Agefi Luxembourg - novembre 2024
Novembre 2024 9 AGEFI Luxembourg Economie Opinion - par Carlo THELEN, directeur de la Chambre de Commerce * A merica First».Avec la victoire deDonald Trump à l’élec- tion présidentielle améri- caine, c’est le grand retour d’une politique économique que l’on peut résumer avec ces deuxmots sans la cari- caturer. Il ne nous appartient pas ici de commenter le choix démocratique du peu- ple américain. Il est en revanche intéres- sant d’analyser le contexte économique qui l’a conduit à faire ce choix. Économique- ment, comment vont les Etats- Unis au sortir des années Biden ? Plutôt bien, si l’on analyse les grands in- dicateurs. En 2023, la croissance américaine était de 2,5%alors que l’Union européenne plafonnait à 0,5%. Elle devrait encore se si- tuer au-delà des 2,5%en 2024. Ces trois dernières années, on a assisté à une spec- taculaire progressiondes exportations américaines, dopées par les gains de compétitivité générés par l’Inflation reduction act. Le taux de chômage a at- teint unniveauhistoriquement bas (3,6%seulement en2023). Quant auxmarchés financiers, ils affichent une santé insolente avec une augmentationde 22% du S&P 500 depuis le début de l’année 2024, porté par les performances des géants de la Tech améri- cains, dont le leadership s’est encore étoffé ces der- nières années avec l’avènement de l’intelligence artificielle générative. Alors qu’est-ce qui a conduit les électeurs à ren- voyer les démocrates dans l’opposition ? Deux élé- ments semblent avoir nourri le «ras-le-bol» des Américains. D’abord le fait que la prospérité amé- ricaine n’a en rien contribué à réduire les inégalités. En 2022, l’indice de Gini, qui mesure le degré des inégalités dans un pays, était encore plus élevé qu’au début des années 2010. Ensuite, il y a l’infla- tion et la politique monétaire adoptée pour la contrer. Dans un pays de consommateurs où l’en- dettement desménages a atteint 17.800milliards de dollars au deuxième trimestre 2024 (1) , les dernières années ont été particulièrement éprouvantes, en particulier pour la middle class. Dans ce contexte, avec ses promesses de reprendre enmain la politique monétaire, de diminuer les im- pôts,derelancerlaproductiond’énergiepourenfaire baisser le prix, d’augmenter les droits de douanes pour protéger l’industrie américaine, le candidat Trump a réussi à séduire unemajorité d’électeurs. Le grand retour du protectionnisme Ce programme économique ne sera pas sans conséquence pour le reste du monde. Les guerres commerciales et le retour du protectionnisme ne sont pas des phénomènes nouveaux. Mais avec un Président américain qui annonce vouloir relever de 10 à 20% les droits de douanes sur les produits étrangers – une mesure qui entrainera irrémédiable- ment des décisions réciproques – et en particulier de 60% à 200% ceux sur les produits chinois, cette dynamique va s’accélé- rer, chamboulant encore un peu plus le cadre commer- cial dans lequel nos économies ont bâti leur croissance au cours des dernières décennies. Rien qu’au Luxembourg, les échanges avec les Etats-Unis pèsent 25 milliards de dollars. Les échanges sont engrandemajorité des importations de services, à hauteur de 17,9 milliards en 2022 (2) . Le Luxembourg exporte principalement des ser- vices financiers (3,75 milliards de dollars par an), mais aussi des services de transport ou de commu- nications. Il exportepour plus d’unmilliardd’euros debiensmanufacturés (2022),majoritairement issus de la sidérurgie. Il faut noter également que notre pays est aussi une terred’accueil privilégiéepour les investissementsdirects étrangers enprovenancedes Etats-Unis, avecplusieurs grandes entreprises amé- ricaines qui ont choisi le Luxembourg pour opérer une partie de leurs activités en Europe (Microsoft, Amazon, Goodyear…). Enfin, la relation commer- cialequi unit leLuxembourget lesEtats-Unis est très importante pour nos fonds d’investissements. A l’échelle de l’Union européenne, les échanges de biens vers les Etats-Unis représentaient 867,8 mil- liards d’euros et les échanges de services 684 mil- liards d’euros en 2022 (3) . Certaines puissances européennes seront particulièrement exposées aux conséquencesdecespolitiquesprotectionnistes.C’est le cas de l’Allemagne, pour laquelle le commerce mondial représente50%duPIB.Au lendemainde la victoiredeDonaldTrump,MoritzSchularick, lepré- sidentdel’institutéconomiqueIFWdeKiel,déclarait d’ailleurs ceci (4) : «La victoire de Donald Trump marque ledébut dumoment leplusdifficilede l’his- toire de la République fédérale d’Allemagne sur le plan économique, car à la crise structurelle interne s’ajoutent désormais des défis massifs en matière d’économie extérieure et de politique de sécurité, auxquels nous ne sommes pas préparés». Le retour de Donald Trump, si c’était encore nécessaire, ap- pelle les Européens à envisager la relation transat- lantique avec plus de réalisme, et admettons-le, beaucoupmoins de naïveté. Et puisque le 47e prési- dent des Etats-Unis semble fairedu rapport de force l’Alpha et l’Omega de toute négociation, qu’elle soit diplomatique ou commerciale, il appartient auxEu- ropéens de se montrer à la hauteur de ce défi. Il est évident qu’ils ne pourront le faire en étant divisés. Dans ce nouveau contexte géopolitique et écono- mique, le projet européen prend tout son sens. Alors que les Etats-Unis veulent protéger leurmar- ché, il est grand temps, pour l’Europe, de parache- ver ce grand marché unique qui nous permettrait de parler d’égal à égal avec Donald Trump. Dans son rapport publié au mois d’avril, Enrico Letta donnait déjà toutes les clés. A nous de les utiliser. Le défi de la compétitivité L’autre grand défi, c’est la restauration de la com- pétitivité européenne. Là aussi, le diagnostic, certes douloureux, a étéparfaitement poséparMarioDra- ghi dans son rapport publié en septembre. L’Eu- rope doit désormais engager les réformes nécessaires pour stimuler la productivité par l’in- novation et devenir leader de la transition verte et de l’intelligence artificielle. Elle doit faire émerger des championsmondiaux, susceptibles d’opérer les investissements nécessaires pour concurrencer les géants américains, lesquels sont aujourd’hui nour- ris enpartie par l’épargne des Européens, à hauteur de 300 milliards d’euros par an. C’est plus que ja- mais nécessaire dans les domaines de la tech, de la finance, de la santé, de la défense, de l’espace par exemple. C’est précisément la feuille de route de la nouvelle Commission européenne, conduite par Ursula von der Leyen, qui compte dans ses rangs le Luxembourgeois Christophe Hansen, commis- saire en charge de l’agriculture. La tâche de la nouvelle Commission va s’avérer particulièrement complexe, tant les contextes natio- naux sont pesants. Le couple franco-allemand sem- ble paralysé par les crises politiques internes et par les divergences budgétaires qui se creusent entre les deux pays. Dans d’autres états membres, pour des raisons idéologiques ou stratégiques, il y aura la tentationmortifère de privilégier des relations bi- latérales avec les Etats-Unis plutôt que de faire bloc entre Européens. Affirmons-le avec force : la divi- sion, c’est l’échec assuré. L’Europe de la défense, une nécessité Et si, paradoxalement, la réélection de Donald Trump était l’électrochoc dont l’Europe avait besoin pour se relancer ? Car avec sa doctrine «America First», Donald Trump lance un autre défi aux Eu- ropéens, un défi porteur de cohésion : celui de la défense.Alors queTrumpa tenuun certainnombre de propos ambigus sur l’avenir de l’OTAN (les Etats-Unis portent à eux seuls 65,6% des dépenses militaires de l’ensemble des paysmembres en 2024) ou le soutien à l’Ukraine, l’Europe doit plus que ja- mais gagner en autonomie stratégique. Dans un monde où la guerre semble s’installer, la sécurité de l’Europe, et donc son existencemême, ne peut plus reposer sur le bon-vouloir du locatairede laMaison Blanche, quel qu’il soit. En portant son budget de défense à 2% de son re- venu national brut dès 2030, le Luxembourg parti- cipe à cet effort et assume donc ses responsabilités. Cela représentera une dépense annuelle de près d’1,5 milliard d’euros à partir de 2030. La plupart des pays européens sont sur la même trajectoire. Mais cet effort budgétaire doit être accompagné d’une politique économique ambitieuse afin de doter l’Union européenne d’une industrie de dé- fense susceptible de garantir cette autonomie stra- tégique. Le Luxembourg doit y participer. Et l’environnement ? Enfin, l’élection de Donald Trump représente un défipolitiquepour lesEuropéens encequi concerne la coopération internationale dans la lutte contre le changement climatique. En retirant les États-Unis de l’Accord de Paris durant sa première présidence et enminimisant l’urgence d’une transition énergé- tique (il annonce que les Etats-Unis vont «forer comme des malades»), Donald Trump a creusé un fossé idéologique avec lespolitiques climatiques eu- ropéennes, axées sur une réduction ambitieuse des émissions de gaz à effet de serre et la réalisation de la neutralité carbone d’ici 2050. Cette divergence va assurément rendre plus difficile la mise en œuvre de stratégies concertées à l’échellemondiale, lapres- sion collective indispensable pour engager d’autres nations étant affaiblie par le retrait du deuxième émetteur de CO₂ aumonde. Cette situation doit amener l’Union européenne à assumer un rôle de leader climatique, en intensi- fiant ses investissements dans les technologies vertes innovantes. Mais cela ne doit pas se faire au prix de la compétitivité des entreprises euro- péennes. Les projets de Trump enmatière de déré- gulation environnementale vont obliger l’Europe à protéger ses industries contre les disparités de com- pétitivité qui en découlent, notamment à travers le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Si l’Europe s’est construite autour de sa devise «Unie dansladiversité»,ilesttempsdemontrerqu’ellepeut aussi être unie dans l’adversité. 1)Source:FederalReserveBankofNewYork 2)Source :STATEC 3)Source :Commissioneuropéenne 4 )https://lc.cx/k4BuFQ *https://www.carlothelenblog.lu/ Face à l’Amérique de Trump, nous avons besoin d’une Europe “unie dans l’adversité” « L a présidente de la Banque eu- ropéenne d'investissement (BEI) NadiaCalviño a été reçue le 14 octobre à laChambre desDéputés pour un échange de vues avec l’ensemble des parle- mentaires.Acette occasion, elle a présenté les huit grandes priorités stratégiques de la BEI (2024-2027). «Une coopération étroite et positive avec le Luxembourg», c’est avec ces mots que Nadia Calviño a qualifié les relations entre la BEI et le Luxembourg. De son côté, le président de la Chambre des Députés ClaudeWiseler a souligné l’importance demaintenir des relations privilégiées avec les institutions euro- péennes basées au Luxembourg telles que la BEI. Les députés se sont renseignés sur les défis auxquels une grande institution européenne, dont le siège est au Luxembourg, pourrait être confrontée. La présidente de la BEI a précisé qu’en termes d’attractionde talents, la situation s’était améliorée par rapport aux années précédentes. Cependant, les quelque 5000 employés de la BEI doivent faire face à des problèmes tels que l’accès au logement et des prix élevés, ainsi que des difficultés liées au regroupement familial, principalement en raison du coût de la vie. Lesdéputésontégalementsouhaitésavoir comment la BEI pouvait contribuer aux grandes priorités stratégiques de l’Union européenne, notamment dans le contexte d’un nouveau Parlement européen et d’une nouvelle Commission européenne après les élections européennes 2024. NadiaCalviño a souligné que leprincipal défi de la BEI sera de financer les priorités politiqueseuropéennestoutenmobilisant le secteur privé. L’institutioneuropéennes’estfixéhuitaxes stratégiques : -Consolidersonrôlede«banqueverte»et continuer à investirmassivement dans les énergies renouvelables, lamobilitédouce, etc.UnedesgrandesprioritésdelaBEIest également de soutenir les PMEdans cette transitionverte. - Digital et innovation : renforcer les PME et les «starts-ups» pour qu’elles restent implantées enEurope. - Renforcer le soutien à l’industrie euro- péenne de sécurité et de défense. - Contribuer à une politique de cohésion forte etmoderne. - Soutenir l’agriculture et la bioéconomie. - Renforcer les infrastructures sociales européennes:investirnotammentdansle paquet logement à travers toute l’Europe. - Concevoir des instruments pionniers à l’appui de l’uniondesmarchés capitaux. - Mettre l’accent sur les investissements à fort impact à l’extérieur de l’UE. Lesdéputés se sont particulièrement inté- ressés aux projets de transformation numérique.NadiaCalviñoasoulignéque la BEI adopte une approche «proactive plutôt que défensive» en matière de sou- tienauxstart-upsetPME.Selonelle,ilcru- cialdecréerdesopportunitéspourqueles start-ups européennes sachent qu’elles peuvent se développer également en Europe. Parmi lesproblèmes auxquels les start-ups sont confrontées et qui ont éga- lement été mis en avant dans le «rapport Draghi» figurent la lourdeur bureaucra- tique,lalégislationcontradictoireetlafrag- mentationdumarché financier européen. Interrogé par les députés sur les projets soutenus par la BEI en matière de poli- tique de coopération, Nadia Calviño a rappelé que la BEI est la plus grande ins- titution multilatérale financière au monde. Elle a précisé que 90% de ses investissements se font enEurope, tandis que 10% (environ 8-9 milliards d’euros) sont destinés àdesprojetsde coopération dans lemode entier. Nadia Calviño a souligné que «l’Afrique est le partenaire le plus stratégique» pour l’institution européenne, avec 40% des investissementétrangersconcentréssurle continent africain, principalement dans des grands projets d’infrastructures. L’un des projets phares de la BEI en Afrique, réaliséencollaborationavecl’Organisation mondialedelaSantéetdesfondationspri- vées, vise à éradiquer le paludisme. Les députés ont également demandé des précisions sur le travail de la BEImené en Ukraine, notamment en ce qui concerne la reconstruction et les aides allouées. Nadia Calviño a précisé que la BEI est le partenaire le plus important pour le gou- vernement ukrainien en termes d’inves- tissement.Al’approchedel’hiver,l’unede grandes priorités est la reconstructiondes infrastructures énergétiques, car 60% des capacités énergétiques du pays sont actuellement détruites. Elle a également mis en avant que la lutte contre la corrup- tionetlabonnegouvernancesontdesélé- ments essentiels de leur coopération avec le gouvernement ukrainien. Enfin, les députés ont déploré le manque devisibilitédelaBEIauprèsdenombreux acteurs. Nadia Calviño a reconnu ce constat,déplorantquel’institutionestpeu visible. L’unede ses priorités, alors qu’elle vientdedébutersonmandaten2024,sera de rendre le travail et les opportunités offertes par la BEI plus visibles. Source : Chambre des Députés Nadia Calviño, présidente de la BEI, à la Chambre des Députés «Une coopération étroite et positive avec le Luxembourg » ©ChambredesDéputés
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