Agefi Luxembourg - mars 2025

Mars 2025 48 AGEFI Luxembourg Informatique financière Par Renaud BARBIERManaging Partner - Osons L ongtemps célébrée comme une révolution technologique capa- ble de remodeler l’économie, l’intelligence artificielle (IA) est au- jourd’hui scrutée sous un autre prisme : celui de son empreinte écologique. Certes, elle promet d’optimiser la gestion des ressources, d’améliorer la productivité et même – qui sait ? – de rédiger des discours politiques plus co- hérents. Mais derrière cette fa- çade futuriste se cache une réalité bien plus prosaïque : l’en- traînement desmodèles d’IA en- gloutit des quantités d’énergie vertigineuses, tandis que la fabrication des composants électroniques repose sur l’ex- traction demétaux rares, dont l’impact envi- ronnemental est tout sauf virtuel. En somme, si l’IA sait tout calculer, elle peine encore à réduire son propre bilan carbone. Faut-il dès lors choisir entre innovation et transition écologique ? Loin d’être un dilemme digne d’un roman d’anticipation, cette question interpelle aussi bien les entreprises que les pouvoirs publics, contraintsd’imaginerunaveniroùl’IAnerimeraitpas avecgabegieénergétique.Optimiserl’efficacitédesal- gorithmes,mutualiserlesinfrastructures,recouriraux énergies renouvelables : autant de pistes sérieuses, bien que la plus évidente reste peut-être…de s’inter- roger sur l’utilité réelle de certains modèles. Avons- nous vraiment besoin d’une IA capable d’écrire des poèmesenalexandrinsoudeprédirelameilleuregar- niture de pizza en fonctionde notre humeur ? Si l’in- telligenceartificielleveuts’inscriredansunetrajectoire durable, il lui faudra, elleaussi, apprendre la sobriété. Une empreinte environnementale significative,mais desmarges d’optimisation L’essorde l’intelligence artificielle (IA) repose surdes infrastructuresinformatiquescolossales,dontlescen- tres de données constituent la pierre angulaire. Ces immenses fermes de serveurs, nécessaires au stockage et au traitement des données, affichent une consommation énergétique vertigineuse. Selon cer- taines estimations, le numérique représenterait près de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre,unchiffreenconstanteaugmentationàmesure que les usages se développent. Derrière la promesse d’une technologie capable d’optimiser la gestiondes ressourcesetd’accompagnerlatransitionécologique, se cache donc une réalité plus contrastée : celle d’un secteurdontl’empreinteenvironnementaledemeure préoccupante. Le coût énergétique desmodèles d’IA Lesmodèlesd’IAlesplus avancés, à l’imagedeGPT- 4oudesréseauxneuronauxprofonds,nécessitentune puissancedecalculphénoménale.Leurentraînement mobilise des milliers de processeurs graphiques (GPU), fonctionnant en parallèle pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Une étude duMIT a ainsi révélé que l’entraînement d’un modèle de lan- gagedegrandetaillepeutgénérerautantd’émissions deCO₂quecinqvoituressurl’ensembledeleurdurée devie.Unparadoxepourunetechnologiecenséeop- timiser l’allocation des ressources, mais qui, dans sa phasededéveloppement, semble surtout les englou- tir. Face à ce constat, chercheurs et entreprises s’effor- cent d’explorer de nouvelles stratégies pour réduire cette empreinte énergétique. Small Language Models : une alternative efficiente et durable aux LLM Face à la montée en puissance des Large Language Models (LLM), dont les besoins en calcul et en res- sources énergétiques sont exponentiels, les Small Language Models (SLM) apparaissent comme une alternativeplussobreetefficiente.Contrairementaux LLM, qui nécessitent des infrastructures massives et une puissance de calcul considérable pour fonction- ner, les SLM sont conçus pour être plus légers, tout en conservant des performances adaptées à des usages spécifiques. D’un point de vue énergétique, cette approche pré- sente un double avantage : d’une part, elle réduit la consommationélectriqueliéeàl’entraînementetàl’in- férence des modèles, allégeant ainsi leur empreinte carbone;d’autrepart,ellepermetuneexécutionlocale sur des appareils moins gourmands en énergie, comme les serveurs de proximité oumême les objets connectés, évitant ainsi le recours systématique aux centres de données énergivores. Sur le plan de l’effi- cacité,lesSLMoffrentdesperformancescibléesetop- timisées, souvent suffisantes pour des tâches spécialisées, tout en réduisant les coûts d’infrastruc- ture et en améliorant la latence des traitements. Cette approche, qui repose sur l’adaptation fine des modèles aux besoins réels plutôt que sur une quête de puissance brute, s’inscrit dans une logique d’innovation plus durable et écono- miquement pertinente. Des infrastructures en quête de sobriété Plusieurs leviers sont envisagés pour limiter l’impact environ- nementaldel’IA.L’optimi- sation des algorithmes figure parmi les pistes les plus prometteuses : des techniquescommelaquan- tification ou la distillation de modèles permettent d’alléger leurarchitectureetdediminuer leurconsommationénergétiquesans compromettre leurs performances. Parallè- lement, les géantsdunumérique investissentmassi- vement dans des infrastructures plus efficientes. Google et Microsoft, par exemple, développent des centres de données refroidis passivement et alimen- tés par des énergies renouvelables, une manière de compenser – au moins en partie – l’empreinte car- bone de leurs activités. Autre piste explorée : l’edge computing, qui consisteàdécentraliser les calculs en les rapprochant des utilisateurs. En limitant les flux de données et en réduisant la dépendance aux ser- veurs distants, cette approche pourrait contribuer à une IAplus sobre en énergie. Si ces solutions laissent entrevoir des améliorations, elles ne sauraient cependant occulter une question de fond : jusqu’où faut-il pousser la course à la puis- sance de calcul ? L’enjeu n’est pas seulement tech- nique, mais aussi politique et économique. Dans un monde confronté à une crise climatique majeure, le développement de l’IAne peut se faire sans une ré- flexion sur ses usages, ses priorités et les limites que la société est prête à lui imposer. Une intelligence artificielle au service de la transition écologique Si l’empreinte environnementale de l’intelligence ar- tificielle (IA) suscite des interrogations légitimes, son potentiel enmatière de transition écologique ne sau- rait être ignoré. De la réduction de la consommation énergétique à la préservation des ressources natu- relles,enpassantparl’optimisationdurecyclage,l’IA se positionne comme un levier clé pour repenser nos modèles industriels et économiques. Encore faut-il quesondéveloppementsoitguidépardesusagesper- tinentsetdurables,plutôtqueparunecourseeffrénée à la performance technologique. Efficacité énergétique et optimisation industrielle Danslessecteursàforteintensitéénergétique,comme la métallurgie, la chimie ou l’industrie manufactu- rière, l’IA joue déjà un rôle central dans la réduction des consommations. Google, par exemple, a réussi à diminuer de 40% l’énergie nécessaire au refroidisse- ment de ses centres de données grâce à des algo- rithmes de machine learning, une performance qui illustrelepotentield’optimisationqu’offrecettetech- nologie.Danslesecteurimmobilier,l’IApilotelages- tiondesbâtiments intelligents, ajustant en temps réel lechauffage,laclimatisationoul’éclairageenfonction des besoins réels, ce qui permet des économies d’énergie substantielles. Selon une étude de McKin- sey, l’optimisation énergétique assistée par IApour- rait réduire de 10 à 15% la consommation globale d’énergie des entreprises, un chiffre qui, à l’échelle mondiale, représente un levier considérable pour la transition énergétique. Gestion des ressources naturelles et protection de la biodiversité L’intelligenceartificiellenesecontentepasd’optimiser lesinfrastructureshumaines;elles’imposeégalement comme un outil clé dans la gestion et la préservation des écosystèmes. L’analyse d’images satellites dopée à l’IA permet de surveiller la déforestation en temps réel, facilitant ladétectiondes activités illégales et l’in- tervention rapide des autorités. Des ONG comme Rainforest Connection utilisent même des capteurs acoustiquescouplésàdesalgorithmespouridentifier les bruits suspects, tels que ceux des tronçonneuses clandestines dans les forêts tropicales. Dans l’agricul- ture, l’IA favorise une approche plus précise et dura- ble. Loin des pratiques intensives génératrices de surconsommationd’eauetdeproduitschimiques,des start-upscommeGamayaexploitentdescapteurshy- perspectraux et des algorithmes de deep learning pour analyser la santé des cultures et ajuster précisé- mentl’usagedesintrants(engrais,eau,pesticides).Ré- sultat : une réductionsignificativedugaspillageet un moindre impact environnemental, sans sacrifier les rendements agricoles. Économie circulaire et gestion des déchets Face à l’urgence environnementale, l’économie circu- laires’imposecommeunealternativeincontournable aux modèles linéaires de production et de consom- mation. Ici encore, l’IAs’avère précieuse, notamment dansletrietlerecyclagedesdéchets.Grâceàlavision par ordinateur et à l’apprentissage automatique, des robots développés par des entreprises comme Zen- Roboticssontcapablesd’identifieretdeséparerdiffé- rents types de matériaux avec une précision bien supérieure à celle des systèmes traditionnels. Une avancéemajeure, alors que les taux de recyclage res- tentinsuffisantsdansdenombreuxpaysetqueladé- pendanceauxmatièrespremièresviergescontinuede peser sur l’environnement. Si l’IA n’est pas une solutionmiracle, elle offre néan- moins des outils concrets pour repenser nos modes deproductionetdeconsommation.Àconditiond’être utilisée à bon escient, elle peut non seulement contri- bueràréduiresonpropreimpact,maisaussiaccélérer latransitionversunmodèleplusdurable.Laquestion reste toutefois ouverte : saura-t-onmettre son intelli- gence au service de l’écologie, ou se contentera-t-on d’enfaireunaccélérateurdecroissance,aurisqued’ag- graver les déséquilibres existants ? Vers une régulation et des normes pour une IA responsable Alorsquel’intelligenceartificiellepoursuitsonexpan- sion à un rythme effréné, la nécessité d’un encadre- ment réglementaire et normatif s’impose de plus en plus. Comment concilier l’essor de cette technologie avec les impératifs environnementaux ? Face aux risquesd’uneIAénergivoreetàl’urgenceclimatique, pouvoirs publics et acteurs privés commencent à structurer des réponses, allant de lamise en place de cadreslégislatifsàl’émergencedenouvellespratiques industrielles plus durables. L’émergence de cadres réglementaires L’Union européenne, pionnière en matière de régu- lation technologique, s’efforce d’intégrer les préoccu- pations environnementales dans son AI Act et ses politiques sur le numérique durable. Parmi les me- suresenvisagées,certainesvisentàimposerunetrans- parence accrue sur la consommationénergétiquedes algorithmes, obligeant les entreprises àdéclarer l’em- preinte carbone de leursmodèles. Parallèlement, des incitations fiscales sontmises en place pour encoura- ger le développement d’infrastructures plus respec- tueuses de l’environnement, notamment via l’utilisation d’énergies renouvelables pour alimenter lescentresdedonnées.Sicesinitiativesmarquentune avancée, elles restent encore insuffisantes face à la croissance exponentielle des besoins en calcul. L’écoconception desmodèles d’IA : un impératif émergent Pour limiter l’empreinte énergétique de l’IA, la so- briéténumériquenepeutêtreunesimpleoption:elle doit être intégrée dès laphase de conceptiondesmo- dèles. L’écoconception appliquée à l’intelligence arti- ficielle repose sur plusieurs leviers. Le TinyML, par exemple, explore des modèles ultra-légers conçus pour fonctionner sur des objets connectés, réduisant drastiquementleurconsommationénergétique.D’au- trespistes,plusexploratoires,s’intéressentauxréseaux neuronaux quantiques, qui pourraient à terme révo- lutionner l’architecturemêmedes algorithmes enmi- nimisant la quantité de calcul nécessaire. Ces innovations, encore en phase de recherche, illustrent laprisedeconscienceprogressivedesenjeuxenviron- nementaux liés à l’IA. Des initiatives sectorielles en ordre dispersé Certaines entreprises, soucieuses d’anticiper les fu- tures régulations ou de répondre aux attentes crois- santes des investisseurs et des consommateurs, prennent les devants. IBM, par exemple, a lancé l’ini- tiativeGreenAI, visant à réduire l’empreinte carbone de ses solutions en optimisant leur efficacité énergé- tique.D’autres acteurs, notamment dans le secteur fi- nancier, commencent à intégrer des critères environnementauxdansl’évaluationdesprojetsd’IA. Certaines banques et fonds d’investissement condi- tionnentdésormaisleursoutienaurespectdenormes de sobriété numérique, une tendance qui pourrait progressivement s’étendre à d’autres industries. Toutefois, ces efforts restent fragmentés, et lamise en place d’un cadre international cohérent demeure un défi.Laquestionn’estplusseulementdesavoirsil’IA peut contribuer à la transitionécologique,mais si son développementpeutlui-mêmes’inscriredansunelo- giquedurable.L’avenirdecettetechnologiedépendra desacapacitéàévoluersansdevenirungouffreéner- gétique incontrôlable. L’innovation saura-t-elle s’ac- corder avec la sobriété, ou faudra-t-il attendre que la régulation impose sespropres limites ?Une certitude demeure : à l’heure du dérèglement climatique, l’IA nepourralongtempssesoustraireàl’impératifderes- ponsabilité environnementale. Une transformationnécessaire et possible Loin d’être irréconciliables, intelligence artificielle et enjeux environnementaux doivent être pensés de concertdansuneapprocheholistique.Sil’IAprésente une empreinte énergétique non négligeable, son po- tentielpouraccélérerlatransitionécologiqueestindé- niable.Maiscetéquilibreneseferapasspontanément : il suppose des choix stratégiques clairs et assumés, allantdel’investissementdansdesinfrastructuresdu- rables à l’écoconception des modèles, en passant par la mise en place d’un cadre réglementaire adapté et d’une gouvernance responsable. Les entreprises et les décideurs se trouvent ainsi à la croiséedeschemins.Loind’êtreunesimplecontrainte, l’intégrationdes enjeux écologiques dans le dévelop- pement de l’IA représente une opportunité straté- gique majeure. Dans un monde où la responsabilité sociétale des entreprises s’impose comme un facteur clé de différenciation, faire de l’IA un moteur de la transition écologique pourrait bien être l’undes défis lesplusstructurantsdesannéesàvenir.Ceuxquisau- ront anticiper cette mutation ne se contenteront pas de répondre aux exigences réglementaires : ils façon- neront lesmodèles économiques de demain. Intelligence artificielle et environnement : vers une convergence durable ? Abonnement aumensuel (journal + éditiondigitale) 1an (11numéros) =55€abonnement pourLuxembourget Belgique - 65€pour autrespays L’édition digitale du mensuel en ligne sur notre site Internet www.agefi.lu est accessible automatiquement aux souscripteurs de l’éditionpapier. NOM:....................................................................................................................................................................... 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