Agefi Luxembourg - décembre 2024
Décembre 2024 41 AGEFI Luxembourg Emploi / Droit L e World Digital Competitiveness Ranking 2024 de l’International Insti- tute for Management Development (IMD) vient de paraître. Ce classement de compétitivité situe les 67 pays couverts par l’édition les uns par rapport aux autres dans leur capacité à transformer leur gou- vernance et modèles économiques via les technologies digitales. Le World Digital Competitiveness Ranking com- prend 59 indicateurs dont 38 sont basés sur des données statistiques et 21 sont issus d’une enquête menée auprès des dirigeants d’entreprises. Les performances des pays sont évaluées sur base de 3 piliers : - «Knowledge», qui comprenddes indicateurs cen- trés sur la capacité du capital humain à compren- dre et à mettre en place de nouvelles technologies. - «Technology», axé sur le contexte réglementaire, financier et technologique permettant le dévelop- pement des technologies digitales. - «Future Readiness», ou le degré d’adoption des technologies par les gouvernements, les entreprises et la société en général Chacunde ces piliers comprend 3 sous-facteurs. Le classement général est issu de l’agrégation des ré- sultats de ces 9 sous-facteurs : Afin de refléter au mieux les évolutions des tech- nologies digitales et les contextes dans lesquels elles sont mises en place, l’édition 2024 intègre 5 nouveaux indicateurs : l’indicateur «Computer science education index», undécompte dunombre d’articles publiés sur l’intelligence artificielle par habitant, le nombre de lois relatives à l’intelligence artificielle, le nombre de serveurs internet sécuri- sés, la vue des dirigeants d’entreprises sur la capa- cité d’adaptation au changement de la société face à de nouveaux défis. De plus, l’indicateur relatif à la protection des don- nées est intégré à l’enquête menée auprès des di- rigeants d’entreprises. Séisme au classement général : les États-Unis aupieddupodium, les Pays-Bas dégringolent LeadersincontestésduclassementIMDdepuis2018, mis à part leur 2 e position en 2022, les États-Unis re- culent à la 4 e position, derrière Singapour, la Suisse et le Danemark dans ce classement 2024. La Suisse, 2 e , fait une entrée remarquée dans le pelotonde tête, suivie par le Danemark. A la 8 e place, les Pays-Bas enregistrent le recul leplus important du top10, per- dant 6 places par rapport au classement 2023. Le Luxembourg, 29 e , s’éloigne encore un peu plus de sa performance de 2019 (21 e ) et peine visible- ment à suivre le rythme des autres pays en ce qui concerne les transformations digitales . Dans les paysvoisins,lesévolutionsparrapportàl’annéeder- nière sont très hétérogènes. Si la France, en 20 e posi- tion, gagne 7 places, la Belgique recule de 6 rangs (21 e ). L’Allemagne, quant à elle, semaintient à la 23 e position. Indicateur de compétitivitédeplus enplus affirmé, il n’est pas surprenant que le top 3 de ce World Digital Competitiveness Ranking soit identique à celui du World Competitiveness Yearbook . Evolution du classement général du Luxembourg 2019-2024 La capacité de s’emparer de la transformation digitale, lemaillon faible duLuxembourg LeLuxembourgprogressesurle pilier«Knowledge» , une première depuis le classement de 2020. Au 24 e rang, il gagne 9 places par rapport à 2023. Il devance désormais l’Estonie (25 e ), le Portugal (29 e ) et figure juste derrière la Lituanie (23 e ). Malgré ces avancées, le pays reste derrière ses trois paysvoisins,laFrance,l’AllemagneetlaBelgiqueres- pectivement 22 e , 20 e et 18 e sur ce pilier. Surle sous-facteur«talent» ,lesparticipantsà l’Execu- tiveOpinionSurvey d’IMDfont progresser le pays sur l’environnement pro-business des villes (de la 20 e à la 15 e place). L’expérience internationale de la main- d’œuvre resteunatout important dupays (9 e ). En re- vanche,sonclassementsurleniveaudecompétences digitales et technologiques de la main-d’œuvre doit alerter. A la 34 e position en 2023, le Luxembourg est 37 e en 2024. On ne le répètera jamais assez, dans un contextederévolutiondigitaleetdedifficultésàtrou- ver les profils adéquats pour la mener à bien, la for- mation - tant initiale que continue - est un enjeu stratégique clé. Dans le sous-facteur «Formation & éducation» , la chute marquée du Luxembourg - de la 16 e à la 30 e place-surl’indicateur«formationdesemployés»ap- pelleàdesactionsrapidesetdegrandeenvergure.En revanche, le classement du Grand-Duché s’améliore légèrement sur la proportion de femmes diplômées (16 e , gain d’une place) et le faible ratio élèves/ensei- gnant dans l’enseignement supérieur reste un point fort du pays (1 er ). Fait marquant, le pays s’est nette- ment amélioré sur la proportion de diplômés dans les matières scientifiques et techniques en l’espace d’une année, passant de la 50 e à la 36 e place. Si les perspectives d’amélioration restent conséquentes pour répondre auxbesoins encompétencesde l’éco- nomie, ce bond en avant est encourageant. Le Luxembourg est 19 e sur lenouvel indicateur «Com- puter science education index», qui évalue les uni- versités et diplômés sur la scènemondiale. Enfin,lesrésultatsduLuxembourgpourle sous-fac- teur «Concentration scientifique» sont mitigés. On noteuneprogressionsurl’aspect«R&Dproductivity bypublication», soit le rapport entre le nombred’ar- ticles scientifiques et les dépenses de R&D, exprimé en pourcentage du PIB (+1 place) et la part des femmes chercheures (+4places). LeLuxembourgest 2 e , derrière Chypre, sur le nouvel indicateur «AI ar- ticles». En revanche, le classement sedégrade sur les dépensesenrechercheetdéveloppement(41 e ,contre 39 e en 2023) et l’octroi de brevets de haute technolo- gie (27 e , -2 places). A la 22 e position sur le pilier «Technologie» , le Luxembourgprogressede3placesparrapportà2023. Lepays reste toutefois loinderrière lepelotonde tête, à savoir Singapour, les États-Unis et Hong Kong.Au niveau du sous-facteur «Cadre réglementaire» (21 e place),touslesrésultatssontenbaisseouidentiquesà 2023, hormis un gain de 4 places sur la capacité des lois en matière d’immigration à soutenir le recrute- mentdelamain-d’œuvreétrangère(10 e ).Lesrésultats issus de l’enquête auprès des dirigeants d’entreprises se dégradent tout particulièrement. Même dyna- miquebaissières’agissantdelacapacitéducadrelégal àsoutenirledéveloppementdesapplicationstechno- logiques (19 e ) et à encourager l’innovation de la re- cherche scientifique (19 e ). L’application correcte des droits de propriété intellectuelle pourrait également, aux yeuxdes entrepreneurs, être améliorée (15 e ). Enoutre, le Luxembourg est 39 e sur le nouvel indica- teur«AIpoliciespassedintolaw».S’agissantdu sous- facteur «Capital» , la compétitivité du Luxembourg s’étiolesensiblementd’annéeenannée.Celasetraduit notammentpardesbaissesdeclassementquidoivent alerter.Lepaysperd7placessurladisponibilitédefi- nancement pour le développement technologique (29 e ). Les dirigeants d’entreprises interrogés tirent la sonnetted’alarmesurlesindicateurs«Bankingandfi- nancialservices»et«Venturecapital»pourlesquelsils placent le Luxembourg respectivement à la 56 e et 39 e position (sur les 67 économies participant au classe- ment IMD). Les performances du pays sur le sous- facteur «cadre technologique» sont plus encourageantes avec une remontée de 17 places. Le paysprogressedansl’utilisationdesréseaux4Get5G (passant de la 55 e à la 18 e position) et sur la vitesse moyennede sabandepassante (progressant de la 17 e à la 14 e place). Les entrepreneurs, quant à eux, jugent quelestechnologiesdecommunicationsontàlahau- teur de leurs besoins (16e, +6 places). Le pays est 16 e sur le nouvel indicateur «Secure internet servers». A la 40 e position, le Luxembourg enregistre son plus mauvaisrésultatsurle pilier«Futurereadiness» ,alors qu’il constituait une force du pays en 2023 (21 e ). En 2024, cette dégringolade s’observe sur les attitudes d’adaptation, l’agilité business et l’intégration IT. Sur le sous-facteur«Adaptativeattitudes» ,celasetraduit parunreculde37places,dûnotammentàunebaisse deperformancesurl’indicateur«e-participation»(53 e , -31places).Surl’agilité,lesentrepreneursrétrogradent nettement leLuxembourg tant sur la capacitédes en- treprises à réagir rapidement aux risques et opportu- nités (recul de 11 places) que sur l’agilité des entreprises (-15 places) ou encore l’utilisation par les entreprises des «bigdata&analytics»dans leur prise de décisions (-14 positions). En outre, le pays tombe à la 34 e place (-14 places) concernant la peur de l’échec entrepreneurial. Le constatn’estpasplusreluisants’agissantdu sous-fac- teur«intégrationIT» .Anouveau,lesrésultatsdel’en- quête auprès des entrepreneurs indiquent des difficultés en termes de soutien des partenariats pu- blic-privéaudéveloppementtechnologique(30 e )etun manquedepriseencomptedelacybersécuritéparles entreprises (23 e ). Par ailleurs, les statistiques mettent en avant les difficultés du Gouvernement à atténuer les dommages causés par les menaces cyber (41 e , -4 places par rapport à 2023). Source : Chambre de Commerce IMD World Digital Competitiveness Ranking 2024 : Il est temps d’inverser la tendance ! Source :IMD Source :IMD Par Halim MEGHARBI, Managing Partner , House of Compliance* L a création de l’AMLA (Anti- Money LaunderingAuthority) et lamise en place du nouveau pa- quet réglementaire européen ont gé- néré une véritable effervescence, marquant une étape attendue dans l’harmonisation de la lutte contre le blanchiment d’argent et le fi- nancement du terrorisme à l’échelle européenne. L’objec- tif : une surveillance unifiée et renforcée qui ambitionne de combler les failles de l’actuel système disparate. Cependant, au-delà de cet enthousiasme, des in- terrogations subsistent quant à la viabilité de cette nouvelle architecture. Certains observateurs re- doutent un simple ajout bureaucratique, un «mille-feuille réglementaire» créant des contraintes financières et administratives supplé- mentaires pour les petites structures, qui peinent déjà à absorber les exigences accrues en matière de conformité. Aux origines de la réforme : le constat d’une efficacité limitée Pour bien comprendre les ambitions de cette ré- forme, il est essentiel de revenir sur les raisons qui ont motivé cette refonte. Adoptée en mai 2018 et transposée dans les droits nationaux en janvier 2020, la 5 e Directive AML a rapidement révélé ses limites face à l’ampleur des scandales bancaires im- pliquant notamment Pilatus Bank, Danske Bank et ABLV Bank. Ces affaires ont exposé les fragilités du cadre réglementaire européen, en particulier la disparité des standards entre États membres. En effet, chaque pays transposait la direc- tive européenne selon ses propres normes.Ainsi, des juridictions comme la France et le Luxembourgmaintenaient des niveaux élevés de conformité, tan- dis que d’autres, telles que la Bulgarie ou la Croatie, faisaient face à des ca- rences sévères, conduisant certains de ces États sur la liste grise du GAFI. Cette disparité a contribué à l’ineffi- cacité du système, confirmée par des évaluations souvent miti- gées de la part du GAFI. C’est dans ce contexte qu’il est apparu nécessaire d’adop- ter une approche centralisée par un règlement unique (AMLR), dont l’application uni- forme garantirait une plus grande cohérence. La Commission euro- péenne a estimé que cette harmonisation ne pour- rait être pleinement efficace qu’avec la création d’une autorité de surveillance centralisée, l’AMLA. Une réponse européenne… sous pression géopolitique La création de l’AMLA résulte également d’un enjeugéopolitique. Les grands scandales financiers européens ont souvent été révélés non par des ré- gulateurs européens, mais par les autorités améri- caines, illustrant une faille dans la capacité de l’Europe à identifier et traiter ces risques. Cette situation a exercé une pression internationale qui a accéléré la prise de mesures au sein de l’UE. Cependant, alors que l’AMLA s’apprête à voir le jour, il convient de s’interroger sur sa capacité réelle à atteindre les objectifs ambitieux qui lui sont fixés. La question se pose de savoir si cette autorité sera à la hauteur des attentes, ou si elle risque de devenir un mirage incapable de surmonter les défis pratiques de sa mission. Les défis auxquels l’AMLApourrait se heurter 1. Des ressources humaines limitées pour des missions vastes L’AMLA prévoit le recrutement d’environ 430 agents. Bienque ce chiffre semble conséquent, il est largement insuffisant compte tenude l’ampleur des missions qui lui sont attribuées. Ces missions comprennent : - La supervision directe d’une quarantaine d’éta- blissements financiers en Europe, soit environ 1 à 3 par pays. - La coordination des cellules de renseignement fi- nancier (CRF) de chaque État membre. - L’élaborationde plus de 50 lignes directrices de ni- veau 2 pour standardiser les pratiques de LCB/FT. Ce sous-dimensionnement pourrait nuire à l’effica- cité opérationnelle de l’AMLA, laissant subsister des disparités dans l’application des normes. 2. Undéfide cohésion et d’identité institutionnelle En tant que nouvelle entité européenne, l’AMLA devra développer une culture institutionnelle forte pour mobiliser efficacement ses équipes, compo- sées de professionnels issus de divers horizons. L’exemple de la BCE est parlant : il a fallu plu- sieurs années pour que cette institution établisse une identité cohérente et surmonte les différences culturelles internes. Un tel processus pourrait ra- lentir les débuts de l’AMLA. 3. Des sanctions d’un impact limité Les sanctions prévues par l’AMLA s’échelonnent de 500.000 € à 2millions €, ou jusqu’à 10%du chif- fre d’affaires des entités visées. Cependant, ces montants restent modestes en comparaison des amendes que peuvent infliger les régulateurs na- tionaux, souvent bien plus dissuasives. Une ques- tion clé demeure : dans le cadre du principe non bis in idem , les sanctions locales pourraient-elles prévaloir sur celles émises par l’AMLA, limitant ainsi l’autorité effective de cette nouvelle entité ? 4. Des lignes directrices harmonisées, mais une mise enœuvre locale incertaine En théorie, l’AMLAet les régulateurs nationauxde- vraient aligner leurs lignes directrices. En pratique, cependant, la transposition de ces directives dans chaque pays prendra du temps et nécessitera des ajustements. Il est légitime de s’interroger sur la ca- pacité de l’AMLAà garantir que les régulateurs lo- caux appliquent effectivement ces nouvelles règles de manière homogène. 5.Coordinationcomplexeentrelesdifférentsacteurs La coopération entre les CRF, les régulateurs natio- naux et l’AMLA sera cruciale pour l’efficacité du dispositif. Cependant, le risque de conflits de com- pétences et de divergences de priorités entre les dif- férents pays pourrait freiner les efforts de coordinationet entraver lafluiditéde la coopération. Conclusion L’AMLA incarne une avancée théorique majeure dans la lutte contre le blanchiment d’argent au ni- veaueuropéen. Cependant, denombreuxdéfis sub- sistent avant que cette nouvelle autorité puisse atteindresonpleinpotentieletdevenirunacteurcen- tral de la régulation financière européenne. Sans des ressources suffisantes, une forte cohésion institutionnelleetuneharmonisationeffectivedesré- gulations locales, l’AMLA risque de rester une belle idée théorique, incapable de répondre aux attentes opérationnelles.Laquestionrestedoncouverte:cette initiative, en apparence prometteuse, sera-t-elle une réelle avancée ouunmirage réglementaire ? * https://houseofcompliance.lu/ L’AMLA : Vers une avancée ou un mirage réglementaire ?
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