Agefi Luxembourg - avril 2025

AGEFI Luxembourg 36 Avril 2025 Droit / Emploi ParRenaudBARBIER,ManagingPartner -Osons D ans unmonde saturé d’immé- diateté et de visibilité, cer- taines entités cultivent le long terme et le retrait. Ces entités ne sont pas seulement financières : ce sont des familles. Leur capital n’est pas que financier—il est aussi social, culturel, voire symbolique. Mais leur plus grand actif reste souvent invisible : une architec- ture patiemment construite au- tour de la gouvernance, de la transmission et de la discrétion. Le family office, souvent discret lui aussi, en est l’artisanprincipal. Le paradoxe de la discrétion dans unmonde d’exposition Àl’èredes réseaux sociaux, de la transparencevantée comme vertu cardinale, et de la recherche constante devisibilité,uneautreréalitépersiste,plussilencieuse, maisnonmoinspuissante:celledesfamillespatrimo- niales qui choisissent de durer plutôt que de briller. Leur influence est profonde, leur empreinte souvent ancienne, mais leur nom reste discret, parfois même inconnudugrandpublic.Ceparadoxe—celuid’une puissance économique et sociale exercéedans la rete- nue—mérite qu’on s’y attarde. Danscetuniversfeutré,ladiscrétionn’estpasunepos- turederetrait,maisunestratégie.Elleestunchoixas- sumé, souvent transmis de génération engénération, qui permet à ces familles de protéger non seulement leurpatrimoine,maisaussileurintimité,leurcohésion et leur liberté d’action. Là où l’exhibition affaiblit, la discrétion renforce. Là où l’exposition suscite l’envie ou lemimétisme, le retrait construit de la stabilité. Ce positionnementestd’autantplusremarquablequ’ilva à rebours des injonctions contemporaines. Les entre- preneurs d’aujourd’hui sont invités à se mettre en scène, à raconter leur «storytelling», à incarner leur réussite.Lesfamillesentrepreneuriales,elles,préfèrent souvent que les faits parlent pour elles. Et lorsque la complexitédupatrimoine,desstructuresetdesgéné- rations l’exige, elles s’en remettent à un acteur central mais lui aussi discret : le family office. Plus qu’un gestionnaire de fortune, le family office devient alors l’architecte d’une continuité. Il agit dans l’ombre, avec rigueur, méthode et loyauté. Il ne se substitue pas auxmembres de la famille, mais leur permet de jouer leur rôle dans un cadre cohé- rent, pérenne, et protégé. En ce sens, il incarne lui aussi cette culture du retrait utile, cette capacité à structurer sans exposer. Dans les parties suivantes, nous verrons comment cetteposturesetraduitconcrètementàtraversdesdis- positifs de gouvernance, des mécanismes de transmission, et une sophistication croissante des outils mis au service de cette discrétion éclairée. Une gouvernance invisiblemais robuste Dans l’ombredes famillespatrimo- niales les plus pérennes, la gouvernance n’a rien de dé- monstratif. Elle se construit dans le temps, souvent à bas bruit, mais avec exigence. Cette gouvernance n’a pas pour objectif de produire de la conformité : elle vise la conti- nuité. À la différence des entre- prisesclassiques,lagouvernancefamiliale articuledesdimensionshétérogènes—affectives,pa- trimoniales, stratégiques — qu’il faut faire coexister sans les confondre. Son efficacité reposemoins sur la sophistication des outils que sur la qualité du cadre relationnel.Chartes,pactes,comitésdefamille:autant d’outilsutiles,àconditionqu’ilss’ancrentdansundia- logue vivant. Le family office joue ici un rôle discret mais décisif. Présent sans être intrusif, il structure les échanges, veille à lamise enœuvre des décisions, et fluidifie les relationsentregénérations.Saneutralité,sacontinuité dansletemps,etsacapacitéàarticulerlesdimensions techniqueethumaineenfontunacteurcentraldecette gouvernance silencieuse. Concrètement, cela se tra- duit par la formalisation progressive des processus décisionnels, l’animation de rencontres familiales ré- gulières, ou encore la coordination d’instances de ré- flexion collective. Rien de spectaculaire —mais tout ce qui permet de structurer sans rigidifier, de préser- ver sans enfermer. Cette gouvernance de l’ombre est un facteur de stabilité. Elle ne supprime pas les ten- sions, mais elle offre un cadre pour les traverser. Et surtout, elle permet à la famille de se penser comme un collectif durable, au-delà des intérêts individuels oudes générations successives. C’est dans cette cohé- rence que réside la véritable robustesse. Transmission : du capital aux valeurs La transmission patrimoniale, dans les grandes fa- milles, ne se résume ni à un passage d’actifs, ni à un simplemoment juridique. C’est unprocessus, long et souvent discret, qui engage des dimensions pro- fondes : confiance, légitimité, mémoire, et projet. Chaquegénérationintroduitdenouvellesattentes,de nouveauxregards.Lacontinuiténesedécrètepas,elle seprépare.Transmettrenesignifiepasseulementpré- server unpatrimoine : c’est aussi transmettreunsens, une cohérence, un certain rapport aumonde. C’est ce quirendl’exerciceàlafoisdélicatetstructurant.Lefa- milyoffice joue ici unrôle singulier : il accompagne la transmissiondanssesdimensionsvisiblesetinvisibles. Il facilite l’exposition progressive des jeunes généra- tions aux enjeux du patrimoine, organise des temps deformation,initiedeséchangesintergénérationnels. Ilagitcommeunpasseur,garantd’undialogueapaisé et d’un alignement durable. Dans les familles disper- sées,auxstructurespatrimonialescomplexes,latrans- mission devient une orchestration. Elle appelle un pilotagefin,capabled’articulerfiscalité,gouvernance, affectio societatis et aspirations individuelles. Le fa- milyofficeassurecettecontinuitéopérationnelle,sans rigidité ni excès de formalisme. Surtout, il permet d’aborder la transmission comme unedynamiqueévolutive.Cartransmettre,c’estaussi transformer. C’est parfois l’occasion de refonder un projet collectif, de faire évoluerdespratiquesd’inves- tissement, d’ouvrir une nouvelle séquence. La trans- mission bien pensée n’est pas la fin d’un cycle : c’est souvent le début d’unnouveau. La discrétion comme stratégie : un art à part entière Dansl’universdesfamillespatrimoniales,ladiscrétion n’est ni un réflexe défensif ni un simple goût pour le retrait. C’est une stratégie à part entière. Elle permet de préserver ce qui compte — la cohésion, la liberté d’action, la continuité — tout en maîtrisant les effets d’exposition dans un monde où tout devient visible, commenté, archivé. Cette discrétion se manifeste d’abordpar une gestion rigoureusede l’information : maîtrise des flux, contrôle des représentations pu- bliques,vigilancesurlasécuriténumérique.Lefamily office, ici encore, joue un rôle central : il agit comme filtre, rempart, interface, garant d’une sobriété infor- mationnelle choisie et assumée. Elle s’exprime aussi dansleschoixd’investissement.Làoùd’autresrecher- chentl’affichageoulanotoriétésectorielle,lesfamilles privilégient souvent la cohérence, la stabilité, et l’ali- gnement avec leurs valeurs. Les opérations se font sansmiseenscène,lesparticipationssontpilotéesavec discrétion, parfois viades véhicules dédiés. Le family office orchestre cette approche, avec une exigence de lisibilité interne plutôt qu’externe. Enfin,ladiscrétionestégalementprésentedanslesen- gagements sociaux ou philanthropiques. Beaucoup defamillesagissentdemanièresignificative,maishors des radars médiatiques. Ce n’est pas un effacement, maisunchoixderelationaumonde:agirsanscaptu- rerl’attention.Làencore,lefamilyofficestructure,ac- compagne, filtre, tout en veillant à la cohérence d’ensemble. Dans un contexte d’instabilité, cette dis- crétion devient un facteur de résilience. Elle n’est pas la négation de l’engagement, mais la condition d’un engagementdurable.Elleprotègesansisoler,elleper- met de traverser les cycles sans se dissiper. Cultivée avecméthode, elle devient un levier stratégique. Vers une sophistication croissante de l’infrastructure familiale Amesure que les patrimoines se diversifient, que les familles s’internationalisent, et que les attentes inter- générationnelles se complexifient, l’organisation pa- trimoniale ne peut plus reposer sur des dispositifs ponctuels ou informels. Il lui faut une structure, un socle. C’est là que le family office devient bien plus qu’ungestionnaire:ilincarneunevéritableinfrastruc- turefamiliale.Cetteinfrastructureneselimitepasàla gestion financière. Elle englobe le juridique, le fiscal, le philanthropique, le technologique, et de plus en plus, l’humain. Elle repose sur une approche trans- versale, capable d’articuler des enjeux hétérogènes avec cohérence et discrétion. Le family office coor- donne cet écosystème. Il mobilise des expertises ci- blées — ingénierie patrimoniale, gouvernance, investissement, mécénat, cybersécurité—tout en as- surant une continuité dans les arbitrages et dans la mémoiredesdécisions.Ilnesecontentepasdetraiter des flux : il structure des relations et des orientations. Cettesophisticationresteinvisible,maiselleestréelle. Outils de consolidation, processus décisionnels clairs, gouvernance adaptée, formation des jeunes générations, arbitrage entre logique collective et as- pirations individuelles… autant de dimensions in- tégrées dans un dispositif à la fois sobre et exigeant. C’est cettearchitecture silencieusequi permet à la fa- mille de rester maître de son projet, d’anticiper les transitions, et de préserver une forme d’autonomie dans un monde toujours plus exposé et contraint. Une infrastructurequi, lorsqu’elleest bienpensée, ne fige pas le patrimoine — elle le rend plus mobile, plus lisible, plus durable. Conclusion Dans un monde saturé d’informations, en tension entre accélération et fragmentation, les grandes fa- millespatrimonialesapparaissentparfoiscommedes figures paradoxales : enracinées et mobiles, discrètes et puissantes, silencieusesmais structurées. Leur lon- géviténedoitrienauhasard.Ellereposesurunecom- binaison subtile de gouvernance adaptée, de transmissionpenséeenprofondeur,etd’unestratégie assumée de discrétion. Le family office, longtemps marginal dans les représentations traditionnelles de lagestionpatrimoniale,s’imposeaujourd’huicomme une fonction clé de cette architecture invisible. Ni fa- çade, ni simple rouage, il est le garant d’un équilibre entre les exigences du présent et la fidélité à une his- toire,entrel’impératifdeprofessionnalisationetleres- pect des dynamiques familiales. Cemodèle,bienqu’élitisteparnature,offredesensei- gnements plus larges. Il invite à repenser les notions de pérennité, de responsabilité, de gouvernance non spectaculaire.Ildémontrequ’ilestpossible—etpeut- êtrenécessaire—d’articulerperformanceetdiscrétion, puissance et humilité, patrimoine et sens. Alors que lesmutationséconomiques,technologiquesetgéopo- litiques redessinent les contours de la richesse et de l’influence, les familles patrimoniales qui s’appuient surunetelleinfrastructuresilencieusepourraientbien fairefiguredesentinellesd’unautreavenir:unavenir où l’intelligence de la durée, loind’être un vestige du passé, redeviendrait un levier stratégique. Le rôle des family offices dans l’architecture de la pérennité Par Caroline LAMBOLEY, Headhunter, Lamboley Executive Search* L emarché du recrutement au Luxembourg est sous tension. Trouver et fidéliser des talents internationaux devient un enjeuma- jeur pour les entreprises. Longtemps perçu comme un hub international attractif, le Luxem- bourgfaitaujourd’huifaceàuneréalité plus complexe. La hausse du coût de lavie,lacrisedulogementetunefisca- litéparfoismoinscompétitivequedans d’autres pays européens rendent l’at- tractivité duGrand-Duché plus fragile. Attireretrecruterdestalentsinternationaux devientunvéritabledéfipourlesentreprises,quidoi- vent adopter des stratégies innovantes pour séduire desprofilsqualifiésetlesconvaincredes’installerdu- rablement. Danscecontexte,lesstratégiesderecrutementdoivent évoluer.Lacapacitédesentreprisesluxembourgeoises àvaloriserladiversité,àoffrirdesconditionsdetravail attractives et à faciliter l’intégration des talents inter- nationaux devient essentielle. Comment transformer cette contrainte enopportunité ?Quels leviers activer pour attirer et fidéliser les meilleurs talents dans un environnement de plus enplus concurrentiel ? Stimuler l’innovation grâce à la diversité culturelle Leséquipesmulticulturellesnesontpasseulementun atout en termesd’imageoude responsabilité sociale : elles sont unmoteurd’innovation. Plusieurs études ont démontré que la diversité des pointsdevuestimulelacréativité,améliore larésolutiondeproblèmescomplexesetré- duit les biais cognitifs dans la prise de dé- cision. Dans un marché globalisé, où l’adaptabilitéestclé,uneéquipecomposée de profils aux expériences variées permet demieuxcomprendrelesattentesdesclients et partenaires internationaux. Les entre- prises qui intègrent la diversité comme un élément straté- giquevoientleurperformance et leur attractivité renforcées. Défis et bonnes pratiques pour une collaboration interculturelle efficace Si les bénéfices d’une équipe multiculturelle sont nombreux, lamise enœuvre d’une gestion effi- cacedecettediversitéreprésenteunvéritabledéfi.Dif- férences de communication, attentes variées en matièredemanagement,adaptationauxcodescultu- relslocaux:cesélémentspeuventêtredesfreinssil’en- treprise nemet pas enplace des politiques adaptées. Un leadership efficace dans un environnement mul- ticulturel exige une compréhension fine des dyna- miquesinterculturelles.Sensibiliserlesmanagersaux différences culturelles et aux modes de fonctionne- ment de leurs équipes permet de créer un climat de confiance et d’efficacité. Adapter les politiques RH aux talents internationaux Recruter unprofil international ne se limitepas àune signature de contrat. L’accompagnement doit être pensédanssaglobalité:aideàl’installation(logement, démarchesadministratives),soutienàl’intégrationfa- miliale (écoles, emploi du conjoint), programmes de mentoratpouraccélérerl’adaptationàlacultured’en- treprise. Les entreprises qui investissent dans l’inté- gration de leurs collaborateurs internationaux réduisent leur turnover etmaximisent leur retour sur investissement en capital humain. Une opportunité à saisir pour les entreprises luxembourgeoises Le Luxembourgpossède tous les atouts pour être un modèle en matière d’intégration des talents interna- tionaux.Mais tirer pleinement parti de cette diversité nécessite une stratégie bienpensée, du recrutement à lagestionquotidiennedeséquipes.Lesentreprisesqui intègrent cespratiquespourront sepositionner dura- blement comme des employeurs de référence sur un marché hautement concurrentiel. Dans un marché globalisé, où l’adaptabilité est clé, une équipe composée de profils aux expériences va- riées permet de mieux comprendre les attentes des clients et partenaires internationaux. Les entreprises qui intègrent la diversité comme un élément straté- giquevoientleurperformanceetleurattractivitéren- forcées.Toutefois,ilestcrucialdenepastomberdans une approche superficielle : la diversité doit être ac- compagnée de véritables actions pour favoriser l’in- clusion et l’engagement des employés issus de différents horizons. La valeur ajoutée d’un chasseur de têtes pour recruter à l’international Dans un contexte où le marché de l’emploi luxem- bourgeois peine à attirer suffisamment de talents lo- caux, les entreprises doivent parfois élargir leur périmètre de recherche à l’international. Cependant, recruter hors des frontières du Luxembourg repré- senteundéfidetaille:ilfautidentifierlesbonsprofils et comprendre les attentes des candidats étrangers. C’est ici qu’intervient le chasseur de têtes. Son rôle ne selimitepasàlasimpleidentificationdetalents:ilac- compagne les entreprises à chaque étape du proces- sus, en mettant en place une approche sur-mesure adaptée à leurs besoins. Cette approche permet de maximiserl’engagementdesnouveauxcollaborateurs et de réduire significativement le risque de turnover. Recruter les meilleurs talents à l’international ne s’improvisepas.Dansunmarchédeplusenplusexi- geant, s’appuyer sur un expert du recrutement est un levier stratégique qui permet d’accélérer l’em- bauche, d’attirer des profils rares et de sécuriser leur intégration. Une approche proactive et bien structu- rée garantit non seulement la réussite du recrute- ment, mais aussi la pérennité des talents au sein de l’entreprise. L’évolutiondumarchédu travail impose aux entre- prises une capacité d’adaptation permanente. Les enjeux liés au recrutement, à la diversité et à l’inté- gration des talents ne concernent pas seulement les ressources humaines, mais aussi la performance et la pérennité des organisations. Miser sur des straté- gies innovantes, favoriser l’ouverture à l’internatio- nal et accompagner efficacement les talents sont autant de leviers permettant aux entreprises de ré- pondre auxdéfis actuels. Plus qu’un impératif, ladi- versité et la gestion des talents multiculturels doivent être perçues comme des opportunités de croissance et de différenciation dans un environne- ment économique en constantemutation * c.lamboley@lamboley.lu www.lamboley.lu Comment attirer et fidéliser les meilleurs talents au Luxembourg ?

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