Agefi Luxembourg - février 2025
AGEFI Luxembourg 42 Février 2025 Droit / Emploi ParM e AlessiaBORDON,AvocatàlaCour,Associate chez Castegnaro – Ius Laboris Luxembourg D ès la signature du contrat de travail, le salarié s’interdit de nuire aux intérêts de son em- ployeur pour la durée de sonoccu- pation au seinde l’entreprise, sans qu’il ne soit nécessaire d’intégrer de clause spécifique au contrat. Cette interdictiondécoule de l’obligationde bonne foi inhé- rente au contrat de travail, qui inclut notamment une obliga- tionde loyauté et de fidélité. Une fois que le contrat de tra- vail a pris fin, ou dès la dis- pense de travail pendant le préavis suivant la rupture du contrat (1) , le salarié re- trouve son entière liberté d’entreprendre et de travailler (2) . Toutefois, l’employeur peut avoir un intérêt légi- time (3) à protéger son entreprise contre d’éventuels risques concurrentiels émanant d’un salarié après la rupture des relations professionnelles. L’obligationde non-concurrence postérieure aux relations de travail Une clause de non-concurrence a pour objet d’inter- dire au salarié, « pour le temps qui suit son départ de l’en- treprise,d’exercerdesactivitéssimilairesafindenepasporter atteinte aux intérêts de son ancien employeur en exploitant une entreprise personnelle » (4) . Afin de permettre à l’em- ployeur de protéger ses intérêts légitimes, leCode du travail lui offre la possibilité de prévoir, au sein du contratdetravailoud’unavenant,uneclausedenon- concurrence qui viendraprendre le relais de l’obliga- tiondeloyautédusalariéaprèslarupturedesrelations professionnelles. L’obligationdenon-concurrencerégieparleCodedu travail n’est assortie d’aucune contrepartie financière de la part de l’employeur, mais elle est strictement li- mitée à l’interdiction d’exercer une activité indépen- dante (par exemple : l’activité de consultant), durant unepériodemaximalededouzemois,etuniquement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Cetteclauseestopposableausalariédontlesalairean- nuel est supérieur à 6.817,07.-EUR à l’indice 100 (5) au moment de sondépart de l’entreprise. Afin de remédier à cette protection partielle, l’em- ployeur a la possibilité d’étendre le champ d’applica- tion de la clause de non-concurrence, sous certaines conditions supplémentaires. L’obligation de non-concurrence élargie L’employeurpeut étendre lazonegéo- graphique de la clause, sa durée d’ap- plication, ou même interdire au salarié de travailler pour le compte d’uneentrepriseconcurrente,en qualitéde salarié ce, sous cer- taines conditions (6) : - l’engagement de non- concurrence doit rester li- mité dans le temps et dans l’espace ; et, - l’interdiction de concur- rencedoit être compenséefi- nancièrement. Dans leur appréciation de la validité d’une clause de non-concurrence dite «élar- gie», les juges effectueront, au cas par cas, un contrôle de proportionnalité entre la protection des intérêts légitimes de l’employeur, et l’atteinte à la liberté de travailler du salarié (7) . L’interdiction doit ainsi être limitée géographiquement aux lo- calités où le salarié peut faire une concurrence réelle à l’employeur, en considérant la nature de l’entreprise et son rayon d’action. Une clause de non-concurrence trop étendue n’encourra pas la nullité, mais un juge pourrait en réduire le champ d’application à ce qu’il estimera objectivement plus proportionné. Dans l’hypothèse où un juge réduirait la portée d’une clause de non-concurrence étendue, l’em- ployeur ne pourra solliciter ni la réduction de la contrepartie financière (8) , ni la nullité de la clause de non-concurrence pour déséquilibre manifeste entre les parties (9) . La jurisprudence estime en effet que, tout comme pour le régime légal de la clause de non-concurrence, l’intention du législateur est de protéger le salarié, et non pas de « placer le salarié et l’employeur sur un pied d’égalité » (10) . Il est donc primordial que l’employeur évalue de façon adéquate les champs d’application spatial et temporel de la clause de non-concurrence élargie, en fonction notamment du périmètre d’activité de son entreprise, sous peine, en cas de litige, d’une adaptation de la clause en faveur du salarié. L’employeur devrait aussi se réserver la possibilité de renoncer à la clause de non-concurrence élargie. Eneffet, prévoir une telle optionau seinde la clause de non concurrence élargie lui permettra de ne pas verser l’indemnité de non-concurrence s’il estime que ledépart du salariéne représente aucundanger concurrentiel, ou s’il considère que la contrepartie financière représenterait finalement un coût trop élevé pour l’entreprise. L’indemnité compensatrice et les conséquences du non-respect de l’obligation de non-concurrence élargie Dès lors que l’employeur n’a pas renoncé à la clause de non-concurrence ou n’y a pas renoncé dans les délais, et que le salarié a respecté son obligation de nepas concurrencer son ex-employeur, l’indemnité compensatrice est due. Elle serait également due au salarié encasde clausedenon-concurrenceultérieu- rement jugée illicite, l’indemnité étant alors une ré- paration de l’atteinte à la liberté du salarié d’exercer une activité professionnelle (11) . Quant auxmodalitésdepaiement de l’indemnitéde non-concurrence, celles-ci sont librement détermi- nées par les parties dans le contrat de travail, ou dans l’acte juridique ultérieur le cas échéant. Il pourrait par exemple s’agir d’un versement unique au moment de la rupture du contrat. Dans ce cas, le salarié qui ne respecterait pas l’interdiction de non-concurrence ne pourrait conserver que le montant de l’indemnité correspondant à la période durant laquelle il a respecté son obligation de ne pas faire concurrence à sonancien employeur. Il de- vrait en toute logique rembourser à l’employeur le montant de l’indemnité compensatrice couvrant la période de violation de son engagement de non- concurrence. Afinde s’éviter des tracas liés à des poursuites judi- ciaires en recouvrement de la contrepartiefinancière indûment versée, il est possible de prévoir un paie- ment de l’indemnité compensatrice sous formed’un versement unique à la fin de la période d’interdic- tionde non-concurrence, sous réserve que le salarié ait respecté son obligation. Toutefois, il convient de noter que les juges ne se sont pas encore prononcés sur une tellepossibilité, et que la jurisprudence fran- çaise l’exclut expressément : l’employeur nepouvant différer le paiement de la contrepartie à l’issue de l’obligation de non-concurrence (12) . Il serait doncplus judicieuxdeprévoirunversement périodique s’échelonnant sur la durée d’application de la clausedenon-concurrence, àdes échéancesdé- terminées (p.ex. mois, trimestres, semestres). Ainsi, l’éventuelle violation de la clause au cours de la pé- riode couverte permettrait à l’employeur d’inter- rompre immédiatement les versements. Dansune tellehypothèse, l’employeur pourrait éga- lement agir en justice sur base des articles 1142 et 1143 du Code civil et solliciter : d’une part, la condamnationdusalariéàluiverserdesdommages- intérêts pour le préjudice causé par la violation de son obligation de non-concurrence, d’autre part, le voirenjoindreàcessersonactivitéconcurrente,éven- tuellement sous astreinte. La responsabilité délic- tuelle du nouvel employeur qui aurait sciemment engagé un salarié en violation d’une clause de non- concurrence pourrait également être engagée. Concernant l’hypothèse d’une activité salariée concurrente, la question se pose de savoir si les juges pourraient également condamner un salarié à quitter son nouvel emploi. Les juridictions luxembourgeoises ne se sont pas encore pronon- cées sur une telle possibilité. En revanche, du côté français, la Cour de cassation admet que les juges puissent ordonner au salarié, sous peine d’astreinte, de rompre toutes relations professionnelles avec la société pour laquelle il tra- vaille (13) , sans toutefois pouvoir prononcer eux- mêmeslarésiliationdunouveaucontratdetravail (14) . Il est à noter qu’en tout état de cause, la preuve de la violation d’une clause de non-concurrence incom- bera à l’employeur. UneanalysedétailléedecetteproblématiqueparCastegnaroest disponible au sein de l’édition du mois de novembre 2024 de la RevuePratiquedeDroitsocial(Legitech). 1) Cour d’appel, 4 avril 2019, arrêt n° 44/19, n° CAL-2018-00249 durôle. 2)Nousrappelonstoutefoisquelaconcurrencedéloyalerestein- terditeaprèslarupturedelarelationdetravail. 3) Cette notion d’«intérêt légitime» n’est pas précisément définie préciseetpeutêtredéterminéeaucasparcas(parexemple,lapro- tectiond’unsavoir-faire). 4)ArticleL.125-8duCodedutravail. 5) Au 1 er janvier 2025, le seuil de cette rémunération est fixée à 64.382,45.-EURbrutsannuels. 6) Les conditions de validité légales de la clause de non-concur- rence, liées à la nécessité d’un écrit, à l’âge et au niveaude rému- nérationdusalariérestentégalementapplicables(voirencesens: Clausedenon-concurrence«élargie»:unrégimeconstruitparlejuge? , parMeChristopheDomingos). 7) Cour d’appel, 20 décembre 2018, arrêt n° 154/18, n° 44974 du rôle. 8) Ibidem . 9)Courd’appel,7 janvier2016,n°41659durôle. 10) Ibidem ; Tribunal du travail de Luxembourg, 15 juin 2023, n° 1729/23. 11) Cour de cassation française, chambre sociale, 22mai 2024, n° 22-17.036. 12) Cour de cassation française, chambre sociale, 2mars 2005, n° 03-42.321. 13)Courdecassationfrançaise,chambresociale,13 janvier1998, n°95-40.732. 14) Cour de cassation française, chambre sociale, 13mai 2003, n° 01-17.452. Comment l’employeur peut-il protéger son entreprise face aux risques concurrentiels d’un salarié après la rupture du contrat de travail ? D ’après le nouveau rapport duCapgemini Research Institute, “Navigating un- certaintywith confidence – Invest- ment priorities for 2025” (Naviguer dans l’incertitude avec confiance - Priorités d’investissement pour 2025), publié le 20 janvier, dans un contexte d’incertitude persistante de l’environnement demarché, les cadres dirigeants se sentent plus positifs quant aux perspectives de leur entreprise.Malgré l’impératif demaîtrise des coûts, cet opti- misme entraîne une augmentation des investissements au global, no- tamment dans les domaines de l’expérience client, des chaînes d’approvisionnement et de la dura- bilité, afinde favoriser l’innova- tion, l’efficacité, la compétitivité et une plus forte résilience. Un optimisme accru et des projets d’investissements axés sur la réductiondes coûts D’après le rapport, les cadres dirigeants se sentent plus confiants quant à l’année à venir qu’il y a 12 mois – 62% sont op- timistes quant aux perspectives de leur entreprise pour 2025, soit une hausse de 6 points de pourcentage par rapport à la même période l’année dernière et de 20 points depuis 2023. Cependant, ceux- ci ont plus confiance dans leur propre organisation que dans le marché dans son ensemble : seuls 37% d’entre eux restent optimistes quant aux perspec- tives de l’environnement opérationnel mondial au cours des 12 à 18 prochains mois, soit une légère hausse par rapport à l’année dernière. Dans le contexte ac- tuel d’incertitude économique, 56% pré- voientdedonnerlaprioritéàlaréduction des coûts plutôt qu’à la croissance du chiffre d’affaires en 2025. Pourautant,lesdirigeantssontconscients que ce changement nécessite des inves- tissements - la moitié d’entre eux décla- rent que leur entreprise prévoit d’augmenter ses investissements au glo- bal en2025, tandisqu’unpeumoinsd’un quart prévoit des niveaux d’investisse- ment inférieurs à ceux de 2024, et que le reste ne prévoit aucun changement. Priorité à l’expérience client et à des chaînes d’approvisionnement plus intelligentes La confiance des cadres dirigeants conti- nue à se porter notamment sur l’expé- rience client, suivie par l’ingénierie, la R&D et l’innovation - avec respective- ment prèsde 8 cadresdirigeants sur 10 et prèsdes troisquartsqui prévoient d’aug- menter leurs investissements dans ces domaines. Cependant, la plus forte accé- lération des investissements concerne la transformation des chaînes d’approvi- sionnement, où63%despersonnes inter- rogées déclarent qu’elles investiront davantage en 2025 (contre moins de la moitié en 2024), de 9,4%enmoyenne. Les chaînes d’approvisionnement de nouvelle génération intégreront l’IA et l’internet des objets (IoT) pour renforcer l’efficacité, réduire les déchets et soutenir les objectifs de durabilité d’une entre- prise, ainsi qu’améliorer la prise de déci- sion et réduire les coûts globaux. Répondre aux risques de tensions commerciales et douanières en 2025 Au niveau mondial, 7 cadres dirigeants sur 10 s’inquiètent de l’impact de la hausse des droits de douane et des ten- sions commerciales bilatérales sur la compétitivité de leur entreprise. Près de deux tiers d’entre eux s’inquiètent égale- ment de l’impact d’une éventuelleguerre commerciale mondiale sur les activités de leur entreprise et de son accès aux marchés. Les cadres dirigeants japonais et chinois sont les plus préoccupés par le risque d’augmentation des droits de douane et de différends commerciaux bilatéraux, et les moins préoccupés par une éventuelle guerre commerciale mondiale. Pour atténuer ces risques et renforcer leur résilience, la plupart des organisations à travers le monde diver- sifient leurs sources d’approvisionne- ment et/ou recourent au friendshoring*. Près de trois cadres dirigeants sur quatre réduisent déjà les risques liés à leurs chaînes d’approvisionnement en inves- tissant dans d’autres pays émergents afin de réduire leur dépendance à l’égard de la Chine, contre moins de la moitié l’année dernière. Parallèlement, près de deux tiers d’entre eux confirment aujourd’hui que le friendshoring représentera une part im- portante des stratégies d’approvisionne- ment et de production de leur entreprise en 2025 (contre 45% l’année dernière). Les climate tech au cœur des priorités d’investissement enmatière de durabilité Dans un contexte où investir dans la du- rabilité est de plus en plus considéré comme un moteur de croissance, de conformité et d’efficacité, mais qui est de plus en plus impacté par la géopolitique, 62% des cadres dirigeants (en hausse de 10 points de pourcentage par rapport à 2024) prévoient d’augmenter leurs bud- gets de durabilité, de 10,5%enmoyenne. Les domaines d’investissement priori- taires sont les climate tech (où72%desdi- rigeants prévoient d’investir davantage), qui incluent l’hydrogène, les énergies re- nouvelables, les batteries, lenucléaire et la captureducarbone.Parmicelles-ci,lesbat- teriessontentête(plusdelamoitiédesca- dres dirigeants les classant parmi leurs troisprioritésd’investissementsenclimate tech, enparticulier dans l’industrie et l’au- tomobile), suivies par l’énergie solaire. Outrelesclimatetech,lesautresdomaines de la durabilité où les investissements vont le plus augmenter sont la R&D et le développement de produits durables, la protection et la restauration de la biodi- versité, ainsi que la conservationet lages- tion de l’eau. Accélération des investissements technologiques avec l’IA et l’IAgénérative en tête Àl’échellemondiale, les entreprises amé- ricaines devraient devancer leurs homo- logues en termes d’investissements technologiques en 2025. Pour autant, les cadres dirigeants américains sont égale- ment plus susceptibles de penser qu’ils devraient investir davantage pour être compétitifs (84%) que leurs homologues européens (64%). En termesd’investisse- ments technologiques, près de 3 cadres dirigeants sur 4 classent l’IAet l’IAgéné- rativeparmi leurs trois technologiesprio- ritaires en 2025 - et encore une fois, davantage aux États-Unis. * Le friendshoring est une pratique commerciale où les réseaux de la chaîne d'approvisionnement se concentrent surdespaysconsidéréscommedesalliéspolitiquesetéco- nomiquesafinderéduiredavantagel'expositionaurisque. Lire lerapportcomplet : https://lc.cx/dnblpS Les cadres dirigeants optimistes pour leur entreprise en 2025
Made with FlippingBook
RkJQdWJsaXNoZXIy Nzk5MDI=