AGEFI Luxembourg - mai 2025

Mai 2025 39 AGEFI Luxembourg Droit / Emploi Par M e Henry De RON, Membre du Petit Comité de la Conférence Saint-Yves etM e Nicolas DUCHESNE, Vice-Président de la Conférence Saint-Yves V élos attachés, casques sous le bras, c’est ainsi que de nombreux auditeurs ont rejoints le cadre accueillant de la Bibliothèque nationale du Luxembourg (BnL) qui a servi de forumà une conférence riche et sti- mulante sur les enjeux duvélo. Animée par des cyclistes profes- sionnels, des experts enurbanisme, des juristes et desmilitants associa- tifs, le vélo, au-delà de son image de loisir oude sport, s’est présenté sous toutes ses dimensions : outil de santé publique, solution envi- ronnementale,moyende transport démocratique et objet de droit. Les interventions de Frank Schleck, Frédéric Héran, Monique Goldschmit et Georges Ravarani, ont permis de dresser un panorama dense, mais cohérent des défis contemporains et futurs autour de la bicyclette. Quelques propos choisis permettront de rendre compte des idées fortes qui sont ressorties de cette conférence. Le vélo comme un engagement sociétal : témoignagedeFrankSchleck Ancien coureur professionnel, Frank Schleck a ouvert la conférence en rappe- lant combien sa passion pour le vélo dépasselaseulecompétition.Aujourd’hui coordinateur de la Fédération du Sport Cycliste Luxembourgeois et engagé dans la promotion de la pratique cycliste au quotidien,ilsoulignelepotentieltransfor- mateurdecemodededéplacement:amé- liorationdelasantépublique,contribution àlaluttecontrelechangementclimatique, et surtout, outil de liberté et d’autonomie accessible à tous. Soninterventionabrillammentmêléexpé- rience personnelle et appel à l’action col- lective. En insistant sur le choixde chacun à choisir le vélo, il a souligné combien celui-ci est porteurdevaleurs fortes –per- sévérance, résilience, humilité – et consti- tueuneécoledevie. Levélon’est pas sim- plement un moyen de transport d’un point A à un point B, c’est un sport, c’est une passion, unmode de déplacement et surtout une solution. Il s’agit selon lui d’une solution à certains des plus grands défis de notre époque, la santé, la durabi- lité, la congestion urbaine et les généra- tions futures. En adoptant le vélo, « nous choisissons la santé, la liberté et unmondemeilleur », a- t-il affirmé, dans unplaidoyer vibrant. Une hiérarchie desmodes repensée : démonstrationde FrédéricHéran L’économiste et urbaniste Frédéric Héran apoursuivienabordantlesenjeuxdepoli- tique publique liés au vélo. Sa thèse est claire : le système fondé sur la primauté de l’automobile atteint ses limites. Pollution, bruit, congestion, accidents, sédentarité,consommationd’énergieetde matières : les externalités négatives de la voiture sont connues, mais désormais insoutenables. Pour l’expert, une nouvelle hiérarchie des modes s’impose : d’abord lamarche, puis le vélo, ensuite les transports publics et enfinl’automobile.Cettehiérarchie,incar- née par l’acronyme flamand STOP ( Stappers (pédales), Trappers (pédales/ cyclistes), Openbaar vervoer (transport public), Privégemotoriseerdvervoer (voiture) en Belgique, structure déjà certaines poli- tiques publiques enEurope. Il insiste tou- tefoissurlanécessitédenepassecontenter d’aménagements cyclables symboliques, mais d’opérer une transformation pro- fonde de l’espace urbain. Il démontre, données historiques à l’ap- pui, que face au développement de l’au- tomobile et pour échapper à ses nui- sances, le vélo s’est réfugié en périphérie urbaine entre les années 1950 et 1970. Depuis lors, il connait un retour en cen- tre-ville grâce aux politiques d’apaise- ment de la circulation automobile qui ne cessent de progresser. Ce mouvement a commencé en Europe dans les pays les plus anciennement urbanisés (Pays-Bas etItalie)oùlavoitureperturbaitl’urbanité conquise de longue date, puis s’est pro- gressivement étendu à d’autres pays (Allemagne, Belgique, France…). Il a d’abord conquis les grandes villes, puis s’étend aux villes moyennes. Il a séduit en premier les milieux les plus éduqués particulièrement sensibles aux bienfaits du vélo, puis intéresse désormais les classes moyennes et même les milieux populaires. Lesaménagementscyclablesquiprennent de la place à la voiture complètent désor- mais les politiques de réduction du trafic motorisé. Il convient cependant de com- prendre,qu’àl’instardesautresmodesde transport,levéloestunsystème.Auxamé- nagements de voirie, il est nécessaire d’ajouter des services d’achat, de location, d’entretien, de formation des usagers et d’adapter la réglementation. Infrastructure et langage : les leviers d’un changement culturel selonMoniqueGoldschmit La présidente de l’association Provélo, la plus grande association cycliste au Luxembourg, a livré une intervention aussiengagéequ’exigeante,centréesurles obstacles à la pratique cycliste au Luxembourg. Elle a tout d’abord mis en lumière la violence quotidienne du sys- tème automobile, à travers des exemples d’accidents souvent présentés dans les médias de manière édulcorée : « un cycliste percuté par une voiture », quand il faudrait dire « un automobiliste a ren- versé un cycliste ». Ce choix du vocabu- laire n’est pas neutre : il dépolitise les res- ponsabilités et invisibilise les victimes. Pour elle, le changement culturel passe aussi par un changement lexical. Sur le fond, Monique Goldschmit pointe le décalage entre les discours politiques et la réalité des infrastructures. Le vélo, sou- vent relégué en fin de parcours dans la planification urbaine, pâtit d’un manque devolontéstructurelle.L’exempledesfeux de signalisation réglés prioritairement pour le trafic motorisé, ou des aménage- mentspensés «quand il restede laplace» illustre ce déséquilibre. Elle appelle à un véritable « réflexe vélo » dans toutes les décisions d’aménagement. Elle insiste aussisurlahiérarchieimplicitedesusagers et salue l’exemple britannique, où les conducteurs de véhicules les plus dange- reux (camions, voitures) portent une res- ponsabilité accrue dans la protection des plus vulnérables (piétons, cyclistes). Le droit du vélo : une responsabilité partagée, selonGeorges Ravarani L’ancienprésident de laCour administra- tive du Luxembourg, Georges Ravarani, a clos la conférence avec une intervention surlaresponsabilitécivileenmatièred’ac- cidents impliquant des cyclistes. S’il rap- pelle que le droit intervient surtout « quand les choses tournent mal », il a aussi démontré que ce droit reflète des choixde société implicites. Il a détaillé les régimes de responsabilité civile applicables, que le cycliste soit auteur ou victime d’un accident. En tant qu’auteur, le cycliste peut être tenu res- ponsable à titre personnel pour faute prouvée conformément à l’article 1382 du Code civil ou en tant que gardien d’une chose (le vélo). A titre d’exemple, si un cycliste touche avec sabicycletteun piéton ou qu’il le renverse, il engage sa responsabilité comme gardien de la chose dont il a lamaîtrise. Le contact avec une chose dont on a la garde crée une présomption de respon- sabilité à l’égard du gardien, c’est à dire que le gardien est responsable, sauf si ce dernier peut prouver qu’un cas de force majeure a causé l’accident. L’absence de faute du gardien ne suffit pas pour s’exonérer. Dès lors, s’il ne prouve pas qu’il y a une cause étrangère présentant des caractères de la forcemajeure, il reste responsable pour l’intégralité du dom- mage. S’il prouve une faute de la vic- time, il y a exonération partielle, ce qui implique unpartagedes responsabilités. Sur le fond, il appartient aux gardiens de s’exonérer. Il s’agit d’un mécanisme de responsabilité très lourde. L’article 1384 alinéa 1 er duCode civil, qui porte sur la garde des choses inanimées, ne s’applique pas au corps humain, mais seulement aux choses. Plus concrète- ment,lajurisprudence,favorableauxvic- times, a fait des artifices non pas pour dire que le vélo est leprolongement de la tête du cycliste. L’inverse est le cas : le cycliste est le prolongement du vélo. Si un cycliste heurte un piéton avec son épaule et le renverse en étant sur le vélo, c’est encore la responsabilité du fait des choses qui s’applique. En tant que victime, le cycliste peut béné- ficier d’un régime d’indemnisation favo- rable en bénéficiant du mécanisme de la présomptionderesponsabilitédugardien d’une chose enmouvement ou duméca- nisme de la responsabilité pour faute de l’auteur du dommage, respectivement en démontrantlerôleactifd’unechoseinerte (parexemple:undéfautd’aménagement). Mettant en évidence la vulnérabilité du cyclisteentantquevictimeouauteurd’un dommage, il plaide en faveur d’une « assurance responsabilité civile privée » (distincte de la responsabilité civile auto- mobile qui, elle, est obligatoire) pour cou- vrirlesaccidentscyclistes.Ilsouligneaussi le rôle des juges dans l’interprétation des situationsconcrètesparrapportauxrègles juridiques applicables, en citant des déci- sions illustrant la complexité du partage de voirie : dépassements dangereux, tra- verséesendehorsdesendroitsbalisés,por- tières ouvertes sans précaution. Enfin,ilrappelleencoreleprincipedepru- dence pour aborder la question du port obligatoire du casque. Est-ce vraiment prudent de recommander ou pas de por- teruncasque?Etjustement,martèlel’ora- teur, le comportement de la victime en droitdelaresponsabilitédoitêtrecomparé aucomportementd’unepersonnenorma- lement prudente et diligente. Quel aurait été son comportement ? Comment auraientréagilespersonnesprudentesqui se seraient trouvées dans les mêmes cir- constances ? En rapprochant cette situa- tion d’une jurisprudence sur le port de la ceinture de sécurité du temps que celle-ci n’était pas encore obligatoire, les juges ont retenu dans leur sagesse que si vous ne portezpaslaceinturedesécurité,lesdom- mages supplémentaires plus graves que vous avez subis restent à votre charge. Enguisedeconclusion,GeorgesRavarani met le public face au défi actuel de faire l’économie des procès de responsabilité, afin de délester les tribunaux et d’évoluer vers un système demutualisationglobale des risques. Cette question primordiale, ouvrantunlargedébat,auraitnécessitéun secondcolloque, alors qu’ellen’amanifes- tementpassaplacedanslecadred’uncol- loque consacré aux enjeuxduvélo. Conclusion : une écologie dudroit et de la ville La conférence a montré avec force que le vélo est bien plus qu’un mode de trans- port.Ilestunlevierdetransformationéco- logique, sociale, juridique. Pour que ce changement soit effectif, il ne suffit pasde slogans. Il faut une refonte de nos poli- tiques publiques, une revalorisation du droit comme outil de protection des plus vulnérables, et une culture partagée du respect de l’espace public. Les quatre interventions convergent vers une même exigence : penser le vélo comme un système à part entière, inté- grant les dimensions techniques, éduca- tives, juridiques et culturelles. Une approche holistique, seule à même de répondre aux défis climatiques, sani- taires et sociaux de notre époque. Alors, il pourrait donc nous appartenir de rejoindre lamême conclusion que Frank Schleck : « lepouvoir est entre vosmains – ou plutôt, sur vos pédales. » Les enjeux juridiques et sociétaux du vélo : regards croisés sur une mobilité d’avenir Paul Noël - Entrepreneur & Founder Swiss One Plus & Marc Ivanov - Founder Progems Swiss Mardi 17 juin de 11h45 à 14h15 Conférence Cercle Ecofin Club au Cercle Munster Protéger votre patrimoine avec de l’or et du diamant PAF : 75 € TTC pp (Apéritif networking & Lunch 3 services compris) À verser sur le compte bancaire : BIC - GEBABEBB - IBANBE73 0015 4949 3760 – Réf. 17/06 Lieu : Cercle Munster : 5-7 rue Münster, L-2160 Luxembourg Parking : Saint Esprit ou service voiturier à partir de 12h (service payant 10€). Info club & devenir membre : www.ecofinclub.lu - didier.roelands@ecofinclub.lu

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