Agefi Luxembourg - juillet août 2024

Juillet / Août 2024 17 AGEFI Luxembourg Assurances D onnées enmasse, diversités des risques, modèles etmodélisa- tions ; les assureurs ne se sont jamais départi des complexités dumonde. Ils neménagent pas non plus leurs efforts pour s’attaquer aux défis qui définissent l’avenir de nos sociétés. Le secteur doit égale- ment composer avec des consom- mateurs et des citoyens aux attentes toujours gran- dissantes et pour qui l’expérience client est tout aussi importante au- jourd’hui que les sujets sociétaux. Il est donc logique que les opéra- teurs du monde de l’assurance voient dans le potentiel des intelligences artificielles (IA) et de l’IA générative en particulier, une solution quasi miraculeuse. Les assureurs perçoivent bien la capacité potentielle de ces technologies à résoudre la majorité des blocages organisationnels et en tirer des avantages compétitifs. Il est difficile d’admettre que les démonstrations déjàspectaculairesdel’IAgénérativenesontenfait que les prémices de ces technologies. Et pourtant sous-estimer leurs capacités futures, re- vient à sous dimensionner la stratégie à long terme. Le moment venu, ceux qui auront tout miser sur le court terme, n’auront eu que des quick wins comme maigre compensation. Les dirigeants des sociétés d’assurance s’appliquent doncàtrouverl’équilibre:répondreàl’urgencedes’y mettre,réussirl’implémentationdessolutionsdepre- mière génération et s’assurer en parallèle d’une gou- vernance et de contrôles robustes pour faciliter les projets futurs en matière d’intelligences artificielles. Dans la mesure où la réglementation appliquée au secteurdel’assuranceseconstruitégalementaufuret àmesuredans ununivers de complexité, l’aiguillede labalancetendàoscillerentrerisquesetbénéficessans qu’on sache quand elle parviendra à s’immobiliser. Conceptuellement, l’activité d’assurance est faite pouraccueillirlesintelligencesartificielles,puisque dans les cycles clefs, la modernisation et les gains d’efficacité s’entrevoient facilement. Pour l’actuariat et la souscription, c’est l’assimilation, lafiabilisationet le traitement augmentédesdonnées qui permettent d’améliorer la précision et l’efficacité. Ces processus aident les départe- ments souscription et pricing sur des sujets à valeur ajoutée, tels que l’évaluation des risques assurables, les analyses de profitabilité et le benchmarking pro- duits. Dans le cadre de la gestionde sinistres, c’est la chaine entièredenotification jusqu’aurèglement qui se trouve concernée. L’automatisation des process boostés à l’intelligence artificielle adresse à la fois les problématiques de délai de traitement des dossiers et de détection des schémas de fraude. Coté IT, c’est au niveau du risque de cyberattaque et de la protection des données que les renforts des IA s’avèrent prometteurs. L’analyse des opérations en temps réels et le recoupement avec les tactiques usuellesde fraudeurspermettront degérerun risque casse-têtequiseposequotidiennementauxassureurs. SurunenotemoinsspectaculairelesIAvontfluidifier la préparation des reportings réglementaires. Les al- gorithmesontégalementvocationàaméliorerl’inven- taire des opérations sous surveillance, caractériser finement les cas suspects et accélérer les procédures d’alerte.Unecontributionpositivetoutetrouvéedans le domaine de la lutte anti-blanchiment par exemple. Toujoursdansledomainedestechnologiesdel’infor- mation, l’intégration des intelligences artificielles est rêvée comme un remède dans le traitement des ap- plications vieillissantes. Les capacités en matière de générationdecodeentrelangagesdeprogrammation permettront de faciliter lesmises à jour logicielles, les migrations d’infrastructures ou encore la documen- tationdes changements dans les processus et lesmo- dèles de calcul. Dans le quotidien des employés, l’IA générative en particuliervaparticiperàdesaméliorationsàbiendes niveaux : enrichissement etmise à jour des for- mations, suivi des carrières et objectivisation des évaluations, accélération des recherches documentairesetdesconsultationsdetextes de référence ou encore adaptation aux dé- veloppements règlementaires En pratique aujourd’hui, les modèles mixtes représentent l’option confort. Par modèlemixte, on entend la conser- vation de l’implication d’opéra- teurs humains dans le processus opérationnel. Plu- sieurs assureurs pionniers dans l’intégration des IA gé- nérative font ainsi l’essai du copilotage assisté par IAgéné- rative. Ainsi les collaborateurs des sociétés d’assurances ont accès, çà et là, à des «Co-bots» leur apportant des gains de temps dans le traitement des informations ou l’exploitation de res- sourceschiffréesouencoredecontrôledeconformités réglementaires. Quelles tendances pour “l’après” Laquêteultime réside cependant dans l’amélioration del’expérienceclientparlebiaisd’uninterfaçageeffi- cace.Ladigitalisationdesprocessusetlamiseenplace d’applicationsdestinéesauxusagersad’ailleursétéun despremiersmouvementsdanslamodernisationdes assureurs.Seulement,lesconstatsdelenteurs,debugs oudedémarchesquin’aboutissentpasconstituentun réel freinpour les consommateurs. Au pire, l’image demarque de la société d’assurance elle-même pouvait se trouver cruellement associée aux dysfonctionnements d’une interface de déclara- tionde sinistres. L’envied’yrevenirsefaitsurunmodeprécautionneux pour ceux qui s’y sont déjà risqué. On peut aisément les comprendre dans lamesure ou la règlementation globale du secteur ne s’est pas encore penché dema- nièrehomogènesurlaquestion.Pourtantlapromesse des IA génératives est là bien tangible. En faisant le pariquelesassureursnepourrontfaireautrementque les intégrer dans leur chaine de valeur, plusieurs In- surtechintègrentd’ailleursdelaGenAIdansleursso- lutions dédiées utilisateurs. Tantôt pour les analyses de performances de contrats de type épargne, tantôt dans l’accompagnement dans la souscription ou les déclarations de sinistres. Mais aucun n’a encore vraiment franchi le pas de se fier aux solutions IAalors que c’est certainement une démarchequiaurasonlotderécompenseenefficacité opérationnelle.Ellespourraientmêmecontribueràré- soudrelesquestionsderentabilitédecertainsproduits enunitésdecomptenécessitantunepersonnalisation importante. A des horizons que la société espère comme pas trop éloignés, les développements dans les intelligences artificielles vont contribuer à réduire les fameux protection gaps . Liée à l’exploitation de flux de données provenant d’observationsrelevéesparsatellites,ouencoredeme- suresroutéespardescapteurssensorielsavancés,per- mettantdefairetournerdessimulationsàhautniveau de précision, consentiront de proposer des couver- tures d’assurance ciblées et plus complètes. Les pre- mierssuccèsd’insurtechspécialiséesdansl’assurance paramétrique, sont dans ce domaine une belle an- nonce de ce que pourra être l’avenir du secteur. Passer le capdes contraintes L’étude«GenerativeAI in Insurance»publiéeenmai 2024 par EY Parthenon révèle que pour deux tiers desassureursinterrogés,l’incertitudequantaucadre réglementaire est le premier frein à l’investissement dans les solutionsorientées IAgénératives.Unepro- portion d’inquiets qui monte même à 89% pour les activités d’assurance vie. Une opinion qui s’est no- tamment renforcée depuis que le EUArtificial Intel- ligence Act, dont l’essentiel des dispositions doit s’appliquerdanslesdeuxansquiviennent,aclassifié en catégorie «high risk» les opérateurs des branches vie et santé qui utilise des technologies basées sur l’intelligence artificielle. Pilotage a deux vitesses Les domaines d’application dans le secteur des assu- rances étant tellement évidents, il est indéniable que l’intégrationdesintelligencesartificiellesdanslesmo- dèles opérationnels va se généraliser. Les IA généra- tives étant même perçues comme des vecteurs de progrèsetdecroissanceimportants.Auniveaudema- turitéactueldesdifférentestechnologies,lesstratégies observéeschezlesgrandsacteursdel’assurancepren- nent deux voies parallèles, sur une distance toutefois différente.Lapluscourtechercheàassimilerentemps record des solutions innovantes en suivant une ap- proche bottom-up alors que celle de plus long terme estdéfinieenTop-Downdanslastratégied’entreprise en planifiant les ressources et les infrastructures né- cessaires à l’assurance du futur. Brice BULTOT EY Luxembourg Partner, Insurance Leader Emiliano LUZZI EY Luxembourg Partner, Insurance Consulting Leader IntelligencesArtificielles : la fortune des assureurs ? D ’après le rapport sur l’Assurance dommages ( World Property and Casualty Insurance Report 2024 *) du Capgemini Research Institute, les capacités de souscriptiondes as- sureurs sont limitées par des contraintes organisationnelles. Seuls 8%des assureurs enAssu- rance dommages (IARD - Incen- die,Automobile et RisquesDivers) sont considérés comme des «pré- curseurs» enmatière de souscrip- tion, tirant parti de l’IAet de l’automatisationpour prendre des décisions éclairées et évaluer les risques demanière précise et effi- cace. Ces précurseurs obtiennent également unemeilleure collabo- ration entre équipes et une plus grande clarté vis-à-vis des clients enplaçant les souscripteurs au cœur de toutes les décisions. Les défis s’accumulent pour les assureurs enAssurance dommages Tandisquelespressionsinflationnistespè- sentsurlesassurés,ceux-cidemandentde plus en plus à leurs assureurs des primes abordables, claires et transparentes. 42% desassuréstrouventleprocessusdesous- criptionactuelcomplexeetlong.Enoutre, 27%des assurésont changéd’assureur au cours des deux dernières années, à la re- cherche de primes moins chères (60%) et decouverturesplusétendues(53%).Alors que les primes ont augmenté, la souscrip- tion a néanmoins connudes difficultés, et les ratios combinés ont dépassé les 100%. Cela est dû aux catastrophes naturelles, à l’évolutiondesrisquesinhérentsauxinno- vations technologiques, telles que les cy- bermenaces et l’émergence de l’IA générative, et à la complexité règlemen- taire. Les dirigeants du secteur mention- nent des obstacles organisationnels importantsquiaffectentleurcapacitéàsa- tisfairelesclients:unaccèsinsuffisantaux données (54%), des systèmes technolo- giquesdépassés(51%)etlemanquedeta- lents qualifiés (47%). «L’assureur opère aujourd’hui dans l’un des environnements les plus instables de ces dernières années. Le secteur doit faire face à cette volatilité en repensant les conditionsde souscription, déclareAdam Denninger,enchargedusecteurdel’assu- rance chez Capgemini. Il faut pour cela s’éloignerdesmodèlestraditionnelsetmo- derniser les systèmes centraux en dé- ployant des technologies avancées qui permettent de meilleurs résultats et une plus grande transparence. Il est crucial pour le secteur de tirer parti des données etdel’automatisationpermiseparl’IAafin de créer un environnement concurrentiel propice à la rentabilité de la souscription, toutens’adaptantàl’évolutiondesrisques et des comportements des assurés.» La confiance des souscripteurs est essentielle pour bénéficier des avantages des précurseurs 62%desdirigeants reconnaissent que l’IA améliorelaqualitédelasouscriptionetré- duitlafraude.Malgrécesavantages,seuls 43%dessouscripteursfontconfianceetac- ceptent régulièrement les recommanda- tions automatisées des outils d’analyse prédictive d’aide à la décision. Cette hési- tation est due à un sentiment de trop grande complexité (67%) et à des craintes quant à l’intégrité et explicabilitédesdon- nées (59%). Les assureurs peuvent sur- monter ces réticences en impliquant les souscripteurs dès le début dudéveloppe- mentdesmodèlespourobtenirleuradhé- sion,enconservantl’aspect«humaindans la boucle» (Human-In-The-Loop) pour que lesmodèles d’IAsoient explicables et suffisammenttransparents,etenévaluant continuellement les progrès accomplis. Bien que les efforts de certains assureurs semblentprometteursdanscesdomaines, peu d’entre eux font preuve des qualités de«précurseurs» [1] nécessairespourpren- dredes décisions de souscription rapides, impartialesetinnovantes.Fortsdecapaci- tés de souscription avancées, les précur- seurs devraient bénéficier de gains d’efficacité (moins de délais et de dé- penses),deprécision(coûtsdessinistreset détection des fraudes) et d’expérience client(développementcommercialetfidé- lisation des assurés). Le rapport montre que moins de 13% de ces assureurs pré- curseursn’atteignentpaslesobjectifscom- merciaux liés à ces priorités, contre 21 à 36%des assureurs traditionnels. La rationalisationde la souscription commence par l’exploitation approfondie des données Lamajorité(83%)desAssureursenIARD estimentquelesmodèlesprédictifsjouent un rôle essentiel dans l’avenir de la sous- cription,maisseuls27%déclarentqueleur entreprise dispose des capacités avancées en la matière. Pour obtenir des informa- tions fondées sur les données et exploita- bles, il faut d’abord tirer parti d’un écosystème de données sécurisé. Au niveau mondial, 53% des assurés se disent préoccupés par la quantité d’in- formationspersonnelles collectéespar les assureurs. Cependant, près des deux tiersd’entre eux sedisent prêts àpartager davantagededonnées pour obtenir plus de transparence et des tarifspréférentiels, tant qu’ils sont rassurés sur la sécurité des informations partagées. Un tel constat offre la possibilité de généraliser des propositions de réduction des risques et d’améliorer l’assurabilité tout en renforçant l’engagement et la confiance, ce qui se traduira par une meilleure fidélisation des clients. Les assureurs en IARD sont confrontés à undéfimajeurpourrépondreauxattentes deleurssouscripteursquantauxdonnées, car des écarts importants subsistent entre l’importance des différents types de don- néesetlamaturitédesassureursenlama- tière. 49%des souscripteurs accordent de l’importanceauxdonnéesissuesdeclichés pris par des drones, mais très peu d’assu- reurssontenmesuredelestraiteretdeles analyserefficacement.Demême,unsous- cripteur sur deux souhaite disposer de données provenant d’appareils connectés pour obtenir des informations en temps réel sur des biens personnels et commer- ciaux, mais seuls 12% des assureurs sont enmesuredecapturercesdonnéesdema- nière efficace. Le manque de contrôle des données qui en résulte nuit à l’activité principale des assureurs, car 77%d’entre euxn’évaluent pas complètement les risques. En raison du peude données disponibles, 73%des entreprises sont confrontées à une tarifi- cation peu précise, ce qui empêche de couvrir les sinistres correctement et peut, à terme, nuire à leur solvabilité. Par ail- leurs, 70%des assureurs affirment que le manque de cohérence de décisions en matièrede souscriptionconstitueunpro- blèmemajeur. *https://lc.cx/oLZ2Rh [1] Les assureurs «précurseurs» tirent activement parti des technologies de pointe pour fournir des recomman- dations et prendre des décisions en temps réel, fondées sur des données. En intégrant de manière transparente des sources de données tierces et traditionnelles, ces pré- curseursfavorisentunécosystèmecollaboratifquimain- tient les souscripteurs au cœur de l’activité tout en pro- mouvant la transparence avec les clients. Les dirigeants du secteur de l’assurance estiment que l’IA va améliorer la qualité de la souscription et réduire la fraude ©Capgemini

RkJQdWJsaXNoZXIy Nzk5MDI=