Agefi Luxembourg - mars 2025

Mars 2025 39 AGEFI Luxembourg Droit / Emploi Opinion - By Adélaïde CHARLIER, activist, and co- founderofTheBridge&BrunoCOLMANT,member of the RoyalAcademy of Belgium G lobalization, once heralded as a source of prosperity through harmoniousmultilateralism, is fragmentingdaily. Conflicts, poli- tical polarizations, and alliances unravelingdisrupt the post- warworldorder. Legal scholar and philosopher Alain Supiot, former professor at theCollègede France,warns against the neoliberal assault through“governancebynum- bers”—the belief in the spon- taneous order of the market. He reminds us that this conviction has fueled ruthless competition, where everyone is pitted against everyone else. Elevating individual self-interest as the fundamental normundermines the commongoodand frugality, inevitably leading toviolence. Supiot goes even fur- ther, suggesting that capitalism seeks to eliminate thediversityof laws and territories, subjecting them uniformly to the totalizing logic of themarket. This, in turn, erases national solidarities andborders, im- posinga singular global order. Indeed, globalization has transformed homo politicus into homo eco- nomicus, or even homo numericus. The neoliberal market economy is inductive and fluid, de- void of political doctrine. It moves unpredictably, like a stockmarket fluctuation, amnesic andvolatile. It requires economic agents tobemobilemicro-cap- italists, trapped in systems that pit themagainst one another in absolute competition, solely focused on individual prosperity. Capital, in turn, canaggregate or fragment these individuals according to shifting circumstances and projections. In this dynamic, political consciousness fades, re- placed by an insatiable desire for consumption. The neoliberalmodel,amplifiedbyDonaldTrump’spres- idency,sustainsastateofmoralandsocietalunrest that onlyconsumptionseems tosoothe. Theulti- mategoalofthiscompleteatomizationofsociety issocialviolenceand,asitscorollary,theexhaus- tionofecosystems.Thispredatoryeconomythus leads to two direct conflicts: one against ecosys- tems and another betweenhumans. Governance by numbers has extended its reach to environmental systems. Ignoring their es- sential contributions—from air and water to food—ultra-liberalism treatsnatureasaresourcetobe exploitedwithout restraint. This was explicitly reaf- firmed by theCEOof the WhiteHouse,who, at his inauguration, declared: “Wegonnadrill, baby, drill,”ex- pressing his disdain for scientists andcitizenswarningabout the risks of fossil fuel ex- traction in stabilizing climate disruption. The decla- rationofwar onplanetary resourceshas beenmade. Without resistance, a handful of oligarchs, strategi- cally positioned on the global chessboard, will seize the commons. The conflict among humans is now exacerbated by multiple wars that are tearing apart, and will likely continue to fracture, the Western world. This occurs ina landscape ofweakening alliances and confronta- tionswith realities thatwouldhave seemedunimag- inablejustafewyearsago.Inthiscontext—wherethe destruction of life-sustaining ecosystems is coupled with social and consumerist isolation—how can we not call for a repoliticizationof thought?This necessi- tatesacrucialandexistentialrestorationofdemocracy, ensuring that no decision in these vital matters (and many others) is made without the people’s consent within a respecteddemocratic framework. Wemustnotallowtheworldoftomorrowtobecome aninconsolableplaceforourselvesandfuturegener- ations. History teaches us that individuals of convic- tion and courage emerge in times of crisis—those willingtotakepersonalrisks.Italsowarnsusthatthe docile and repetitive thinkers, or worse, the dema- gogues, are swept aside in moments of turmoil. We must stepbeyond immediate concerns and envision a societal project. Wemustcommit,individuallyandwithouttimidity, to defending values of solidarity and benevolence. The coming years demandwisdomand determina- tion, for the unchanging patterns of history—rooted inhumanblindness—arealreadyvisibleinprofound and grave conflicts. We arewitnessing the end of an era. It is a civilizational shock—a rupture. Our com- fort was, in part, an illusion. These times herald a structural upheaval. It is both a break and an awak- ening. We speak of a true awakening, not the super- ficial,self-servingrhetoricofthosewhoacknowledge changewhile hoping it will not affect them. The awakeningmust happen now—our democra- cies are crumbling before our eyes.Will we remain passive spectators to the destruction of planetary resources and the democratic freedoms won after WorldWar II? Between war and climate: the urgency of a renewed democracy Opinion - par Marc NIEDERKORN, Partner Odgers Berndtson (1) L eConseilNational de la Productivité (CNP) a publié en janvier son rap- port annuel rendant compte de ses travaux et recommandations. Les conclusions de ce comité d’ex- perts ont tendance à rester re- lativement confidentielles, tant leur diffusion est limi- tée et leur contenupeut sembler ésotérique de premier abord.Mais après 6 ans d’existence, leCNP fait des suggestions relati- vement concrètes dont les implications pratiques sont potentiellement explosives. Si le terme “productivité” semble provenir d’une époque révolue et évoque le “héros du travail” Sta- khanovpourcertainsetpourd’autresl’imagedeCha- plin dans le classique “Modern Times”, il s’agit d’un concept d’uneactualitébrûlanteet somme toute rela- tivementsimple:combiendetravailetcombienderes- sources(investissements,énergie,matièrespremières) est-cequ’ondoitmettre enœuvrepour créerunobjet ouun service utile et désirable? Tout d’abord les constats: 1) “Standing still at high speed” : la productivité de l’économieLuxembourgeoisestagnevoiredéclinede- puis bientôt 2 décennies, et cela malgré le sentiment d’un progrès technologique galopant, des “start-up” stories remplissant les pages desmagazines de paco- tille et des “prix de l’innovation” distribués à tour de bras. En ce faisant, notre avance sur les autres écono- mies développées, base de l’“exception Luxembour- geoise”s’érodeàunevitesseinquiétante.Sil’évolution de laproductivitéparheure travailléeest inquiétante, l’évolutiondelaproductivitéparpersonneestpropre- ment dramatique (absentéisme, maladie, nouveaux avantages sociaux,…). 2) “BipBip,l’effet“Coyote” :àlongterme,onnepeut distribuer que ce qu’on produit. Si cette affirmation est une lapalissade, nous nous efforçons de l’ignorer avec diligence. Un exemple : le “débat” douloureux surlesretraitesattenduavecanxiétéparlelandernau: la base analytique de cette discussion est fournie par lerapportdel’Inspectiongénéraledelasécuritésociale (IGSS)intitulé“Projectionsdémographiquesetfinan- cièresdurégimegénérald’assurancepension”datant du 18 juin 2024. L’IGSS table sur une amélioration an- nuelle de la productivité de l’économie Luxembour- geoise de 0,9% par an (!) pour la période 2022-2070, amélioration censée être responsable de la moitié de la croissance du PIB projetée (qui elle- même, dans cetteversiontrèsoptimiste,esttotalementinsuffisante pourgarantirlemaintiendenossystèmessociauxac- tuels). Parfaite illustrationdu “wishful thinking”. 3) “Overshoot day” et productivité : en effet, le conceptdelaproductivitéenglobeégalementlavaleur ajoutée créée à partir des ressources (naturelles) consommées: or ici aussi, le Luxembourg, champion dumondedu“Overshoot”(aprèsleQatar) améliore sa triste performance (cette année, on “réussit” l’overshoot 3 jours plus tôt qu’en 2024). 4) Productivité et cohésion sociale : une augmentation continue de la productivité est une conditionnécessaireaumain- tiend’unecohésionsociale“du- rable”: en effet, dans une sociétésansgaindeproduc- tivité, toute amélioration réelle des conditions de vie doit soit venir d’une redistribution de l’exis- tant (“on prend aux riches”), d’une réduction de notre solidarité (type “LuxembourgFirst”),ou d’une exploitation en- core plus poussée des ressources de notre pla- nète (cf. supra). Le constat en lui-même est loin d’être nouveau, et compte d’ailleurs parmi les priorités du gouverne- ment actuel (Accordde coalition 2023-28, p.146). Alors, que faire? LesrecommandationsformuléesparleConseillesont dansunlangagechâtiévoireabstrait.Ilestdèslorsim- portant de décrypter certains desmessages: Une première lecture Schumpetérienne de la situa- tion pourrait suggérer qu’il est “ urgent de ne rien faire” : dans une économie ouverte, la diffusion de l’innovation (source d’amélioration de la producti- vité) se fait par elle-même, pour autant que le concurrence puisse jouer librement. En d’autres termes, le redéploiement de ressources (et d’em- plois) d’une activité défaillante à une activité plus productive est une bonne nouvelle (ce qui n’est pas le message que les approches de “Maintien dans l’emploi” communiquent aupublic,même si le Sta- tec n’a pas réussi à détecter une prévalence impor- tanted’entreprises “Zombie” auLuxembourg).Une attente“minimale”vis-à-visdespolitiquespubliques pourrait être de “do no additional harm”. Ceci aurait commeimplicationdenepasessayerd’attirerdesen- treprisesquidétérioreraientnotreproductivitéactuelle (comme par exemple ce serait le cas pour notre pro- ductivité énergétique en cas d’implantation de giga- datacenters auLuxembourg). Mais le CNP propose aux autorités de prendre une positionplus active : Le premier train de recommandations du CNP, concernant lemaintiend’unniveauconséquent d’ in- vestissementdanslaformationetlarecherche ,estcer- tainement relativement consensuel. Cependant, l’absencedecorrélationentrel’augmentationmassive des investissements au Luxembourg dans ces do- maines les 20dernières années et l’évolutionnégative de la productivité n’est pas de nature à étayer l’argu- ment. Une réflexion sur l’efficacité de ces investisse- ments serait plus qu’utile (par exemple, le coût de la formation supérieure par étudiant au Luxembourg est, selon les statistiques de l’OCDE, le double du deuxième pays le plus cher et 3 fois plus cher que la moyenne). Le CNP place beaucoup d’espoir dans l’adoption de l’IA , qu’il s’agirait d’accélérer. Or ici, la vérité c’est que “thejuryisout”quantàl’impactréeldecestechnolo- gies. Si les Large LanguageModels (LLM) ont la ve- dette et des gains importants sont constatés par exemplepour des jeunes pousses (estimationsduca- pitalrequispourarriveraumêmeniveaudematurité de -30 à -40%par rapport à il ya 3 ans), l’impact pour desentreprisesavecdessystèmesdeproductioncom- plexesseradanslemeilleurdescasbeaucouppluslent et plusmitigé (et peuactionnablepour des responsa- bles politiques en-dehors du secteur public). Se repo- ser sur ce levierpour assurernos retraites relèvedonc d’unpari courageux sur le futur. “Does sizematter?” : LeCNP recommanded’encou- rager la croissance des entreprises. En effet, les ana- lyses récentesduStatecmontrent quedes entreprises plusgrandessontplusproductives.Ilestrelativement logique qu’il est plus simple pour des entreprises d’une certaine taille de capturer des économies d’échelle (en tout cas jusqu’à une certaine taille dite “critique”). Or, au Luxembourg, les principaux em- ployeurs (en-dehors de l’administration centrale) ne dépassent pas les 5000 employés, ce que nos voisins allemands appelleraient “Mittelstand”. En d’autres termes,cesentreprisespourlaplupartindépendantes, n’apportent guère le bénéfice d’économies d’échelle à notreéconomie.Certainssecteurssonttellementfrag- mentés que la taille des acteurs est proprement ridi- cule en comparaison internationale. Or, la fierté nationale (ou, dirons-nous le souci d’indépendance ou de souveraineté) fait que nous encourageons la multiplication de structures sous-critiques, tant dans ledomaineprivéquepublic.Unerevuesystématique par secteur est “overdue”. Amélioration des pratiques managériales : l’expé- rience des dernières décennies montre que les avan- céestechnologiquesimpactentlaproductivitéenrègle généralenonpas en remplaçant l’humainmais en fa- cilitant et en complétant son travail.Auvude la com- plexité des systèmes de production modernes, ceci demandeuntravailderéorganisationetderestructu- ration en profondeur. La “tronçonneuse” est un mèmed’uneutilité limitéedans ce contexte. La ques- tiondevient donc: est-ce que l’encadrementmanagé- rial a les compétences et la motivation requises pour initier et accompagner ce travail, et est-ce que la gou- vernance des entreprises est capable de focaliser l’at- tention managériale. Or tant du côté des pratiques managérialesquedelagouvernance,leLuxembourg a des faiblesses connues et documentées. Enplus,lerôledubudgetdel’Etatetdelasécuritéso- cialedanslasubsidiationducoûtdelamaind’œuvre impacte de façon perverse les “business cases” d’adoptiondetechnologiesnouvelles.Aussi,l’emprise très importante du secteur public sur le tissus écono- mique est un facteur aggravant: nominations à des postes demanagement et de gouvernance d’un per- sonnelsansexpérienceadéquate,absencedetranspa- rence sur les attentes de performance et sur la performance réelle des entités et engagement de l’ac- tionnairepublicdansdessecteursconcurrentielspour des “raisons historiques” sont des phénomènes am- plementdécrits.L’implicationdecetterecommanda- tion devrait être une revue en profondeur des prin- cipes de gouvernance et, en dernier lieu un désenga- gement rapide et rigoureuxde certains domaines. Simplification de l’environnement administratif. Si le secteur dit “non-marchand” aun statut particulier dans les calculs de la productivité (sa valeur ajoutée étantquelquepeuarbitrairementdéfinieparlavaleur desintrants),iljoueunrôleimportantdansladiscus- sion générale. Si le coût de la non-digitalisation du secteur non-marchand est a été amplement docu- menté (2) ,ilestnécessairedecomplétercetteestimation paruneréflexionsurlecoûtd’opportunitéd’uneap- procheréglementaireultraconservatrice.Sile“tellme once” est un principe d’architecture de données sain et louable, il ne constitue qu’une première marche vers une réelle simplification administrative, qui elle requiert un niveau de concertation et d’investisse- ment largement supérieur. Lecoûtleplusimportantcependantpourraitêtrel’im- position de règles particulièrement onéreuses proté- geant des intérêts particuliers. Quelques exemples : - Éducation supérieure : en Sarre, actuellement presque 25% des étudiants poursuivent des études supérieures à distance (pour une partie importante digitale), alors qu’au Luxembourg, le Ministère de l’Enseignement Supérieur n’a pas accepté d’accrédi- ter de diplôme “à distance/digital”, pourtant plébis- cité par les étudiants et incomparablement plus productif; - Santé :ladigitalisationdusecteurapristellementde retard comparé même aux pays voisins historique- ment peu performants (p.ex . Carte Vitale Française) que les assurés internationaux transférés au Luxem- bourgn’en croient pas leurs yeux; - FinancementdesPMEpardescréditsàtauxsubsi- dié :ceprocessusimpliquantunemultituded’acteurs publics et privés (banques commerciales, SNCI, Mi- nistèredel’Economie,DirectionGénéraledesClasses Moyennes)estgratuitementrenducompliquéàcause de la défense jalouse du “prestige” et de l’”indépen- dance” des différents intervenants de ce processus pourtant trivial. Conclusion L’objectif de cette discussion est de montrer que (1) au-delà de toutes les différences idéologiques, l’amé- lioration de la productivité peut être un objectif par- tagé de progrès humain et que (2) il n’y a pas de mesure “silver bullet”. L’amélioration continue de la productivitéestunparadigmeprofondémentrespec- tueux des personnes et de notre environnement, ancré dans une culture d’excellence et d’optimisme, maisexigeantdesarbitragescompliqués.Acontrario, lastagnationouladétériorationd’indicateursdepro- ductivité est un signedemanqued’ambitionoud’in- capacité de s’organiser pour progresser en société. C’est en cela que le constat de la stagnation “généra- tionnelle”estunsignealarmantde“mauvaisesanté”. 1)MarcNiederkornestMembreduConseilNationaldelaProductivité. Titulaired’undiplômeHECetd’unMBAdel’universitédeStanford,il est Partner chez Odgers Berndtson Luxembourg en charge de “Board advisory services” et remplit diverses autres fonctions de direction et de conseild’administration.MarcNiederkornaétédirecteurassocié-senior de McKinsey&Company de 1995 à 2022 et Directeur de la SNCI de 2022à2023. 2 )https://lc.cx/bEy0_W “It’s productivity, stupid!”

RkJQdWJsaXNoZXIy Nzk5MDI=