AGEFI Luxembourg - juillet août 2025
Juillet / Août 2025 47 AGEFI Luxembourg Informatique financière Par Carlo THELEN, directeur de la Chambre de Commerce * C ’est la première fois dans l’his- toire économique contemporaine que l’Europe est dans la périphé- rie dumonde. N’ayant pas su capitaliser sur la révolution technologique d’inter- net, leVieuxContinent se retrouve aujourd’hui relégué à l’arrière- plandans des domaines stratégiques tels que l’intel- ligence artificielle (IA), les semi-conducteurs et le cloud, tous dépendants de technologies développées ailleurs. La dominationdes géants américains est incontes- table enmatière d’investissements privés, de puissance de calcul et de concen- trationdes talents. De son côté, forte d’une stratégie nationale ambitieuse, laChine avance à vitesse grandV. Selondesdonnéesdel’ ArtificialIntelligenceIndexReport 2025 de l’université Stanford, les investissements pri- vés américains dans le domaine de l’IA générative ont atteint 29milliards de dollars, soit près de 20 fois supérieuresàceuxdel’Europe(1,5milliarddedollar). Dansson Rapportsurl’avenirdelacompétitivitédel’Union européenne publié en septembre 2024, Mario Draghi appelle à un sursaut : si l’Europe veut encore peser sur l’échiquier mondial, elle doit cesser de jouer petit bras et mobiliser des moyens à la hauteur des défis économiques et géostratégiques. Alors que les plaques tectoniques de la géopolitique bougent, les initiatives européennes – telles qu’ InvestAI ou le plan d’action AI Continent – témoi- gnent d’uneprisede consciencedes enjeux technolo- giques, stratégiques et économiques liés à l’IA. L’Unioneuropéennes’estfixél’objectifambi- tieuxdemobiliser 20milliards d’euros et de déployer5gigafactories,quisontquatrefois pluspuissantesquelesusinesIAclassiques. Par ailleurs, la réorientationgéopolitiquede l’Europe, sonautonomie accrue et unepoli- tique budgétaire proactive ont créé une dynamiquepositivebénéficiantdelapertede confianceenverslesÉtats-Unis:lesfluxversles actifs européens ont fortement augmenté ces derniers mois, portés par une image de stabilité et de prévisibilité. Comme je l’ai rappelé à l’occa- sionde l’événement Nexus 2025, “le Luxembourg doit se saisir de cette nouvelle dynamique. Petits en taille, nous devons voir grand. Nous avons l’ambition, la vision et les atouts pour devenir un hub européen incontournable de l’IA – un véritable LuxAIhub.” C’est précisément pour ces raisons, et afin d’accom- pagnerlegouvernementdansl’élaborationdelanou- vellestratégienationaleenmatièred’IA(publiéele19 mai dernier) que laChambredeCommerce apris les devants.Enseptembre2024,elleavaitlancéungroupe de travail réunissant acteurs privés et publics actifs dans le domaine. Dévoilé le 20 mai dernier, son rap- port « LuxAIhub » pose une condition préalable et préconise 30 recommandations pour propulser le Luxembourg au cœur de l’IAeuropéenne. Coordonner les initiatives au seind’une Plateforme IA Assurer la cohérence des actions déployées dans le cadre de la nouvelle stratégie nationale en matière d’IA déterminera en grande partie son succès sur le terrain. Or, les initiativesmenées à ce jour restent dis- persées et souffrent d’un manque de coordination entre les différents acteurs impliqués. Que faire ? Le rapport plaide pour la création, d’ici septembre 2025, d’une Plateforme IA placée sous le leadership du Premier ministre et dotée d’un budget dédié. Ce forumde discussion régulier entre pouvoirs publics, acteurs privés et acteurs du monde de la recherche auraitpourmissiondecoordonnerlesinitiativesnatio- nales et de garantir un suivi structuré de la mise en œuvre de la stratégie nationale enmatière d’IA. Sans unpilotagecoordonné,lesambitionsaffichéespeine- ront à se traduire en résultats concrets. Exploiter l’IAcomme levier de productivité La productivité du Luxembourg stagne depuis plus d’une décennie. L’IA, notamment générative, est un levierdeproductivitéquenousaurionstortdenepas exploiter.Aen juger par la 11e place du pays sur 174 économies de l’ AI Preparedness Index 2024 duFMI, les effets de l’IAsur la productivité pourraient se révéler considérables, enparticulier dans le secteur financier. À cet égard, la place accordée à l’IAdans la nouvelle stratégie, tant comme levier d’efficacité pour l’admi- nistrationpublique que comme facteur de compétiti- vité pour les entreprises engénéral, et pour le secteur financier en particulier, envoie un signal fort. S’agissantduvoletfinancier,lamobilisationconjointe des autorités financières publiques et des acteurs pri- vés est essentielle. Il en va de la compétitivité du sec- teur.Pourallerplusloin,lerapportproposedefaciliter l’implantation au Luxembourg – totale ou partielle – des projets de transformation par l’IA des grands groupes financiers internationaux. Renforcer et diversifier les financements Avec l’arrivéedeChatGPTfin 2022, une course effré- née aux investissements dans l’IA s’est engagée. Si la technologie n’est pas nouvelle, l’amélioration specta- culairedesescapacités,combinéeàsadémocratisation auprès du grand public, a provoqué une véritable ruée économique. Les géants américains de la tech n’ont pas tardé à réagir, multipliant les engagements financiers à coups de milliards, creusant ainsi leur avanceenmatièred’investissementsprivésdansl’IA. Dans le top 10 des plus grandes entreprises d’IApar capitalisationboursière,toutessont…américaines.La première entreprise européenne arrive loin derrière, à la quarantième place. Ce qui freine nos entreprises innovantes aujourd’hui, ce n’est pas l’ambition, mais l’accès rapide à des financements conséquents. Pour les garder en Europe et freiner la fuite de nos talents, le rapport appelle à un renforcement massif du financement privé. Attirer les front-offices des fonds de capital-investissement et de capital-risque au Luxembourg, faciliter l’investissement des parti- culiers dans ces classes d’actifs, renforcer les méca- nismes de co-financement public-privé sont autant demesures clés à instaurer sans tarder. Faciliter le passage de laR&D à la commercialisation AccélérerlepassagedelaR&Dàlacommercialisation, c’est faire de l’innovationunmoteur concret de crois- sance. A ce titre la création d’un Deep Tech Lab , une proposition formulée par le groupe de travail de la Chambre de Commerce et reprise par le Premier ministre,envoieunsignalfort.Soninscriptiondansla stratégie nationale en matière d’IA est à saluer. En regroupantchercheursetingénieurs,cecampustech- nologique permettra de valoriser l’excellence acadé- mique via la créationde spin-offs, le transfert techno- logique et de retenir les talents et compétences au Luxembourg. Concrètement, le rapport recommande la création d’un partenariat public-privé adossé à une structure existante et combinant fonds publics et investisse- mentsprivés.LeLuxembourgalesatoutspourdeve- nirunpaysd’innovationnumériqueettechnologique majeurenEurope.Pourcela,illuifautagirvite,fortet defaçoncoordonnée,àtraversunegouvernanceclaire et structurée. Il en va de notre compétitivité écono- mique,denotrecapacitéd’innovationetdenotresou- veraineté numérique. *https://www.carlothelenblog.lu/ Investir dans l’IA : des actes et rapidement ! L ’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage automa- tique sont riches en pro- messes, mais les primo-adop- tants doivent s’assurer de com- prendre le problème qu’ils sou- haitent résoudre Par Michael LENGENFELDER , Global SolutionArchitect FP&A, Unit4 Parfois, les technologies émergentes empruntent des itinéraires inhabituels, voiretortueux,avantdeconnaîtreunsuc- cès commercial. Par exemple, la décou- verte des rayons X parWilhelmRöntgen donnaautrefoisnaissanceàunimportant marché de niche précoce, avec la création d’appareils demesure des pointures des- tinés aux magasins de chaussures. Les magasins utilisèrent ces « fluoroscopes » ou « pé-doscopes » pendant des décen- nies,avantqu’ilssoientinterditsdanscer- tains pays durant la seconde moitié du vingtième siècle. Outre lespréoccupations évidentes liées à l’expositiondesclientsauxrayonnements, cet exemple révèlequepersonnene s’était vraiment interrogé sur le problème que permettrait de résoudre cette technologie. Il ne fait aucun doute que les mètres à rubanétaient (et demeurent) une solution adéquate pour mesurer la pointure, et ne nécessitent pas d’investir dans une tech- nologiecoûteuse.Ilsepeutquel’onassiste aujourd’hui à un phénomène similaire, tandis que l’IA est testée dans une multi- tude de scénarios d’utilisation spéculatifs. Le danger pour les équipes financières, commelesoulignelerapportd’étudeIDC InfoBrief « The Path to AI Everywhere: Exploring the Human Challenges », est que la plupart des projets de démonstra- tion de faisabilité associés à l’IAn’ont pas atteint la phase de production. Par consé- quent, lorsque les responsables financiers réfléchissent au déploiement de l’IA, ils doivent éviter la tentation de se laisser séduire par l’engouement généralisé et prendre le temps d’évaluer correctement lemeilleur scénariod’utilisation. Lorsque l’IA rencontre la finance Les partisans du déploiement de l’IA au seindesdépartementsfinanciersconsidè- rent que la technologiepeut aider à traiter les priorités essentielles que constituent l’automatisation, l’établissement de prévi- sions et l’innovation. L’IA devient déjà plus visible dans les processus adminis- tratifs, parfois même à l’insu des utilisa- teurs.Leséquipesexplorentsonutilisation dans des domaines tels que les mesures anti-fraude, la détection d’anomalies, les chatbots de service interactifs, le remplis- sageautomatisé,sansintervention,defor- mulaires de gestion des dépenses, le trai- tementdesfacturesetd’autresapplications également. Cependant, cette fonction particulière- mentréglementéeexigeuneattentionpar- ticulière. Les critiques pourraient affirmer que cette évaluation détaillée n’est guère que de l’aversion au risque, mais les pro- fessionnels de la finance rétorqueront qu’ilssontdepuislongtempsouvertsàl’in- novation. En réalité, ces derniers font éga- lement preuve d’un scepticisme de bon aloiàl’égarddespromessesformuléespar les fournisseurs de « solutions miracles » fondées sur la technologie. Les directeurs financiers travaillent donc enétroitecollaborationaveclesdirecteurs des services d’information afin d’évaluer dansquelsdomainesl’IApeutgénérerun retour sur investissement pertinent et de comprendre quels investissements dans la technologie et les compétences seront nécessairespourleconcrétiser.Ilexistede nombreuses zones d’ombre qui nécessi- tent un examen plus approfondi. Par exemple, comment savoir si nous pou- vons faire confiance à l’IA pour le traite- ment des données ? L’extraction et le par- tage des données et des processus seront- ils susceptibles d’entraîner la divulgation dedonnées à caractèrepersonnel ?Même les solutions apparemment pratiques et sûres peuvent entraîner des risques. Prenonsl’exempled’undirecteurfinancier qui souhaite adresser un message à son entreprise, mais doute de posséder les compétences linguistiques nécessaires à cette fin. Il demande à un service d’IA générative d’assembler ses idées sous la forme d’une prose cohérente, afin de gagnerdutempsetd’améliorerlalisibilité de son message. Mais que se passe-t-il si l’IA génère des hallucinations ou inter- prète incorrectement le texte d’origine ? Il va sans dire que les bonnes pratiques exi- gent de faire appel àun relecteur humain, maisalors,quelleséconomiespermetréel- lement de réaliser l’automatisation ? Un autre défi est celui des finances prévi- sionnelles. Tous les professionnels aime- raient avoir accès à des prédictions de résultatsfiscauxfondéessuruneexpertise judiciaire ; cependant, l’IA est encore loin de savoir prendre encompte lamultitude defacteursquientrentdanslaconstitution d’unbilanfinancier.Ellepeutêtrecapable d’alerter les collaborateurs sur la présence de problèmes potentiels, et elle excelle danslesapplicationsparticulièrementpré- visibles et délimitées ; toutefois, elle ne peut pas s’adapter aux événements de type«cygnenoir»(souvenez-vousdel’ab- sence de préparation de la plupart des entreprises aux confinements liés au covid) ou trouver systématiquement des aiguilles dans desmeules de foin. S’adapter au changement Le fait est qu’il existe, pour de nom- breuses tâches de grande ampleur que l’on envisage aujourd’hui d’attribuer à l’IA,desrisquesconsidérablesoudesfac- teurs inconnus. Cela demeurera proba- blement une constante jusqu’à ce que notre société, nos juridictions et nos expé- riencespratiquesnouspermettentd’avoir davantageconfiancedansledéploiement de cette technologie. Dans de nombreux cas, la solution la plus judicieuse consistera à accepter un compromis entre la primo-adoption, avec l’objectif de remporter un avantage concurrentiel, et un mandat de surveil- lance, en attendant que le cycle d’adop- tionde l’IAsoit unpeuplus avancé. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille se reposer sur ses lauriers. Les entreprises devraient tout mettre en œuvre pour améliorer les fondations sur lesquelles reposent la qualité et l’intégration des données, afin d’être prêtes lorsqu’une adoptionplus audacieusede l’IAdevien- dra nécessaire. Ellesdevraient également s’intéresser aux bénéfices immédiats qu’offre l’automati- sation des tâches routinières et admettre unevéritéancienne:lesnouvellestechno- logiesnedoiventpasuniquementêtredes jouetsdivertissants,maisdoiventpermet- tre de répondre aux difficultés opération- nelles actuelles et attendues. Commencez par vous demander où se situentcesdifficultésetensuiteseulement, réfléchissezàlafaçondontl’IA(etd’autres outils) peut y répondre, au travers de scé- narios d’utilisation ciblés et sûrs. Après tout, ce n’est pas sans raisonqu’en 1999, le magazine Time a classé le fluoroscope parmi les 100 pires idées du siècle... Plaider la cause de l’IAdans le secteur financier Abonnement aumensuel (journal + éditiondigitale) 1an(11numéros)=55€abonnementpourLuxembourgetBelgique-65€pourautrespays L’édition digitale du mensuel en ligne sur notre site Internet www.agefi.lu est accessible automatiquement aux souscripteurs de l’éditionpapier. 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