Agefi Luxembourg - octobre 2025

Octobre 2025 17 AGEFI Luxembourg Wealth management Par Sébastien PAGANO, Directeur FI&FO D epuis plusieurs années, la gestion de patrimoine connaît une profonde transforma- tion, portée par des facteurs à la fois structurels et conjoncturels. L’internationalisation et la complexification des patrimoines L’internationalisation croissante des patrimoines soulève des enjeux juridiques, fiscaux, réglemen- taires et de gestion de plus en plus exigeants. Il devient fré- quent d’accompagner des fa- milles dont les membres résident dans différentes ju- ridictions, structurées viades véhicules transnationaux et dé- tenant des actifs (immobiliers, financiers, participa- tions) répartis sur plusieurs pays, voire continents. Ces patrimoines sont d’ailleurs de plus enplus com- plexes : participations non cotées, essor des actifs illi- quides tels que le private equity, les fonds de capital-risque, les dettes privées, mais aussi à travers des œuvres d’art, des crypto-actifs et des actifs agri- coles.Celaimpliqueunediversificationdesstructures juridiquesutiliséespourleurdétentionetleurprotec- tion. Le rôle du conseiller patrimonial s’étend donc désormais à des domaines de plus en plus variés. Les dynamiques familiales : un enjeu central Lesdynamiques familiales ne cessent d’êtreun sujet sensible : familles recomposées, cohabitations inter- générationnelles du fait de l’allongement de l’espé- rance de vie, divergences de vision entre héritiers, implication variable dans les affaires familiales… Ces réalités exigent une approche plus fine, plus sensible, voire politique, du conseil patrimonial. Le professionnel ne se limite plus à optimiser les placements ; il devient médiateur, voire stratège en gouvernance familiale, capable de réunir et d’ac- compagner lesmembres dans la prise de décisions collectives sur le long terme. Pression réglementaire et complexité administrative De plus, la pression réglementaire s’accentue, gé- nérant une charge administrative importante et imposant aux professionnels de renforcer leurs compétences techniques et leur capacité de coor- dination avec unemultitude d’experts (avocats, no- taires, fiscalistes…). L’évolution des attentes familiales Parallèlement, les attentes des familles évoluent. Elles ne se limitent plus à la recherche de rende- ment, mais souhaitent donner du sens à leur pa- trimoine, créer un impact durable, dans un cadre transparent et avec unmeilleur alignement des in- térêts. Elles attendent à cet effet un accompagne- ment plus global, intégré, proactif et indépendant, capable de répondre à leurs objectifs écono- miques, personnels et familiaux. La gestion patrimoniale moderne doit ainsi inté- grer des logiques multi-expertises, multi-cultu- relles et multi-générationnelles. L’émergence du rôle du Family Officer C’est dans ce contexte que le rôle du family officer s’est affirmé au cours de la dernière décennie. Il est devenuun véritable chef d’orchestre, coordonnant un écosystème complexemêlant notamment fisca- lité, gouvernance familiale, structuration juridique, transmission, philanthropie, art, immobilier, pri- vate equity, tout en protégeant les intérêts fami- liaux sur le long terme. Ce rôle n’est plus un phénomène marginal, mais une tendance forte qui se renforce sur l’ensemble des segments patrimoniaux. Banques privées et Family Offices : des logiques différentes Tandis que dans l’univers historique et institution- nel de la gestion de patrimoine, les logiques d’ac- compagnement sont souvent encadrées, voire restreintes, par des considérations économiques, stratégiques ou organisationnelles. Les dimensions relationnelles et commerciales de ces acteurs ont peu à peu cédé la place à une charge administrative toujours croissante, phénomène accentué par un nombre élevé de clients. Dans ce nouvel écosystème, les family offices atti- rent alors de plus en plus de profils issus de la banque privée — ingénieurs patrimoniaux, ban- quiers privés, gérants-conseils —, dans une transition logique et cohérente avec leur parcours. Toutefois, ce passage ne se résume pas à un simple changement de fonction, mais à un véritable change- ment de paradigme, qui demande par- fois de repenser sa posture, son mode de fonctionnement et d’élargir ses compé- tences. Il implique également d’appréhen- der un modèle économique suivant d’autres logiques. Le passage d’une relation fon- dée sur la mise à disposition d’une offre à une relation d’ac- compagnement sur mesure, centrée sur les besoins réels — parfois implicites — de la famille, demande un travail en profondeur. La relation évolue d’un cadre institu- tionnel vers un partenariat stratégique. Cela néces- site de grandes capacités d’adaptation et d’endos- ser une posture plus entrepreneuriale, dans ununi- vers beaucoup moins normé et moins sécurisant. Il faut savoir faire preuve d’agilité et d’inventivité. Ne pas s’y perdre relève d’un exercice d’équili- briste. Ces structures, souvent à taille humaine, proposent des interactions plus régulières et per- sonnalisées. Cela facilite la satisfaction des besoins spécifiques des familles mais il faut constamment trouver le juste milieu entre personnalisation du service et limites inhérentes à la fonction. Par ailleurs les family offices adoptent parfois une logique financière différente, avec un mode de rémunération transparent, forfaitaire ou à l’hono- raire, loin des commissions de gestion tradition- nelles. Cette approche favorise une orientation vers les résultats tout en exigeant de justifier conti- nuellement la valeur ajoutée apportée. L’élargissement des compétences du Family Officer Ce changement de fonction nécessite inévitable- ment un élargissement significatif des compé- tences. Il faut comprendre et maitriser un éventail très large de domaines variés et souvent com- plexes. Mais au-delà de ces compétences tech- niques, le family officer doit également savoir naviguer dans des sphères plus humaines et stra- tégiques, telles que la gestion des relations fami- liales, la médiation, la philanthropie et l’accom- pagnement intergénérationnel. Il doit aussi comprendre la psychologie familiale, en appréhendant les dynamiques émotionnelles et relationnelles qui influencent les décisions. Cela nécessite de savoir accueillir les préoccupations fa- miliales tout en prenant le recul nécessaire pour rester dans son rôle, sans se laisser emporter par les enjeux personnels des familles, et ainsi garantir une approche équilibrée et professionnelle. Cette polyvalence est primordiale pour offrir un accom- pagnement à la fois global et familial. Le défi des nouvelles technologies Dans un monde en constante évolution, l’un des prochains grands défis sera la rapide montée en puissance des nouvelles technologies digitales, notamment l’intelligence artificielle, toujours plus performantes. Il sera passionnant d’observer com- ment les acteurs de la gestion de patrimoine sau- ront relever ce challenge. Cette évolution, voire révolution, nécessitera sans doute pour certains une remise en question de leurs pratiques afin de continuer à offrir un service à forte valeur ajoutée. Renforcer leur rôle d’intermédiaire humain et stra- tégique pourrait s’avérer une piste essentielle, car cette dimension reste aujourd’hui, plus que jamais, précieuse et irremplaçable. De banquier privé à Family Office : Changement d’approche

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