché lesbanques luxembourgeoises de continuer à financer le secteur de la promo- tion toujours en plein essor, tant sur l’immobilier neuf résidentiel que commercial. Les crédits ac- cordés aux promoteurs immobi- lierspourlesecteurrésidentielont étémultipliéspardeuxentre2019 et 2021, alors qu’ils ont augmenté de +43% pour l’immobilier com- mercial (2) . Apartirde2022,lahaussedestaux a rapidement stoppé cette crois- sance, entraînant une chute du nombre d’actes notariés pour de l’immobilier neuf de -26,4% en 2022 et de -68,2%en 2023 (3) . Deux facteurs expliquent ce phé- nomène. D’une part, face à la hausse des taux les investisseurs -particuliers et institutionnels- se sont désinté- ressés de payer au prix fort de l’immobilier neuf quand leur charged’emprunt explose. Cela a eupour conséquence directe une baisse générale des prix de vente et particulièrement sur les appar- tements vendus en VEFA (vente en l’état futur d’achèvement), dont le prix moyen au mètre carré adiminué -10,1%sur leder- nier trimestre 2023 (4) . De leur côté, les promoteurs dis- posent d’un stockgrandissant de biens disponibles qui ne trouve pas preneur. Certains préfèrent parfois retirer les biens disponi- bles du marché afin d’éviter des décotes sur le prix de vente et la matérialisation de pertes com- merciales. Ceci rajoute une couche de diffi- cultés supplémentaires à certains promoteurs immobiliers (et les sociétés de construction parte- naires) qui n’ont pas d’autre choix que d’attendre que la situa- tion économique s’améliore et que les tauxd’intérêts diminuent, tout en gérant les prêts qu’ils ont contractés auprès des banques de la place. Les promoteurs se font générale- ment financer l’acquisition du terrain et contractent unprêt-bal- lon à taux variable à moyen terme (5-7 ans) à une ou plu- sieurs banques qu’ils rembour- sent grâce aux réservations faites par les clients-acquéreurs lors de la commercialisationduprojet. Si le nombre de ventes s’essouffle, le promoteur n’est plus en me- sure de rembourser son prêt dans les temps et doit renégocier la durée de son prêt en plus du retard pris dans la construction. Les frais financiers des projets augmentent, la construction doit être financée par ses fonds pro- pres et les prix de vente sont ra- baissés affectant la rentabilité du projet et fragilisant sérieusement la liquidité du promoteur. Par conséquent, les banques font face à plusieurs défis. Alavueducontexteéconomique, les banques ont nettement réduit leur appétit de financer des nou- veaux projets de promotion. Selon les statistiques publiées par la BCL, les nouveaux encours de crédits accordés aux promoteurs immobiliers ont diminué de 33% en 2023 (5) . Les promoteurs étant enmanque de liquidité et les délais de finali- sation étant difficilement attei- gnables à cause des tensions du marché, les banques vont devoir faire face àdes vaguesde refinan- cement et des demandes de pro- rogations dans lesmois à venir et le risque de crédit porté sur ce portefeuille va mécaniquement augmenter. Les projets immobiliers étant fi- nancés via des véhicules d’inves- tissements dédiés et les cautions généralement difficiles à activer en cas de défaut, limitent les re- cours possibles des banques qui s’exposent à une saisie du projet en cours et une possible vente forcée. Ces paramètres doivent être pris en compte dans le calcul du provisionnement des exposi- tions en cas de défaut. De son côté, le régulateur a densi- fié la supervision des banques luxembourgeoises sur leur suivi du risque de crédit lié au secteur immobilier. Cela s’est traduit par l’introduction de nouvelles circu- laires sur le suivi dudélai despro- jets de promotion immobilière, de nouvelles remontées périodiques d’informations et des inspections dédiées à cette thématique. Il les incite fortement à contacter leurs clients promoteurs via des questionnaires de prise de contact périodiques sur des thèmes précis et à collecter des informations fi- nancièresrécentes.L’objectifestde détecter au plus tôt la volonté du client de renégocier les termes de son crédit si des difficultés finan- cières sont à prévoir. Face à la nette augmentation du risquedecréditsurlespromoteurs immobiliers et ses prestataires, le régulateur s’attend à ce que les banques accroissent le suivi indi- viduel des contreparties par des déclassements en «watchlist», voire en défaut. Il s’attend égale- ment à une évaluation plus poin- tue des créances pouvant s’avérer douteuses. Les banques luxembourgeoises, ayant dans leurs comptes encore très peu de créances douteuses et défauts des acteurs de la promo- tion, font face à des contraintes rè- glementaires accrues pour mieux capterlesaugmentationssignifica- tivesdurisquedecréditdesclients endifficultésfinancières.Ellesdoi- vent créer et développer des pro- cédésdedétectiond’alerteprécoce et de gestion de ses expositions non-performantes, dans la conti- nuitédecequiaétédemandépen- dant la criseCOVID. Les méthodologies de provision- nement sont également en train d’évoluer afin de mieux capturer l’effet temps, l’actualisation des flux de trésorerie futurs du débi- teur et les frais supplémentaires liées à une saisie et une vente for- cée. Il ne suffit plus de regarder seulementlavaleurduterrainmis en hypothèquemais également la solvabilité dudébiteur. Les perspectives à court terme sur le secteur de l’immobilier restent négatives avec des taux d’intérêts dont la baisse annoncée par les grandes banques centrales tarde à arriver.Certainsacteursdusecteur sont de plus en plus affectés et la relancedelademandepeineàs’ac- tiver, dans l’attente de mesures gouvernementales concrètes et uneinflationquitardeàtrouverles niveaux attendus par les banques centrales. Les banques luxembourgeoises sont-ellesprêtesàfairefaceauxfu- tures évolutionsde la crisedusec- teur immobilier ? Celles pour lesquelles le risque de concentra- tion sur l’immobilier est fort sont contraintes de revisiter leurs pro- cédures de suivi du risque de cré- dit afin de les adapter aux nou- veaux risques émergents et miser sur la détection des premiers signes de difficultés financières plutôt que de constater l’augmen- tation du risque de crédit lors des premiers impayés. Plusieurssolutionss’offrentmain- tenant à elles. Nous observons un attrait des fonds spécialisés dans le rachat de créancespourlerachatdecréances en défaut ou en difficulté à des banques qui veulent assainir leur bilan et leur stockde provisions. Ellespeuvent également procéder à une restructuration générale de leur portefeuille de crédits, seules oucollectivementafind’adapteret d’harmoniser leurs pratiques aux nouvelles conditions demarché. Enfin, le gouvernement a égale- ment une carte à jouer à court terme pour aider les acteurs pro- fessionnels de l’immobilier et sur le long-terme à travers sa stratégie dedéveloppement du secteur im- mobilier. * Dorian RIGAUD, Partner, Banking and Capital Markets Leader David SYENAVE, Partner, M&A Real Estate Pierre GELENNE, Partner, M&A Real Estate Mark STEVENSON, Manager, CFO services EY Luxembourg 1) José Manuel Campa interview with Handels- blatt: ‘Banks must prepare for a crisis lasting sev- eral years’ | European Banking Authority (europa.eu) 2)Source:BanquecentraleduLuxembourg-Eta- blissementsdecrédit (bcl.lu) –Tableau11.09 3 )Source:Prixdevente-Logement.lu- Ministère du Logement - Luxembourg (public.lu ) - Indica- teur rapide Série C - Statistique des prix de vente desappartements(.xls) 4 )Source:Prixdevente-Logement.lu- Ministère duLogement-Luxembourg (public.lu ) 5)Source:BanquecentraleduLuxembourg-Eta- blissementsdecrédit (bcl.lu) –Tableau11.09 L’étau se resserre sur la promotion immobilière au Luxembourg ©Freepik P our le début d’année 2024, voici les ob- servations faites par atHome.lu pour le secteur immobilier. Les prix de vente annoncés poursuivent leur ajuste- ment, favorisant une reprise des transactions sur le marché.Après de fortes hausses en2023, les loyers se stabilisent,symbolisantlafindureportmassifd’ache- teursverslemarchélocatif.Lestauxd’intérêtbaissent significativement, pour la première fois depuis le début de la crise en 2022. Des taux à moins de 3,5% sont constatés par atHome Finance. Prix de vente annoncés : l’ajustement se poursuit Le marché immobilier du premier trimestre 2024 té- moigne d’un réajustement des prix notable par rap- port au 1 er trimestre 2023. Cette tendance s’étend à toutes les régions luxembourgeoises. Les statistiques indiquentunebaissegénéraledesprixdel’ordrede -9,3% , avec une diminution plus prononcée pour les appartements (-10,1%) comparée à celle desmaisons (-7,7%).Lesprixdansl’ancienetdansleneufévoluent dans lesmêmes proportions. Voici le détail des prix aumètre carré et de leurs évo- lutionsparrégionaupremiertrimestre2024,parrap- port aupremier trimestre 2023 : - Centre : 9512 €/m², subissant une diminution moyenne de -6,7% . Les appartements y connaissent unajustementde-7,5%,tandisquelesmaisonsvoient une baissemodérée de -4,1%. - Nord : 5395 €/m². La baisse atteint -10,5% en moyenne , avec une diminution plus marquée pour les appartements à -11,7% et une réduction pour les maisons de -9,6%. -Sud:6654€/m².Lesprixaffichentuneévolutionde -11,6% . Les appartements subissent une baisse à - 12,9%, tandis que les maisons enregistrent une contractionde -8,2%. -Est:6314€/m²,avecunajustementà-10,3% .Lesap- partements diminuent de -9,0% et les maisons de - 11,2%. - Ouest : 7274 €/m², montrant un ajustement de - 8,7% enmoyenne, avec -9,5%pour les appartements et -7,3%pour lesmaisons. Si l’on analyse à présent l’évolutiondes prix par tri- mestre, on constate que la baisse des prix s’accentue au fil de l’année 2023 pour finalement se stabiliser sur la fin 2023 et le début 2024. Cet ajustement des prix s’associe à un regain d’activité sur le marché immobilier. Avec des prix ajustés, les transactions reprennent. Loyers : +1,7%enmoyenne, mais de nombreuses disparités Le marché locatif affiche une tendance à la stabilisa- tion.Lahaussedesloyers,danssonensemble,asigni- ficativement ralenti au premier trimestre 2024 (la moyennenationalen’augmentant quede+1,7%). Elle symbolise la fin du report massif d’acheteurs vers la location. Cette fois, les acheteurs semblent être de re- tour sur le marché, et se détourner progressivement de la location. Mais cette modération se reflète diffé- remment selon les types de biens : les appartements enregistrent unehaussede +2,5%, tandis que lesmai- sons connaissent une baisse des loyers de -6,2%. Certaines régions marquent encore plus ces diffé- rences:avecparfoisunehaussesoutenuequisepour- suit sur les appartements, et une baisse des loyers assez importante sur lesmaisons. Voici le détail des loyersmoyens et de leur évolution annuelle par région : - Centre : 2101 €, avec une légère augmentation de +0,7% . Les appartements connaissent une hausse de +1,6%, contre une forte baisse pour les maisons à - 9,8%. - Nord : 1462 €, où les loyers montent de +5,1% en moyenne . Les appartements y gagnent +6,0%, alors que les maisons voient une légère diminution de - 1,0%. - Sud : 1581 €, affichant une croissancede +2,9% . Les loyersdesappartementsaugmententde+3,3%,tandis que ceuxdesmaisons diminuent de -3,3%. -Est:1812€,avecunehaussemodéréede+1,9% .Les appartements voient une augmentation notable de +6,3%,encontrasteavecunefortechutepourlesmai- sons à -10,5%. - Ouest : 1932 €, montrant une légère hausse de +2,0% .Lesappartementsconnaissentuneaugmenta- tionmodestede+1,2%,maislesmaisonsrebondissent avec une hausse significative de +6,2%. Enanalysant les évolutions par trimestre, on constate un ralentissement progressif des loyers à partir de la mi-2023, après des croissances à deux chiffres. Au 1 er trimestre 2024, les loyers des appartements au Luxembourg augmentent encore de +2,5%, mais les maisons baissent de -6,2%. Les taux baissent significativement auLuxembourg C’est une très bonne nouvelle sur lemarché immo- bilier en ce début d’année. Les taux avaient triplé en 2022.Aprèsunelonguepériodeoùilsontoscilléentre 4,5%et 5%, ils enregistrent désormais labaisse laplus significative observée depuis le début de la crise sur lemarchéimmobilier. LestauxproposésparatHome Financevarientmaintenantentre3,5%et3,8% selon lesprofilsetlesoffresdesbanques.Certainesbanques fontmêmedesoffrespromotionnellestrèsagressives, descendant sous les 3,5%sur certains dossiers . LesBanquesCentrales et établissementsbancaires au Luxembourg prévoient plusieurs baissent à venir danslesprochainsmois,cequidevraitaccélérerlare- prise dumarché immobilier à l’horizon 2024-2025. Anoter que le passeport énergétique d’unbien im- mobilier est de plus en plus pris en compte dans la définitiondu tauxd’intérêt par les banques : -Lespasseportsénergétiquesélevés(A,B)obtiennent généralement un taux préférentiel par rapport aux autres biens immobiliers sur lemarché - Certaines banques proposent même de diminuer leur taux d’intérêt si les acheteurs s’engagent à entre- prendredestravauxderénovationénergétique,dena- ture à modifier le passeport énergétique du bien immobilier Quelles perspectives pour le marché immobilier en 2024 ? Denombreuxprofessionnelsluxembourgeoiss’accor- dent à dire que 2024 sera une année de transition, avant une véritable reprise courant 2025 . Pour plu- sieurs raisons : - 2024 voit apparaître les premières baisses de taux, attendues au cours du 2 e ou 3 e trimestre. -Lesindicateursmacro-économiques indiquentune légère reprise duPIB, mais unmarché de l’emploi en berne (avec un taux de chômage atteignant 6%selon les prévisions STATEC). -LesincitationsfiscalesproposéesparleGouverne- ment favorisent une reprise anticipée dumarché . Des signes de reprise pour l’immobilier au premier trimestre 2024

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