AGEFI Luxembourg - juin 2025

AGEFI Luxembourg 46 Juin 2025 IA / ICT ParRenaudBARBIER,ManagingPartner-Osons I l ne se passe plus une semaine sans qu’unpost triomphaliste sur LinkedInne proclame que l’intelli- gence artificielle va transformer notre manière de travailler, de conseiller, d’investir, voire de vivre. L’IAgé- nérative, enparticulier, semble devenue le nouvel étalonde modernité : qui n’y a pas re- cours est voué à l’obsolescence. Elle promet d’augmenter les re- venus, de remplacer les chargés de relationdans les banques, de piloter la gestionde fortune, de prédire les besoins clients avant qu’ils ne soient formulés…voire de rédiger cette tri- bune àma place. Pourtant, cette fascination parfois naïve masque une vérité fondamentale : l’IAn’est pas une baguettema- gique. Elle n’exonère ni de penser, ni de structurer, ni de maîtriser son métier. Elle est un outil, et comme tout outil, sa puissance dépend de l’usage qu’on en fait. Dans le monde de la banque, du conseil, des fa- mily offices, mais aussi pour le plombier ou l’artisan, l’IApeut être un formidable levier. Mais encore faut- il savoir pourquoi, comment et à quelles conditions l’utiliser.Cetexteestuneinvitationàprendredurecul. A replacer l’IA dans une perspective pragmatique, fondée sur l’expérience, la stratégie, l’humain. Car ce n’estpasl’intelligenceartificiellequifaitleprofession- nel, c’est la capacité de ce dernier à l’intégrer intelli- gemment dans une organisation robuste, des processus clairs et une culture de la responsabilité. L’IA : unoutil, pas une solutionuniverselle L’intelligence artificielle fascine, inquiète, enthou- siasme.Achaque révolution technologique, il y ades promesses de rupture, d’automatisation massive, de gain de productivité. Mais avec l’IA, la promesse est devenuemythe.Onl’annoncecommeleprochainmi- racle économique, censé régler les déficits de compé- tences, décupler la créativité, supplanter les experts, voire prédire l’avenir. C’est oublier que l’IA n’est pas unefin.C’estunmoyen,unoutil.Puissant,certes,mais dépendant de lamainet de l’esprit qui leguident.Un algorithme, aussi complexe soit-il, ne remplacepas la compréhensioncontextuelle,l’éthique,nimêmelebon sens. Il exécute. Il prédit.Mais il ne juge pas. Dans la banque, on lui prête la capacitéde remplacer les chargés de relation. Dans les family offices, celle de piloter l’allocation d’actifs ou d’optimiser les suc- cessions. Chez les artisans, de prendre les appels et faire la facturation. Mais dans tous ces cas, l’IA n’est qu’un levier. C’est l’organisation humaine qui lui donnesadirection,sonefficacité,savaleur.Tropsou- vent, les décideurs s’emballent pour l’outil avant de sedemanderàquoiildoitservir.UnCRMaugmenté parl’IAnesauverapasunerelationclientdéfaillante. Unmodèle de scoring ne corrigera pas des données inexactes. Lapremièreresponsabilitéestdedéfinirunestratégie claire,decomprendrelebesoin,etseulementensuite, de voir comment l’IA peut y répondre. Le mirage d’une IAgénéraliste et omnipotente est dange- reux, car il conduit à des investissements dé- connectés des réalités opérationnelles. Le vrai progrèsvientdel’articulationintelligenteentre la technologie et le savoir-faire humain. Ce n’est pas la puissance de l’outil qui compte, mais l’adéquation entre son usage et les be- soins réels du terrain. Les conditions d’une intégrationréussiedel’IA Pour que l’IAsoit un levierde création de valeur et non une coquille vide, il faut poser les bons fondements. L’expérience montre que les projets d’IA qui échouentontrarementpéchépartech- nologie.Ilséchouentparcequ’ilssontmalan- crés dans l’organisation. Trois piliers conditionnent une intégration efficace : La qualité et la gouvernance des données . L’IA est affaméededonnées.Ellen’adevaleurquesielles’ali- mente de flux riches, fiables, actualisés —et surtout contextualisés. Or, trop d’entreprises se lancent dans des projets d’IA avec des données incomplètes, cloi- sonnées ouobsolètes, sans stratégiede gestion claire. Les silos organisationnels persistent, les systèmes d’information sont fragmentés, et les responsabilités quant à la qualité ou la traçabilité des données sont souvent floues. Prenonsl’exempledeplusieursétablissementsdecré- dit ayant mis en place des moteurs d’octroi de prêts automatisés : en l’absence de données uniformisées entre les agences ou les canauxdigitaux, lesmodèles ontproduitdesdécisionsincohérentes,générantfrus- trationclientetalertesréglementaires.Demême,cer- tains assureurs ayant voulu automatiser la détection de fraude se sont heurtés à des écarts entre les don- nées collectées au niveau local et les modèles cen- traux, ce qui a conduit à des taux d’alerte inutiles et unepertedecrédibilité.Lagouvernancedesdonnées ne peut donc plus être un sujet secondaire. Elle im- plique la mise en place de référentiels unifiés, de rè- gles de qualité, de droits d’accès bien définis, et surtoutd’unpilotagestratégiqueàlahauteurdesen- jeux. Sans cette fondation, les algorithmes les plus avancés resteront aveugles ou erratiques. Comme toutetechnologied’analyse,l’IAamplifiecequ’onlui donne : si l’entrée est biaisée ou erratique, la sortie le sera aussi—à grande échelle. Lamaturitédesprocessus .Automatiserunprocessus malconçu,c’estenamplifierlestravers.L’exemplede certaines grandes banques ayant voulu accélérer la gestiondesdemandesdecréditviadessystèmesd’IA sans avoir au préalable uniformisé les critères d’ana- lyseoufiabilisélesdonnéesclientsestparlant:lesdé- cisions automatisées sont devenues incohérentes, provoquantdesretards,desincompréhensions,voire des recours juridiques. DanslesecteurRHégalement,certainsoutilsd’IAuti- lisés pour filtrer les CV ont reproduit voire accentué des biais de genre ou d’origine, car entraînés sur des donnéeshistoriquesnonneutres.Cesratésnerelèvent pasd’unedéfaillancetechnologique,maisd’unesous- estimationdel’importancedudesignorganisationnel préalable à toute automatisation.Avant de greffer de l’IA, il faut clarifier les chaînes de valeur, définir les points de friction, cartographier les responsabilités. Une IA bien intégrée est une IA qui s’insère harmo- nieusement dans desworkflowsmaîtrisés. La pertinence des cas d’usage . Le succès d’un projet IA repose souvent sur la pertinence du cas d’usage initial. Mieux vaut un modèle simple, résolvant un problème concret avec des gainsmesurables, qu’une promesse démesurée impossible à tenir. L’effet d’en- traînement vient du terrain, pas du discours. Prenons l’exemple d’une société de logistique ayant mis en place une IApour optimiser les tournées de livraison. L’objectif était clair, les données disponi- bles, les indicateurs de succès bien définis (temps de trajet réduit, tauxde satisfaction client amélioré). Résultat : un retour sur investissement rapide, une appropriation par les équipes terrain, et une crédi- bilité renforcée en interne. À l’inverse, plusieurs projets d’IAdans le secteur pu- blicontéchouéfauted’uncasd’usageclair.Unminis- tère avait initié un projet de traitement automatique des demandes administratives sans s’accorder sur les critères d’acceptabilité des réponses générées. Le flou surlesobjectifsaconduitàdesrésultatsinexploitables etàunedémobilisationdesagents.Lapertinenced’un cas d’usage repose donc sur trois éléments clés : une douleurbienidentifiée,desdonnéesdisponiblesetde qualité,etdesbénéficiairesprêtsàexpérimenter.L’IA, pourréussir,doitsemettreauserviced’unbesoinréel, exprimé par lemétier et validé par l’expérience. Sans cela, elle reste un exercice de style technologique. Enfin, l’implication des utilisateurs finaux est déci- sive. Trop souvent, l’IAest conçue comme unprojet IT, au lieu d’être une démarche transversale. Il faut impliquer lesmétiers, tester enconditions réelles, ité- rer, corriger. L’IA est un processus vivant, pas un produit figé. L’importance de la formation et de l’accompagnement L’IAn’estpasunoutilàconsommerenplugandplay. Elle impose une montée en compétence collective. Il ne s’agit pas de former quelques data scientists dans leur coin, mais d’acculturer l’ensemble de l’organisa- tion.Former,cen’estpastransformertouslescollabo- rateursencodeurs.C’estleurdonnerlesclésdelecture pour comprendre ce qu’est un modèle, comment il fonctionne, quelles sont ses limites. C’est apprendre à poserlesbonnesquestionsàl’IA,àdétecterlesbiais,à interpréter ses réponses avec recul. C’est, en somme, réconcilier l’esprit critique et la technologie. La formation doit être adaptée aux rôles : décideurs, opérationnels, responsables IT ou compliance n’ont paslesmêmesbesoins.L’enjeuestdedévelopperune littératie IA à tous les niveaux, afin que les projets ne soient pas bloqués par l’incompréhension ou la mé- fiance.Mais au-delàde la formation, il y a l’accompa- gnement. L’IApeut créerde l’inquiétude, durejet, ou simplement de la résignation. Il faut accompagner le changement,expliquer,répéter,montrerlesbénéfices concrets, associer les équipes à la co-construction des solutions.C’estunedynamiquehumaineavantd’être technologique. Les organisations qui réussissent leur transformation par l’IA sont celles qui créent des es- pacesdedialogue,detest,d’erreuretd’apprentissage. Ce sont celles qui font de l’IAune aventure collective. L’IAdans une stratégie globale Le plus grand piège de l’IA, c’est le solutionnisme. L’idéequ’unoutil,aussiperformantsoit-il,puissesup- pléer une absencedevision.Or l’IAn’ade sens que si elle s’inscrit dansune stratégieglobale, alignée sur les priorités de l’organisation. Tropd’entreprises lancent desPOC(proofofconcept)sansplandedéploiement, sansmétriques claires, sans gouvernance. Ces projets créent de ladéception, et finissent dansdes “IA-labs” oubliés. Pour éviter cela, il faut définir un cap : quels sont les problèmes prioritaires ? Quels indicateurs veut-onaméliorer?Quellesressourcessommes-nous prêts àmobiliser ? L’IAdoit être articulée avec les au- tres leviersde transformation : digitaux, humains, or- ganisationnels. Elle n’est pas une échappatoire à la complexité, mais un outil demise enmusique d’une stratégie solide. Elle oblige à revisiter ses modèles de fonctionnement,sesrôles-clés,sescircuitsdedécision. Enfin, l’IA doit être gouvernée. Cela signifie des co- mitésd’éthique,desrèglesdetransparence,desaudits, des limites claires. Le règlement européen sur l’intel- ligence artificielle (AI Act), entré en vigueur en août 2024, établit un cadre juridique structuré pour enca- drer le développement et l’utilisation des systèmes d’IAauseindel’Unioneuropéenne.Cerèglementre- posesuruneapprochefondéesurlesrisques,classant les systèmes d’IA en différentes catégories (risque inacceptable, élevé, limité, minimal) et imposant des obligations proportionnées à leur niveau de risque. Par exemple, les systèmes àhaut risquedoivent satis- faire à des exigences strictes en matière de transpa- rence, de sécurité, de supervision humaine et de gestion des risques, incluant des évaluations de conformitéetdesauditsréguliers.Cecadreréglemen- taire vise à garantir une IA éthique, transparente et digne de confiance, tout en favorisant l’innovation et lacompétitivitéauseindel’UE.Laconfiancesegagne parlarigueur.UneIAsansstratégie,c’estdelapoudre aux yeux. Une IA bien gouvernée, c’est un avantage compétitif durable.. Conclusion L’intelligence artificielle est une chance, mais elle n’est ni magique ni automatique. Elle s’inscrit dans une chaîne de valeur plus large, où les fondations humaines, organisationnelles et stratégiques comp- tent tout autant que les algorithmes. Il ne suffit pas de disposer de l’outil, encore faut-il maîtriser l’arti- sanat qui va avec. Les entreprises et institutions qui tireront véritable- mentpartidel’IAserontcellesquiaurontsucombiner ambition technologique, exigence opérationnelle et humilitéstratégique.Cellesquiaurontplacél’humain au cœur de leur démarche. Car ce n’est pas l’intelli- genceartificiellequicréedelavaleur,c’estl’intelligence collectivequilametenœuvreintelligemment.Etpuis, convenons-en:nouspourronsreprendreladiscussion sur la toute-puissance de l’intelligence artificielle le jouroùellesaura,sansassistancehumaine,distinguer un client mécontent d’un plaisantin, interpréter un non-dit dans une négociation, ou détecter qu’un si- lence en réunion vaut plus qu’un discours. Bref, lorsque l’IAsera…vraiment intelligente. L’IAà toutes les sauces… et parfois sans recette A u début de cette année, la FEDIL, en collaboration avec le Luxembourg Di- gital Innovation Hub (L-DIH) et Luxinno-vation, a mené une en- quête à l’échelle nationale pour évaluer la pénétration et l’impact de l’intelligence artificielle (IA) et de l’IA générative (GenAI) dans le paysage industriel luxembourgeois. L’enquête a recueilli les réponses de 114 entreprises issues d’un large éventail de secteurs, dont l’industriemanufacturière (28%), les TIC (16%), la construction (16 %) et le transport et la logistique (11 %). Des entreprises de toutes tailles étaient représentées,allantdespetitesentreprises de 1 à 10 employés aux grandes sociétés de plus de 1000 employés. L’IAconsidérée comme un atout stratégique Les résultats mettent en évidence une forte croyance dans la capacité de l’IA à conduirelatransformationdel’entreprise. Les répondants prévoient que l’IA amé- lioreraconsidérablementl’optimisationet lecontrôledesprocessus,toutengénérant des gains financiers. Les avantages atten- dus en termes de réduction des coûts et d’efficacité des processus sont particuliè- rement prononcés dans le secteurmanu- facturier,où8entreprisessur10prévoient des améliorations tangibles. Unpourcentageremarquablede63%des entreprises interrogées se situent à un stade plus avancé en termes de maturité del’IA,cequireflèteuneapprocheproac- tive de l’exploitation de l’IApour la réus- site de l’entreprise. Le secteur de l’indus- triemanufacturièremontreun fort intérêt pour l’IA, mais encore de la prudence dans la mise en œuvre. En revanche, les secteurs axés sur la technologie, tels que lesTIC, affichent desniveauxélevésd’in- tégration de l’IA. L’IA générative est largement perçue comme une opportunité par les entre- prises et les utilisateurs individuels. Une majorité d’entreprises embrasse la révo- lution de l’IA générative, reconnaissant son potentiel pour accroître la producti- vité, améliorer le service à la clientèle et rationaliser les processus internes. La gouvernance gagne du terrain : plus de la moitié des entreprises interrogées déclarent avoir mis en place des poli- tiques formelles de gouvernance des données et de l’IA, marquant ainsi une étape vers une plus grande intégrité des données, la conformité réglementaire et l’atténuation des risques. Les défis structurels freinent le potentiel d’adoption Malgré ces perspectives optimistes, plu- sieurs défis continuent d’entraver l’adoption généralisée de l’IA. - L’accessibilité et la qualité des données restent des obstacles majeurs. De nom- breuses entreprises peinent à rassem- bler les ensembles de données fiables nécessaires à la mise en œuvre de solu- tions d’IA. - Lemanque d’expertise interne et la dif- ficulté d’identifier les cas d’utilisation à fort impact freinent encore l’élan. Cette situation est le reflet d’un fossé plus large enmatièredematurité numérique. - L’écosystème de l’IA est encore frag- menté. La visibilité limitée des acteurs clés, combinée à une inadéquation entre l’offre de formation à l’IA et la demande des entreprises, limite les efforts d’expansion. - La souveraineté des données devient une préoccupation stratégique. Le fai- ble taux d’hébergement local des outils de GenAI soulève des questions quant à la sécurité et à la conformité régle- mentaire. Ce qu’il faut faire pour tirer pleinement parti de l’IA Les résultatsde l’enquêtemontrent que le secteur industriel luxembourgeois s’en- gage clairement dans son potentiel de transformation. La dynamique est réelle, mais les défis le sont tout autant. Si l’opti- misme prévaut, l’enquête souligne le besoin urgent de traduire cet enthou- siasme en unemise enœuvre durable. Pour y parvenir, les entreprises doivent pouvoir avoir recours à des initiatives de formation ciblées qui contribuent à com- bler les lacunes actuelles en matière de connaissances et à développer l’expertise interne. Une plus grande visibilité et une meilleurecoordinationdansl’ensemblede l’écosystèmede l’IAsont essentiellespour améliorer l’accès aux acteurs pertinents et aux réseaux de soutien. Parallèlement, l’adoption plus large et plus cohérente de cadres robustes de gouvernancedes don- néesetdel’IAestessentiellepourgarantir l’intégritédesdonnées,laconformitérégle- mentaire et undéploiement éthique. Les résultats complets de l’enquête sont accessibles sur le site web de la FEDIL, https://lc.cx/mlZd1p Adoption de l’IA / GenAI dans l’industrie luxembourgeoise (enquête FEDIL) : La dynamique s’intensifie, mais des lacunes subsistent urvey results: S Generat Perspe du y ive AI in in str es on ctiv AI and

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