Agefi Luxembourg - mars 2025
AGEFI Luxembourg 6 Mars 2025 Banques / Assurances Abandon prévu de la discipline budgétaire enAllemagne : attention à l’effet d’éviction Par Philippe LEDENT, Senior Economist, ING Belgique-Luxembourg L a période actuelle est exception- nelle à plus d’un titre. Sur le plan économique, les décisions budgétaires annoncées en Europe il y a deux semaines et l’impact qu’elles ont eu sur les marchés obliga- taires notamment méritent de s’y attarder. Les dernières semaines ont étépour lemoinsmouvemen- tées sur lesmarchés financiers. Les annonces par Donald Trump de droits de douane et leur retrait parfois aussi rapideont provoquéune grande volatilité sur lesmarchés boursiers.Mais les nou- velles en provenance d’Europe ont éga- lement fait bouger les marchés, en particulier le marché obligataire, avec une très forte hausse des taux d’intérêt à long terme. Que s’est-il passé ? Le nouveau gouvernement allemand a révélé qu’il envisageait d’assouplir la règle budgétaire strictede l’Allemagne, le “frein à l’endettement”, afin dedépenser davantagepour ladéfense. Pa- rallèlement, un autre budget spécial de 500 milliards d’euros est créé pour financer les travaux d’infrastructure en Allemagne au cours des dixprochaines années. Cela équi- vaut à environ 1%du PIB par an, ce qui re- présente un énorme stimulus fiscal. Cette proposition doit encore faire l’objet d’un vote, et les Verts allemands, indispensa- bles pour une partie de ce vote, n’entendent pas tout accepter sans broncher. Mais il est clair que le nouveau gouverne- ment allemand vou- dra au moins aller dans cette direction. Et comme si cela ne suffisait pas, lesAllemands ont demandé à l’Europed’assou- plir les règles budgétaires européennes afin que les pays déjà confrontés à des déficits élevés soient au- torisés à dépenser davantage pour la défense. C’est du jamais vu ! Les Allemands, qui ont toujours in- sisté sur la nécessité d’une discipline budgétaire stricte au seinde la zone euro, semblent aujourd’hui renoncer à tout cela. Que faut-il en penser ? L’économieeuropéennesera-t-ellestimuléeparlesdé- cisions des dernières semaines ? Sans doute,mais il y a quelques mises en garde à préciser. D’une part, les dépenses de défense sont principalement consacrées àl’achatdenouveauxarmementsetplusde60%d’en- tre eux sont importés, de sorte que l’impact sur l’éco- nomie européenne est moins important que ne le suggère lemontant communiqué. D’autre part, il faut généralement plus d’un an pour que les achats décollent réellement. Il ne faut donc pas s’attendre à un quelconque effet au cours des 18 prochainsmois. Par ailleurs, les travauxd’infrastruc- tureallemandspeuventêtreunmoteurdecroissance important, mais là aussi, il faut s’attendre à de longs délais demise enœuvre. L’effet sur la croissance est donc faiblepour l’instant, maisilpourraitaugmenteràpartirdusecondsemes- tre 2026. Cela pourrait également avoir des consé- quences sur la politique de taux d’intérêt de la BCE. Le chômage européenadéjàatteint desniveauxhis- toriquement bas et lapopulationenâgede travailler n’augmentera pratiquement pas dans les années à venir.Encasd’impulsiondecroissancesubstantielle, l’économiepourraitrapidementêtreconfrontéeàdes problèmes de capacité. Cela se traduit par une hausse de l’inflation. Même si les dépenses de réar- mement ne sont pas comptabilisées dans la surveil- lanceeuropéennedesfinancespubliques,ladépense et l’endettement qu’elle entraine existe bel et bien. Dès lors, il faudra surveiller la questiondes finances publiques.Certes, l’Allemagne, dont le tauxd’endet- tement oscille encore autour de 60%duPIB, peut se permettre une forte relance budgétaire. Par contre, c’est beaucoup moins le cas pour la plupart des au- tres pays européens. Cela pourrait bien causer des problèmes d’endettement dans quelques années, ne l’oublions pas ! Pour les marchés obligataires en tout cas, c’est clair : ils anticipent déjà une augmentationde la demande de capitaux, ce qui a entraîné une hausse des taux d’intérêt à long terme de 0,4%en deux jours. Cela a fait baisser la valeur des obligations en Europe. On retrouve ici un effet bien connu en économie : l’effet d’éviction.Enempruntantdavantagesurlesmarchés financierspourfinancerunepolitiquebudgétaireex- pansionniste, les Etats provoquent une hausse du taux d’intérêt qui aura un effet négatif sur l’investis- sementprivé,réduisantainsil’effetnetdelapolitique budgétaire sur la croissance économique. Enconclusion, lapériodeactuelle inciteà revenir sur denombreuxprincipesque l’oncroyait établis.Mais il ne faudrait pas en oublier les contraintes tech- niques et économiques. Celles-ci indiquent que le réarmement et la réindustrialisation parallèle de l’Europe est un énorme défi dont il ne sera pas si fa- cile d’en récolter les fruits. Les régimes complémentaires de pension, une solution durable aux multiples bénéfices Par Hela SLIM et Alexandre CERVULLE, Business Developers Employee Benefits, FoyerAssurances D epuis des décennies, le système de re- traite luxembour- geois a offert une stabilité enviable, garantissant aux générations successives une sécurité financière à l’heure de la retraite. Cependant, cet équilibre est désormaisme- nacé. Dès 2027, l’État devra commencer à puiser dans ses réserves pour assurer le versement des pensions, tandis que le vieillissement de la population et la baisse du ratio actifs/retraités fragi- lisent encore davantage le modèle actuel. Face à cette réalité, le gouverne- ment, sous l’impulsion de la mi- nistre Martine Deprez, a lancé en 2024 un grand débat national sur l’avenir de notre système de re- traites impliquant citoyens, syndi- cats, employeurs et experts du secteur. Un enjeu crucial réside également dans le rôle que les en- treprises peuvent jouer pour ren- forcerlaprotectionsocialedeleurs salariés à travers des dispositifs complémentaires. Un système de retraite à trois piliers Lesystèmederetraiteluxembour- geois repose sur trois piliers com- plémentaires. Le premier pilier, c’est-à-dire le régime obligatoire, est financé par les cotisations so- ciales prélevées sur les salaires à hauteur de 24%, réparties entre l’employé,l’employeuretl’État.Ce modèlea longtemps été considéré commesolide,maislesprojections démographiques montrent qu’il sera confronté à des défis crois- sants dans les années à venir. Pour assurer un niveaude vie dé- cent après la retraite, il existe des dispositifs complémentaires. Le deuxième pilier correspond aux régimesmisenplaceparlesentre- prisespourleursemployés,sousla forme de Régimes Complémen- taires de Pension (RCP). Ces dis- positifs permettent d’offrir un complémentderevenuàlaretraite et représentent un véritable levier d’attractivitéetdefidélisationpour les employeurs. Pourtant, seuls 15% des salariés au Luxembourg enbénéficient aujourd’hui. Enfin,letroisièmepilierreposesur l’épargne individuelle volontaire. Chaque salarié, fonctionnaire ou indépendant, en somme toute la population active, peut se consti- tueruncapitalretraitesupplémen- taire via des solutions d’épargne dédiées, telles que celles prévues par l’article 111bis. Ce typede pla- cement permet de se préparer à l’avenir tout en bénéficiant d’inci- tations fiscales. Une adoption encore limitée des régimes complémentaires Dans ce contexte, le développe- ment des régimes complémen- taires, le 2 e pilier donc, devient un enjeuclépoursécuriserlesretraites de demain. Encourager les em- ployeursàyadhéreretsensibiliser les salariés à ces solutions est es- sentiel pour garantir un système plus équilibré et durable. Actuellement, un peu plus de 2.000 entreprises disposent d’un régime complémentaire de pen- sion, un chiffre qui n’a que peu évolué ces dernières années. Par ailleurs,deuxsecteursconcentrent àeuxseulslesdeuxtiersdesRCP: le secteur financier avec les banques et compagnies d’assu- rances (44%) et le secteur scienti- fique et technique (21%). À l’inverse,d’autressecteursmajeurs del’économie,commelaconstruc- tion,l’immobilieroul’industrie,ne totalisent qu’à peine 11% des ré- gimesenplace.Unedisparitémar- quée entre les secteurs, qui illustre les écarts d’adoption de ce dispo- sitif et le manque de valorisation desavantagesqu’ilpeutreprésen- ter pour les salariés. Silesrégimescomplémentairesde pension sont aujourd’hui princi- palement déployés dans les grandes entreprises du secteur fi- nancier, leur intérêt dépasse large- ment ce cadre et mérite une attentionaccruedelapartd’autres secteurs.LesPMEetPMI,souvent considérées comme trop petites pour adopter de tels dispositifs, disposent pourtant de solutions adaptées, flexibles et accessibles, sans lourdeurs administratives ni coûts prohibitifs. Dans les secteurs industriels et ar- tisanaux, où lesmétiersphysiques peuvent limiter la durée des car- rières, un RCP constitue un levier essentiel pour assurer une transi- tion plus sereine vers la retraite, tout en intégrant des garanties contre les risques professionnels. Les professions libérales et les in- dépendants ne sont pas en reste. En fonctionde leur structure juri- dique, ils peuvent non seulement mettre en place un régime com- plémentairepourleursemployés, mais aussi opter pour un régime spécifique à leur activité. Cette diversité d’application sou- ligne que les régimes complé- mentaires depensionne sont pas réservés à un seul type d’entre- prise ou de profession, mais qu’ils constituent un véritable outil stratégique pour améliorer la protection sociale des travail- leurs, quelle que soit leur activité. Un levier stratégique pour les entreprises et les salariés Malgré les nombreux avantages qu’offrent les régimes complé- mentaires de pension, leur adop- tion par les entreprises luxem- bourgeoises reste limitée. Plu- sieurs facteurs expliquent cette si- tuation, notamment un manque de sensibilisation aux bénéfices qu’ils procurent, tant pour les sa- lariés que pour les employeurs, ainsi que des freins liés au cadre fiscal et réglementaire. Pourtant, ces dispositifs constituent un le- vierstratégique,tantsurleplanfi- nancier que sur celui de la gestion des ressources humaines. Pour les salariés, un RCP repré- senteavanttoutunesécuritéfinan- cière à la retraite. Une fois leur carrièreachevée,ilsfontfaceàune diminution souvent significative deleursrevenus.En2022,environ 80% des capitaux libérés à la re- traite se situaient entre 5.000 et 50.000 euros, tandis que pour 8% des affiliés, ces montants s’éle- vaient même entre 100.000 et 500.000 euros. Ces sommes permettent aux re- traités de mieux s’adapter à leur nouvelle situation et demaintenir leur niveau de vie. Par ailleurs, les régimescomplémentairesincluent généralementunecouverturepré- voyance,offrantuneprotectionen cas de décès ou d’invalidité. Cette sécurité supplémentaire est d’au- tant plus essentielle que 80% des cas d’invalidité déclarés par les employeurs sont liés à des mala- dies graves, comme le cancer. En complément, les salariés ont la possibilitéd’accroîtreleurépargne en effectuant des versements per- sonnels déductibles fiscalement à hauteur de 1.200 euros par an. De plus, les options d’investissement proposées dans ces régimes évo- luent pour intégrer davantage de critères éthiques et environne- mentaux, répondant ainsi aux at- tentes croissantes en matière de finance responsable. Pour les employeurs, les régimes complémentaires de pension sont unoutil puissant pour attirer et fi- déliserleurstalents.Dansunmar- ché du travail concurrentiel, les jeunesgénérationssontparticuliè- rement attentives aux avantages sociaux et à la planification finan- cière. En proposant un RCP, une entrepriseamélioresonattractivité et renforce l’engagement de ses équipes.Au-delà de cet enjeu RH, cesdispositifsconstituentunlevier d’optimisationdescoûtssalariaux. UnRCPbienstructurépermet,par exemple, d’intégrer - sous cer- taines conditions - un mécanisme de “plan bonus”, offrant aux ca- dres et membres de la direction la possibilité de placer une partie de leur rémunération variable en re- traite avec unnet avantage fiscal. Enfin, les régimes complémen- taires de pension présentent des atouts financiers tant pour les sa- lariésquepourlesemployeurs.Au Luxembourg, les cotisations ver- sées par l’employeur sont exoné- rées de charges sociales et d’impôts, à l’exceptiond’unprélè- vement de 1,4% au titre de l’assu- rance dépendance. Dans les pays frontaliers, la fiscalité applicable varie, mais des accords bilatéraux avec la Belgique et l’Allemagne permettent une certaineharmoni- sation, contrairement à la France, oùcettequestionresteensuspens. Silecadrelégislatifactueloffredéjà des incitations intéressantes, des ajustementspourraientencoreêtre envisagés – dans le cadre de la fu- ture réforme des retraites - pour renforcer l’attractivité et la flexibi- lité de ces dispositifs. Du côté des entreprises, un allègement fiscal ou une adaptation des cotisations enfonctiondesrésultatsfinanciers permettrait une meilleure gestion desengagementsàlongterme.Du point devuedes salariés, la rééva- luation du plafond défiscalisable, fixé à 1.200 euros par an et in- changé depuis 1999, permettrait d’encourager une épargne plus conséquente. Par ailleurs, lapossi- bilité d’un rachat anticipé des sommes épargnées pour financer l’acquisitiond’une résidence prin- cipale constituerait une évolution pertinente,àl’imagedesdispositifs déjà enplace enFrance. Enintégrantcesévolutions,lesré- gimes complémentaires de pen- sion pourraient gagner en attractivitéetdevenirunstandard dans l’ensembledes secteursd’ac- tivité. Leur prise en compte dans les débats en cours sur la réforme du système de retraite est essen- tielle, car l’évolution du marché du travail et les transformations démographiques imposent une adaptation des dispositifs exis- tants pour garantir leur efficacité et leur pérennité. Ainsi, les régimes complémen- taires de pension ne doivent pas être perçus uniquement comme un simple outil de prévoyance, mais comme un véritable moyen stratégique pour les entreprises et unélémentclédelasécurisationfi- nancière des salariés. Dans un en- vironnementéconomiqueetsocial enmutation,lesentreprisesquiin- tègrent ces solutionsdans leurpo- litiqueRHne se contentent pas de proposerunavantagesupplémen- taire : elles investissent dans la sta- bilité et l’engagement de leurs équipes,toutenrenforçantleurat- tractivité et leur compétitivité sur lemarché du travail. MettreenplaceunRCPdemande uneapproche structurée, adaptée aux besoins spécifiques de chaque entreprise. Il s’agit d’iden- tifier les attentes des salariés, d’évaluer les options disponibles etdeconcevoirundispositifcohé- rent avec la politique de rémuné- ration et les capacités financières de l’entreprise. Un échange avec unconseiller enassurance spécia- liséenlamatièrepermetd’étudier les solutions les plus adaptées et de clarifier les aspects fiscaux et sociaux du régime. Une fois le cadre défini, une communication interne efficace est essentielle pour sensibiliser les équipes, as- surer leur adhésion et maximiser les bénéfices du dispositif. À ce jour, l’adoption des régimes complémentairesdepensionreste encore limitée au Luxembourg, alors qu’ils pourraient devenir un standarddans l’ensemble des sec- teurs d’activité. Espérons que les récents débats et les réflexions en courssurlaréformedusystèmede retraite luxembourgeois abouti- ront à des évolutions notables, in- citant davantage d’employeurs à s’emparer du sujet. Les attentes sontfortes,etsilesconditionsévo- luent dans le bon sens, ces dispo- sitifs pourraient enfin connaître l’essor qu’ils méritent, au bénéfice des entreprises et des salariés.
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