Agefi Luxembourg - janvier 2025
AGEFI Luxembourg 14 Janvier 2025 Economie / Banques La croissance mondiale dépend fortement de l’esprit dépensier des ménages américains A l'aube de l'investiture de Donald Trump comme 47 ème président des États- Unis, la croissance mondiale dé- pend plus que jamais de l’esprit dépensier des ménages améri- cains. Néanmoins, ces derniers bé- néficient d’un soutien fiscal inégalé depuis des années sans lequel ils ne pourraient guère assumer le rôle de consommateurs en dernier ressort. Ceci écri- vent Guy Wagner (cf. por- trait) et son équipe dans leur dernier rapport d’ana- lyse sur les marchés finan- ciers, les «Highlights». «Le soutien fiscal au consomma- teur américain se traduit par des finances publiques en lambeaux, et ce quelques jours avant le retour à la Maison Blanche d’un président peu enclin à lamodération», dit GuyWagner, chief in- vestment officer (CIO) de la société de gestion BLI - Banque de Luxembourg Investments. «Dans la zone euro, la faiblesse de l‘activité économique s’accompagne d’instabilité poli- tique dans de nombreux pays, compliquant la prise de mesures efficaces capables de rétablir la croissance.» En Chine, la bulle immobilière fut d’une telle ampleur que les nombreuses mesures de soutien public prises durant le quatrième trimestre vont produire des effets favorables avec une certaine lenteur. Au Japon, la poursuite d’une croissance positive des salaires en termes réels est primordiale pour le maintien d’une dynamique conjoncturelle fa- vorable. L’inflation tend à stagner Après le recul signifi- catif au cours des deux dernières années, l’in- flation, notamment celle excluant l’énergie et l’ali- mentation, tend à stagner. Ainsi, aux États-Unis, le taux d’inflation global a augmenté de 2,6% en octobre à 2,7% en novembre. Le déflateur des dépenses de con- sommation hors énergie et alimentation, qui constitue l’indicateur de prix favori de la Réserve fédérale, est resté stable. Dans la zone euro, le taux d’inflation global est remonté de 2,2% en novembre à 2,4% en décembre. Le taux d’inflation excluant l’énergie et l’alimentation est également resté inchangé. Aux États-Unis, seules deux baisses de taux sont attendues en 2025 Conformément aux attentes, la Réserve fédérale américaine a abaissé son principal taux directeur de 25 points de base lors de sa dernière réunion de 2024. Pour cette année-ci, les membres du comité monétaire ne prévoient plus que deux baisses de taux, «étant donné que tant l’inflation que le marché de l’emploi s’avèrent plus résilients que prévu jusqu’ici», souligne l’é- conomiste luxembourgeois. Dans la zone euro, la banque centrale eu- ropéenne a également réduit le taux de dépôt de 25 points de base comme prévu lors de la réu- nion de décembre. En raison de la faible crois- sance en zone euro, les taux d’intérêt pourraient continuer à baisser au cours de cette année. Les taux d’intérêt à long terme terminent 2024 vers les niveaux les plus hauts atteints en cours d’année Aux États-Unis, la résilience tant au niveau de la croissance que de l’inflation a fait remonter les taux d’intérêt à long terme vers les niveaux les plus hauts atteints en cours d’année. Ainsi, le ren- dement à échéance du bon du Trésor US à 10 ans a augmenté considérablement. «En Europe, les rendements obligataires ont suivi la tendance de leurs homologues américains malgré une activ- ité conjoncturelle nettement plus faible.» Le taux de référence à 10 ans a progressé en Allemagne, France, Italie et Espagne. Sur l’ensemble de 2024, l’indice ‘JP Morgan EMU Government Bond Index’ affiche une progression de 1,8%. Les indices actions ont enregistré des gains significatifs pour la deuxième année consécutive Après un mois de novembre euphorique, les marchés boursiers ont consolidé leurs gains en décembre pour terminer l’année en douceur. «Sur l’ensemble de 2024, la plupart des indices actions ont toutefois enregistré des gains signi- ficatifs, et ce pour la deuxième fois consécutive.» Ainsi, l’indice des actions mondiales MSCI All Country World Index Net Total Return exprimé en euros a légèrement reculé en décembre pour finir l’année avec une progression totale de 25,3%. Au niveau régional, le S&P 500 aux États- Unis a reculé de 2,5% (en USD) sur le mois, le Stoxx 600 Europe de 0,5% (en EUR) et l’indice MSCI Emerging Markets de 0,5% (en USD). Seul le Topix au Japon, soutenu par la faiblesse du yen, a progressé de 3,9% (en JPY). «Au niveau sectoriel, les services de communi- cation, la consommation discrétionnaire et la technologie ont affiché les meilleures perfor- mances mensuelles alors que l’énergie, l’immo- bilier et les matériaux ont enregistré des évolutions négatives», conclut Guy Wagner. Par Carlo THELEN, directeur de la Chambre de Commerce * C rise. Depuis 2020, on pro- nonce ce mot tous les jours. Crise sanitaire, crise géopoli- tique, crise sur les chaines d’approvi- sionnement, crise énergétique, crise inflationniste, crise du logement… Nous avons traversé tellement de crises interconnectées que le terme de «poly- crise» a été évoqué. Une crise, par définition, c’est un événement ponctuel, avec un début et une fin. Sommes-nous encore réelle- ment dans cette situation ? Et si nous admettions que désor- mais, nous n’avons plus à affronter une simple crise temporaire, mais des instabilités multiples qui semblent s’ancrer dura- blement sur plusieurs fronts ? Historiquement, des crises et instabilités se succédaient déjà aupa- ravant, mais désormais leurs effets et impacts col- latéraux sont de plus en plus interconnectés et visibles à une échelle plus vaste, voire globale. Sur le front géopolitique, tout d’abord. En février, cela fera trois ans que la Russie a lancé son agres- sion militaire en Ukraine, provoquant un drame humain et des conséquences économiques ma- jeures en Europe et dans le monde. Non seule- ment le conflit s’éternise, mais il a aussi bouleversé les rapports de force. L’envoi de soldats nord-coréens sur le front russo- ukrainien est un exemple. De nouvelles alliances géopolitiques émergent, de nouveaux intérêts ap- paraissent. D’autres zones de tensions géopoli- tiques constituent des vecteurs de déstabilisation : le conflit israélo palestinien, la situation en Syrie, les tensions en la Mer de Chine ou encore des drames humains suite aux flux migratoires. Sur le front démographique, ensuite. Sous l’effet de l’allongement de l’espérance de vie et de l’ef- fondrement de la natalité, certaines régions du monde vieillissent. Ce phénomène, nous le connaissons bien en Europe. En 2100, la popula- tion en âge de travailler (15-64 ans) ne représen- tera plus que 54,8%de la population totale, contre 64,1% en 2021. Mais le vieillissement est encore plus rapide et spectaculaire en Chine. Dans «l’usine du monde», la population âgée de 25 à 64 ans devrait passer de 800 millions d’indi- vidus en 2025 à moins de 300 millions en 2100. Pendant ce temps, le continent africain, lui, connaîtra une véritable explosion démogra- phique, passant de 1,5milliard à 3,8milliards [1] de personnes. Ces dynamiques, porteuses d’instabi- lités futures, nous invitent à repenser nos modèles de production, nos mécanismes sociaux, la nature de nos échanges internatio- naux et nos politiques migratoires et d’intégration. Sur le front environnemental, évidem- ment. Le changement climatique pro- duit chaque année de nouvelles catastrophes, entraînant des migrations, des crises humanitaires, et générant de nou- velles inégalités sociales ainsi que des ten- sions sur les ressources naturelles. Pourtant, la coopération politique internationale et la coordina- tion des mesures pour limiter nos émissions de CO2 et ainsi freiner le réchauffement pla- nétaire, semblent bien vulnéra- bles et les efforts afférents sont mal répartis à l’échelle globale. A ce titre, le retour au pouvoir de Donald Trump, qui avait déjà dé- noncé l’Accord de Paris en 2017, n’est pas porteur d’espoir d’amélioration. Quant à l’énergie, ressource indispensable pour le déve- loppement de son industrie, l’Europe est particu- lièrement mal engagée au niveau de l’accès à l’énergie à un prix compétitif, positionnant les en- treprises (mais également les citoyens) du vieux continent dans une situation délicate. Sur le front économique et financier, bien sûr. Le commerce mondial en a été bouleversé et consi- dérablement ralenti avec un découplage entre le PIBmondial et le volume des échanges commer- ciaux observé depuis 2022. Les marchés finan- ciers semblent avoir «intégré» ces instabilités depuis le choc de la crise sanitaire. Les États-Unis profitent de l’euphorie spéculative des marchés financiers devant les perspectives de croissance du secteur de la Tech [2] . Reste à voir comment les annonces du futur pré- sident Trump en matière de nouveaux tarifs douaniers impacteront le commerce international. L’Europe subit de plein fouet la perte de compé- titivité de son industrie (liée, entre autres, à un re- tard en matière d’innovation et aux choix politiques erronés enmatière de production éner- gétique). La Chine laisse apparaître des signes de doute par rapport à la viabilité de son modèle de croissance, en raison notamment de ses surcapa- cités de production et du nombre élevé d’entre- prises déficitaires ou non rentables dans le secteur industriel (28% des entreprises en 2023 [3] ). Les turbulences politiquesmenacent l’Europe Dans ce contexte d’instabilité et de complexité, les populismes prospèrent et gagnent du terrain par- tout dans le monde. S’y ajoutent les crises poli- tiques qui frappent la France et l’Allemagne.Alors que l’Europe a besoin d’une relance politique, éco- nomique et en matière d’énergie ambitieuse, ces situations de blocage l’affaiblissent considérable- ment au pire moment : la croissance de la zone euro ne devrait pas dépasser les 0,8% en 2024 et 1,3% en 2025 selon le FMI, bien loin des niveaux anticipés aux États-Unis (2,8% en 2024 et 2,2% en 2025). Quand le sol tremble et que l’instabilité règne, il faut avancer en fixant une ligne d’horizon. A l’échelle européenne, cette ligne est claire : c’est la restauration de la compétitivité qui est le vecteur principal des rapports Draghi et Letta. A l’échelle nationale, l’action du Gouvernement doit s’inscrire dans cette dynamique, car nos per- formances économiques et notre position dans les classements internationaux sur la compétitivité et en termes de rentabilité et de productivité sont décevantes. Le STATEC estime désormais que la croissance du PIB luxembourgeois devrait se li- miter à 0,5% en 2024, bien en-dessous de sa pré- cédente estimation qui était de 1,5%. Le STATEC a également revu à la baisse sa prévi- sion de croissance pour 2025 de 2,7%à 2,5%. Cette croissance plus faible qu’attendue aura inévitable- ment des conséquences sur l’emploi, les finances publiques et les soldes de la Sécurité sociale. Un certain nombre d’orientations positives ont déjà été prises par le Gouvernement pour relancer l’économie et redresser notre compétitivité et il est primordial de poursuivre dans cette direction, avec une cadence accélérée en 2025. Renforcer nos capacités de transformation L’enjeu ? Nous protéger face aux menaces que re- présentent un environnement marqué par toutes sortes d’instabilités. Dans ce contexte, il faut ren- forcer notre modèle d’affaires et accélérer la di- versification économique pour soutenir cet effort de résilience. Premièrement, par un soutien continu à l’inno- vation, qui peut renforcer nos capacités de trans- formation en tant que principal vecteur de productivité et de rentabilité pour nos entre- prises. En effet, comme nous l’a enseigné Schum- peter, «le développement économique ne se fait pas par accumulation de capital, mais par l’in- novation». Ce soutien est d’autant plus crucial à l’heure où il nous faut réussir l’implémentation de l’intelligence artificielle (IA) dans notre éco- nomie. L’IA constitue en effet une immense op- portunité de diversification économique, au même titre que la défense, en cohérence avec nos engagements vis-à-vis de l’OTAN. Deuxièmement, par le déploiement de la simpli- fication administrative. L’activité de nos entre- prises est encore entravée par des lourdeurs bureaucratiques qui pèsent sur les coûts et la ca- pacité à investir et à recruter. La Chambre de Commerce a lancé une large consultation sur le terrain, au plus proche des entreprises, qui abou- tira à des propositions très concrètes qui seront re- mises auGouvernement en 2025. Espérons que les premières annonces de la nouvelle Commission européenne de réguler moins et mieux seront sui- vies d’actions de simplification concrètes en faveur des citoyens et des entreprises européens. Troisièmement, par la soutenabilitéde sa croissance, en restant attractif pour les frontaliers et endévelop- pant denouvelles stratégiesd’attractiond’unemain- d’œuvre venant de pays européens et d’autres régions également. Pour cela, il faudra construire davantage de logements et améliorer les infrastruc- tures de mobilité qui connectent le Luxembourg avec les territoires de son airemétropolitaine trans- frontalière. La stagnation, voire la régression, du nombrede travailleurs frontaliers belges (+0,22%sur un an au 2 e trimestre 2024 [4] ) et allemands (-0,04%) doit nous alerter et nous inciter à agir. Fiabilité et agilité : sources de confiance et d’attrait du Grand-Duché Dans l’environnement incertain actuel, le Luxem- bourg peut se prévaloir d’une stabilité politique qui confère une certaine prévisibilité aux acteurs socio-économiques. Par ailleurs, l’écosystème en- trepreneurial et financier se caractérise par une relative fiabilité et agilité au niveau international, ce qui confère un atout au pays par rapport aux voisins directs. Seuls neuf pays au monde bénéficient encore de la note maximale de la part des trois principales agences de notation (Moody’s, S&P et Fitch). C’est un cercle de plus en plus fermé au sein duquel le Grand-Duché doit conserver sa place. Les orien- tations budgétaires du Gouvernement y contri- bueront à court terme. Mais sur le long terme, sans réformes et en l’absence de transformations efficaces, la trajectoire de nos dépenses sociales deviendra clairement insoutenable et compro- mettra la confiance des investisseurs. Le Gouver- nement a engagé une concertation sur l’avenir de notre système de pensions. Sur ce point, comme sur d’autres, il est indispensable de prendre des décisions ambitieuses et courageuses. Dans ce monde d’instabilités et fort de certains facteurs d’attrait, notre pays doit transformer les nombreux défis en opportunités. Les deux der- nières éditions du Baromètre de l’Economie de la Chambre de Commerce montrent une remontée prudente de la confiance des chefs d’entreprises en l’avenir de l’économie luxembourgeoise. Cette confiance, qui était tombée à 64% au second se- mestre 2023, est désormais remontée à 69%. C’est une bonne nouvelle – toutefois à confirmer – pour notre économie tournée vers l’extérieur et dépen- dante des échanges internationaux. Car comme l’a écrit Goethe, «si vous avez confiance en vous- même, vous inspirez confiance aux autres.» [1] Source : ONU. [2] Les «magnificent Seven» (Microsoft, Nvidia, Google, Meta, Amazon, Apple et Tesla) représentent plus de 30% de la valeur totale du S&P500. [3] Source : National Bureau of Statistics of China. [4] Source : STATEC. * https://www.carlothelenblog.lu/ Répondre à l’instabilité par l’agilité et l’innovation
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