Agefi Luxembourg - janvier 2025

AGEFI Luxembourg 16 Janvier 2025 Economie / Banques OPINION - Par Jean MARSIA, président de la Société européenne de défenseAISBL (S€D) E n 1977, RaymondAron a pu- blié Plaidoyer pour l’Europe décadente , (1) pour tenter de convaincre les Français de ne pas soutenir l’Unionde la gauche et Fran- çoisMitterrand. Dans la première partie de l’ouvrage, « L’Europemys- tifiée par le marxisme-léni- nisme », (2) Aron a voulu contrer la soumissionà cette doctrine d’une très grande partie de l’intelligentsia de l’époque. Depuis lors, il est devenu patent que le capita- lismenes’estpasauto-détruitet quelemarxismen’apassupprimé les conflits : les très durs combats entre la Chine de Mao et l’URSS, puis avec le Vietnam, l’ont prouvé.Pourconclurecettepartie,AroncitaitAlexan- dreSoljenitsyne : «Lemarxismeest tombé si basqu’il est devenu simplement unobjet demépris ». Dans la deuxième partie, « L’Europe inconsciente de sasupériorité», (3) Arondécrivaitl’Europeoccidentale, qui s’était réconciliée après des siècles de guerre, qui effaçaitlesfrontières,quiavaitabandonnésesempires coloniaux, qui affichait une insolente prospérité, qui s’étaitintégréedanslemarchémondiallibéral,quiga- rantissaitlalibertépourtousetpromouvaitl’enrichis- sement moins inégalement réparti, mais où le keynésianisme, source d’un quart de siècle miracu- leux, semblait inapte à la sortir de la stagflation. La crise polymorphe que celle-ci a provoqué pouvait selon Aron « être la preuve de la constante vitalité d’une civilisation qui progresse en se critiquant, ou êtrelerévélateurdel’épuisementdessociétésquicrai- gnent l’avenir et ne font plus assez d’enfants. » « La supériorité de l’Europe, [Aron l’a] « cherchée là oùbeaucoupse[refusaient]àlavoir:dansl’économie, enfaitdeproductivitéetd’efficacité.Non[qu’il]tienne l’indice [de productivité] globale pour l’indice de la qualitéd’une sociétéoud’une civilisation.Mais la su- périorité occidentale en fait de liberté ou de joie de vivre, seuls les espritsprisonniersdu fanatismeoude préjugés peuvent la mettre en doute. Il fallait une étrange méconnaissance de l’histoire pour imaginer que les régimes que nous appelons démocratiques, fondéssurlaconcurrenceentrelespartis,lestatutlégal de l’opposition et la mise en cause permanente de la [majorité au] pouvoir représentent ou bien l’aboutis- sementnécessaireoubienlemodenormaldegouver- nement.Toutaucontraire:c’estentantqu’œuvrerare, précieuse, exceptionnellede l’art politique que ces ré- gimesméritentd’êtresauvés,fût-cecontrelaforcedes choses, par la volonté des hommes. » Dans la troisième partie, « L’Europe victime d’elle- même », (4) Aron « [rappelle qu’à partir de l’automne 1973, les] économies dumonde occidental [ont souf- fert] toutes enmêmetempsd’uneinflationdont le taux moyen (15%) dépassait le taux jamais observé en temps de paix. L’augmentation brutale du prix des hydrocarbures répandit une grande peur, celle d’une pénurie de l’énergie et desmatières premières faute des- quelles la machine industrielle cesserait de tourner. En réponse, [les] gouvernements adoptèrent,unefoisdeplustousensemble,une politiquededéflation.Unerécession,affectant l’économiemondiale,enrésultanatu- rellement. Probablement cette ré- cession n’aurait-elle pas frappé l’opinionautantqu’ellelefitsielle n’avait pas succédé à la critique sociale et culturelle des années 1960. [La] littérature sociologique ou journalistique [a] popularisé [trois] thèmes : [écologique, néo- malthusien et anti-productiviste]. [Lacritiqueécologiqueaccusel’industrie de dévaster la nature]. Avec des arguments nou- veauxetsouventvalables,l’acted’accusationreprend celui des conservateurs ou des contre-révolution- naires qui détestaient la technique et ses laideurs, les machinesetleursartifices,larupturedulienentreles hommes et leurmilieu originel. » « [La critiquenéo-malthusienne remonte à la révolu- tionindustrielled’Angleterre,qu’accompagnauneré- volution démographique. Elle a eu un regain de succès avec] le premier rapport du Club de Rome – modèle presque parfait de la pseudo-science et de la pseudo-rigueur - [qui] obtint un immense succès. Jouantaveccinq (5) variables,sanspréciserlesrapports postulés entre eux, il prétendait démontrer que la croissance « sauvage » - croissance de la population, delaconsommationderessourcesnonrenouvelables etdesproduitsagricoles–conduisaitinexorablement à des impossibilités physiques. L’embargo tempo- raire sur les exportations de pétrole à destination de certains États, le quadruplement du prix des hydro- carbures [n’ont] strictement rien [eu] de commun avec les prévisions ou plutôt les visions du Club de Rome. (6) Inévitablement, une confusion se produisit, dans l’esprit dupublic, entre lapénurie éventuellede ressourcesnonrenouvelablesetlachertésoudainede l’énergie. L’action efficace d’un cartel devint la son- nette d’alarme, le signe avant-coureur d’une catas- trophe apocalyptique – à moins d’un changement d’allure oude direction : terreur de l’an 2000. [La critique du] productivisme – dont le prétendu culte de la croissance ne représente qu’un avatar - [n’est pas neuve : il] n’a jamais bénéficié, enOccident, d’un assentiment unanime. Il subit toujours les as- sautsdesnostalgiquesdupassé,deceuxquel’onap- pellera indifféremment traditionalistes ou romantiques,arrière-neveuxdeJ.-J.Rousseauoudes contre-révolutionnaires. La critique idéologique ou existentielledelasociétéindustrielleprolongeuncou- rant de pensée qui remonte au moins à la fin du XVIII ème siècle.[Enréalité]ondécouvritnonleslimites de la croissancemais les limitesdesbienfaitsque l’on pouvaitenespérer.Celle-cinesuffitpasàtransformer l’ordre établi ; la société se reproduit elle-même, les écartsderémunération,deprestige,depouvoir,entre les classes ou les individus demeurent, pour l’essen- tiel,cequ’ilsétaient.Mêmel’élévationgénéraleduni- veau d’instruction ne modifie que lentement les chances respectives de promotion des jeunes, issus desdiversesclassessociales.Bienplus,laconcurrence pour les places et les privilèges se fait deplus enplus âpre ; la comparaison envieuse du niveau de vie dé- chaîne une course sans fin qu’aucun groupe ne par- vient à gagner. La crise, au sens de critique oud’autocritique, [paraît àAron] typique de la civilisation occidentale.Acette perpétuelle remise en question, celle-ci doit son ori- ginalité et, au cours des siècles, sa force créatrice. La séparationdupouvoir temporel et dupouvoir spiri- tuel empêcha la sacralisation d’institutions éphé- mères, elle entretint l’inquiétude, elle anima la quête d’un accord entre les vertus auxquelles prétendent tous les régimes et celles, plus modestes, auxquelles ils accèdent. Ni la récession, ni la stagflation, ni l’ébranlement de l’Égliseetdel’universitén’impliquentoun’annoncent un déclin, économique ou moral, de l’Europe occi- dentale. [Mais grandeur] et fragilité ne se séparent pas : les régimes de l’Occident payent le libéralisme par l’instabilité, par la complexité de l’organisation, par des crises. Nous n’envions certes pas la façade polie des despotismes bureaucratiques ; nous vou- drions sauver la liberté d’elle-même. Il dépend des Européens que la crise demeure un incident de parcours et ne devienne pas une étape du déclin. [Aron rappelle] la contradiction interne aux régimes quenousappelonsdémocratiques:lepouvoirrésulte de la rivalité entre des partis qui visent des objectifs différents et parfois incompatibles ; les constitutions n’interdisentpasauxpartisqui,éventuellement,sup- primeraient la compétition, de participer à celle-ci. [Au-delà]delacontradictionpropreaurégimeplura- listequitolèrel’actiondespartishostilesaupluralisme, beaucoupseposentunequestiondeplusvasteportée. Les sociétés démocratico-libérales sont-elles encore gouvernables ? [Pour y répondre, Aron rappelle que lepluralisme]cen’estpas essentiellement laconcurrence des partis, c’est le refus de l’unanimité factice, du conformisme intellectuel imposé par une idéologie, incarnée dans un parti ou dans un homme, principe toutàlafoisdefanatismeetdescepticisme.[Ilconstate que « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » peut servir de fondement à la terreur,mais que ladé- mocratie doit pouvoir se défendre. Elle] tend à créer un pouvoir légitime, appuyé sur le consentement de la majorité, grâce à des procédures électorales. Elle suppose un consensus sur le régime, sinon sur la po- litique que les gouvernants devraientmener. » Aprèslaparutiondu Plaidoyerpourl’Europedécadente , des Européens ont veillé à ce que la crise née en 1973 demeureun incident deparcours et nedeviennepas une étape du déclin. Grâce à cela, nous avons pu as- sister à la chute de mur de Berlin et à l’implosion de l’Union soviétique. L’Europe occidentale a produit l’Acte unique européen, la zone Schengen et lamon- naie unique. L’OTAN et l’Union européenne se sont élargies à l’Europe centrale et orientale, mais les Eu- ropéensontnégligéd’approfondirlaconstructioneu- ropéenne par la mise en place de la Fédération annoncéeparSchumanle9mai1950.Laconséquence en est la fragilisation de l’euro et le déclassement de l’Europemis en évidence par les rapports Letta, Dra- ghi et Niinistö. Si ceux-ci ne sont pas suivis d’actions correctrices de la trajectoire actuelle, l’Europe risque fort d’aller encore unpas plus loinvers sondéclin. Mais, comme Aron l’a écrit, p. 454, « L’histoire des peuplesnesedéroulepasenlignedroite,surunesur- face plane ; un peuple s’affirme en surmontant les épreuves que lui réservent ses échecs aussi bien que succès, il progresse de crise en crise. » Espéronsqu’en2025,quelquesgouvernantsd’Europe aient enfin le courage de fédérer leurs États. Pour les yaider,qu’ilsserappellentcequeAronécrivait,p.457: «Lacivilisationdejouissancesecondamneelle-même àmort lorsqu’elle se désintéresse de l’avenir. ». Qui s’intéresse à l’avenir envisage les besoins de for- mation.Aron a rappelé, pp. 446-447, ce qu’avait écrit Joseph Schumpeter. « [Il jugeait que] ce qui crée le contextesocialàlafaveurduquelprospèrel’économie libérale,[ce]sontlessurvivancesdel’AncienRégime, d’un ordre social fondé sur des attitudes et des convictionsradicalementdistinctesdecellesdesmar- chands, des entrepreneurs et des économistes. Ni la rechercheduprofit,nilecalculutilitairenedonneront aux fonctionnaires, aux inspecteurs de police ou de finances, la moralité nécessaire à leur fonction. Dés- intéressement, sacrifice de la vie, dévouement à la chose publique sans autre sanction que la bonne conscience, toutes ces vertus appartiennent àununi- versdetradition,ellessemblentétrangèresauxmotifs des acteurs typiques de la civilisationmoderne, qu’il s’agisse du désir de jouir, propre au consommateur, oude l’ambition prométhéenne des producteurs. » Schumpetern’apas toujours euraison : il prévoyait la victoire du communisme sur le libéralisme. Je peux témoignerqu’ilestparfaitementpossiblededispenser desformationsquiinculquentdesconnaissances,des aptitudes et des attitudes, conciliant le maintien des traditionsvisantàpromouvoirlesoucidel’intérêtgé- néral et l’esprit d’équipe, tout en étant compatibles avecnotre époqueque certainsqualifient depostmo- derne. C’est ce que font les écoles militaires, notam- ment.C’estcequefontaussicertaineshautesécolesde commerce, car dans le secteur marchand également, beaucoup dépend de l’établissement de relations de confiance et la cupidité n’est pas propice à cela. 1)RaymondAron, Plaidoyerpour l’Europedécadente ,Paris,Édi- tionsRobertLaffont,1977. 2)Idem,p.31-153. 3)Idem,p.155-308. 4)Idem,p.309-457. 5)Population,nourriture,productionindustrielle,ressources nonrenouvelables,pollution. 6)Ilsétaientunedesconséquencesdelaguerreisraélo-arabede 1973,ditedu«YomKippour». Plaidoyer bis pour l’Europe décadente ! R approcher le Parlement des citoyens, le rendre plus ou- vert et plus accessible» - voici le principal objectif des réor- ganisations du travail parlemen- taire qui sont en cours à la Chambre desDéputés. C’est ce qu’a expliqué le président de laCham- bre desDéputés lors de la tradition- nelle réceptiondeNouvelAn. Le lundi 6 janvier, le président Claude Wiseler et le secrétaire général Laurent Scheeck ont saisi l’opportunité de retra- cer les réformes entamées en 2024, pre- mière année marquée par une nouvelle majorité politique, et d’exposer les pers- pectives pour l’année 2025 qui poursui- vent le but de rendre le travail parlemen- taire plus efficace. Le travail parlementaire a évolué, le cadre dans lequel il se fait doit s’adapter en permanence, a constaté d’emblée le président de la Chambre. Ce travail requiert plus de transparence, plus de compétence technique ainsi qu’une pré- sence accrue au niveau européen et international. «L’instrument qu’est le Parlement devient de plus en plus efficace» a affirmé Claude Wiseler. «Aux députés de s’en saisir pour remplir leur mandat au service des citoyens.ؘ» Actuellement, plus de 100 projets de modernisation sont en cours à la Chambre des Députés. Le président de la Chambre a énuméré un certain nom- bre de transformations en cours comme la retransmission de cinq commissions parlementaires depuis avril dernier, l’adaptation des temps de parole en séance publique dans le but de rendre les débats plus percutants ou encore une réorganisation du calendrier parle- mentaire. À partir de ce mois de janvier 2025, la Chambre fonctionnera alors avec des «semaines réservées» à l’instar de la pra- tique du Parlement européen. L'objectif est de libérer de l’espace pour un plus grand nombre de débats et le travail en commission parlementaire. Ce système créeunealternanceentredessemainesde séancespubliques,quiaurontlieualorsle matin et l’après-midi, et des semaines consacrées aux travaux en commission. Chaque commission se réunit pendant une plage fixe qui lui est réservée. Autre nouveauté, à partir de cette année, la comptabilité de la Chambre des Députés sera contrôlée par la Cour des comptes. Celle des groupes et sensibilités politiques suivra en 2026. Les vœux étaient également l'occasion pour le président de la Chambre de par- tager des inquiétudes sur l'adhésion des citoyens - et surtout des jeunes - au fonc- tionnement de ladémocratieouàunsys- tème démocratique tout court. «La démocratie est souspression, à l’étranger, mais également au Luxembourg» a-t-il affirmé en se basant sur des études récentesd'Eurobaromètre et dePolindex. Le Parlement a un rôle important à jouer, selon Claude Wiseler. «Le Parlement doit être l'endroit de confron- tationdes idées, d'une confrontation res- pectueuse qui peut aboutir à un com- promis. Le Parlement doit également être l'endroit où les citoyens se sentent représentés et où les sujets qui les préoc- cupent sont débattus. Ce débat doit même avoir lieu avant qu'une problé- matique devienne pressante pour la vie de tous les jours» a expliqué le président de la Chambre. «À un moment où la confiance dans les institutions démocratiques comme la Chambre est une question d'avenir, la transparenceetlaresponsabilitésontplus qu'unenormalité»acomplétélesecrétaire général de laChambre, Laurent Scheeck. Le chef de l'Administration parlemen- taire a retracé les travauxmenés aucours de l'année écoulée concernant par exem- ple la transitiondigitale. L'administration au service de la première institution du pays compte 168 agents répartis dans 17 services. En 2025, un nouveau service a vu le jour - il se consacre à l'histoire par- lementaire. La réception de Nouvel An est le rendez- voustraditionneldébutjanvierlorsduquel le président de la Chambre présente ses vœux aux multiples acteurs en relation avec le Parlement national : le Premier ministre Luc Frieden et la ministre en chargedesrelationsaveclegouvernement ElisabethMargue,auxreprésentantsdela magistrature, du Conseil d’État et du Service central de législation (SCL), à la presse, aux représentantsdesorganes rat- tachés au Parlement comme l’Ombudsman, l'Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher ou la Cour des comptes, aux partenaires de la Chambre comme le Zentrum fir politesch Bildung et aux col- laborateursdesgroupesetsensibilitéspoli- tiquesetdel’administrationparlementaire. Source : Chambre des Députés Cap sur 2025 : quelles nouveautés pour laChambre des Députés ? ©ChambredesDéputés «

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