Agefi Luxembourg - février 2025

AGEFI Luxembourg 36 Février 2025 Droit / Emploi Par Renaud BARBIER, Managing Partner - Osons L a gouvernance bancaire est confrontée à une transformation sans précédent sous l’effet de la digitalisation, de l’intelligence artifi- cielle (IA) et de l’exploitationmassive des données. Dans un environ- nement marqué par une complexité croissante, des risques accrus et des attentes réglementaires renforcées, les diri- geants doivent repenser leurs modes de gouver- nance pour s’adapter aux nouvelles dynamiques de la prise de décision. L’ère du digital impose de nouvelles exigences : plus de rapidité, une meilleure capacité d’anticipation et unetransparenceaccrue.Danscecontexte,lagouver- nancebancairenepeut plus se contenterdeprincipes traditionnels. Elle doit intégrer des outils technolo- giques depointepourmaximiser l’efficacité et laper- tinence des décisions stratégiques. Cet article explore les transformations en cours et propose des pistes pour une gouvernance bancaire renforcée par l’IA et la prise de décisionbasée sur les données. La gouvernance bancaire face à la disruption technologique L’essor de l’IA et des technologies de prise de déci- sion pilotée par les données bouleverse profondé- ment les modèles de gouvernance des institutions bancaires. Longtemps structurées autour d’analyses rétrospectives et d’une prise de décision fondée sur l’expertise humaine et l’intuition stratégique, les ins- tances dirigeantes doivent aujourd’hui composer avec un environnement où la donnée en temps réel etl’analytiqueavancéeredéfinissentlesrèglesdujeu. Face à cette transformation, les conseils d’adminis- tration et les comités exécutifs ne peuvent plus se contenter d’un pilotage traditionnel. L’intégration croissante de modèles prédictifs et prescriptifs im- pose une refonte des processus décisionnels afin d’exploiter pleinement le potentiel des technologies émergentes, tout en enmaîtrisant les risques. L’essor de l’IAdans la gouvernance bancaire soulève troisdéfismajeurs qui redéfinissent lesmodesdedé- cision et de supervision. D’abord, l’agilité décisionnelle devient un impératif, car la capacitéde l’IAàmodéli- serdesscénarioscomplexesentempsréeletàformu- lerdesrecommandationsquasi-instantanéesremeten question les cycles décisionnels traditionnels. Cette réactivité accrue oblige les instances de gouvernance à adopter des approches plus dynamiques, tout en veillant ànepas sacrifier la cohérence stratégique à la rapiditéd’exécution.Ensuite, latransparenceetl’audita- bilité des modèles algorithmiques représentent un enjeucritique.Sil’IAaméliorelaprécisionetl’efficacité des analyses, l’opacité de certains algorithmes peut entraverlacapacitédesadministrateursàexercerleur rôle de contrôle et à garantir la conformité réglemen- taire. Assurer une gouvernance éclairée passe donc par une meilleure traçabilité des décisions automati- sées et une supervision rigoureuse. Enfin, l’éthiqueetlaresponsabilité s’imposentcommedes priorités, car l’automatisation des choix stratégiques expose les institutions à des risques de biais algorith- miques et de décisions discriminatoires. La question de la responsabilité encasd’erreur oudedé- rivealgorithmiquedevientcentrale,rendant indispensable la mise en place de cadres éthiquesrobustesetd’unesupervisionhu- maine renforcée afin de préserver la confiance des parties prenantes. Cettemu- tation technologique reconfigure le rôledes dirigeantsetdesadministrateurs.Plutôtque d’opposer expertise humaine et IA, il s’agit debâtir unegouvernancehybride, où lescapacitésanalytiquesdesalgo- rithmes viennent enrichir la ré- flexion stratégique sans en déposséder les décideurs. Les banques qui sauront tirer parti de cette évolution tout en mettant en place les garde-fous nécessaires gagneront un avantage concurren- tiel décisif. Cela suppose une adapta- tion culturelle, une montée en compétences des instancesdedirectionsurcessujetsetlamiseenœuvre demécanismes de supervision adaptés. L’enjeu est clair : intégrer l’IA comme un levier de transformationstratégique tout enpréservant lamaî- trise et la responsabilité des choix engageant l’avenir des institutions bancaires. Vers unnouveaumodèle de gouvernance augmentée Plutôt que de remplacer les décideurs humains, l’IA et les technologies de pilotage par la donnée doivent être perçues comme des leviers d’amélioration et de sophisticationdesmécanismes de gouvernance ban- caire.Enintégrantcesoutils,lesinstitutionsfinancières peuventnonseulementoptimiserlaprisededécision, mais aussi renforcer leur capacité à anticiper et gérer des risques toujours plus complexes. L’intégration de l’IA dans la gouvernance bancaire transforme profondément les processus de décision et de gestion des risques. L’une des avancées ma- jeures réside dans sa capacité à analyser en continu des volumes massifs de données, permettant aux banques de suivre instantanément les indicateurs fi- nanciers clés, d’évaluer en temps réel les niveaux de liquidité et d’anticiper les risques de marché. Grâce auxmodèles demachine learning, elles peuvent dé- tecter des signaux faibles et identifier des anomalies avant qu’elles ne deviennent des menaces systé- miques.Lessystèmesd’alerteavancésfacilitentl’iden- tification de transactions atypiques ou d’expositions excessives à certains risques, offrant ainsi aux diri- geants une réactivité accrue et une gestion plus dy- namique des risques. L’IAneselimitepasàlasurveillancedesrisques:elle révolutionneaussileuranticipation.Enexploitantdes modèles analytiques avancés, les banques sont dés- ormaisenmesured’anticiperdescriseséconomiques, des fluctuations de taux d’intérêt ou des évolutions comportementales des clients. Dans le domaine du crédit, les algorithmes de scoring vont bien au-delà des critères financiers traditionnels en intégrant des sourcesdedonnéesvariéescommeleshistoriquesde paiement, les signaux comportementaux et les ten- dances macroéconomiques. Cette approche permet d’affiner l’évaluation de la solvabilité des emprun- teurs et d’adapter les politiques d’octroi de crédit en fonctiondesdynamiquesdumarché, réduisant ainsi l’exposition aux risques tout en optimisant le finan- cement de l’économie. L’impactdel’IAs’étendjusqu’auxconseilsd’adminis- tration, en transformant lamanièredont les instances de gouvernance analysent les performances et les risques. Plutôt quede se reposer surdes rapports sta- tiques,lesadministrateursdisposentdésormaisdeta- bleaux de bord interactifs intégrant des scénarios dynamiques et des simulations économiques, leur permettant d’évaluer en temps réel l’impact de diffé- rentes stratégies. En s’appuyant sur des prévisions ajustées en fonction des tendances émergentes et des signaux faiblesdumarché, ils gagnent en réactivité et en pertinence. Cette évolution renforce l’efficacité du processus décisionnel et offre aux banques un levier puissant pour naviguer dans un environnement de plus enplus complexe et incertain. Vers une gouvernance augmentée, alliant expertise humaine et IA Loin de se substituer aux dirigeants, l’IA et les outils data-driven viennent renforcer leur capacité à antici- per,décideretsuperviser.Lacléd’uneadoptionréus- sie réside dans l’équilibre entre l’automatisation des analysesetlapréservationdurôlestratégiquedesdé- cideurs humains. Les institutions bancaires qui sau- ront intégrer ces technologies demanière réfléchie et progressive bénéficieront d’un avantage compétitif décisif : une gouvernance plus agile, plus réactive et mieux armée pour faire face aux défis d’un environ- nement financier enperpétuellemutation. Unnouveau rôle pour les dirigeants bancaires L’essordel’IAappliquéeàlagouvernanceimposeaux dirigeants bancaires une transformation en profon- deurdeleurrôleetdeleurscompétences.Loindedé- léguer aveuglément la prise de décision aux algorithmes,ilsdoiventintégrercesoutilscommedes leviersstratégiquestoutenpréservantleurcapacitéde discernement et de supervision. Cette mutation re- pose sur trois dimensions essentielles. Leadership data-driven : piloter avec discernement l’analytique avancée Dans un environnement où les décisions s’appuient de plus en plus sur des modèles prédictifs et pres- criptifs, les cadres bancaires ne peuvent plus se contenter d’être des utilisateurs passifs des outils analytiques. Ils doivent comprendre les fondamen- taux de la data science afin d’en exploiter tout le po- tentiel et de garantir une prise de décision éclairée. Cela suppose une acculturation auxmécanismes de l’IApourmieux interpréter les résultatsdesmodèles et identifier d’éventuels biais. Ils doivent également être capables de challenger les analyses fournies par les systèmes automatisés, enquestionnant les hypo- thèses sous-jacentes et en confrontant les prévisions aux réalitésdu terrain.Uneapproche critiquedes re- commandations algorithmiques est nécessaire pour éviter une confiance excessive en des modèles par- foisopaquesoubiaisés.Ledirigeantdedemaindevra donc développer une véritable culture de la donnée, nonpourdevenirlui-mêmeunexperttechnique,mais pourensaisirlesimplicationsstratégiquesetmaîtriser les enjeux associés. Capacité d’adaptation rapide : vers une gouvernance agile La transformation numérique rend caduc le modèle des plans stratégiques figés sur plusieurs années. À l’èredel’IA,laprisededécisiondevientitérative,évo- lutiveetfondéesurdesindicateursactualisésentemps réel. Les dirigeants doivent adopter une posture plus flexibleetréactive,enintégrantrégulièrementdenou- veauxparamètresissusdel’analysedesdonnéeseten ajustant leur trajectoire en fonction des tendances émergentes. Cette nouvelle approche repose sur une agilité accruede lagouvernance, où la stratégie est en permanence réévaluée à l’aune des insights fournis par l’IA. Elle exige également une veille continue sur les signaux faiblesdumarché afind’anticiper les évo- lutions sectorielles et d’adapter en conséquence les priorités d’investissement et de développement. Enfin, elle impose une organisation plus fluide et moins hiérarchique, où l’information circule efficace- ment et où la prise de décision repose davantage sur des données objectives que sur des intuitions isolées. Dansuncontexteéconomiquedeplusenplusvolatil, lesinstitutionscapablesd’ajusterrapidementleurcap bénéficieront d’un avantage compétitif certain. Engagement fort en faveur de l’éthique et de la conformité L’intégration de l’IA dans la gouvernance bancaire soulève des questions fondamentales de responsabi- litéetdetransparence.Lesdirigeantsdoiventveillerà ce que l’usage des algorithmes reste aligné avec les principes éthiques et les réglementations en vigueur, souspeinedevoirémergerdesrisquesréputationnels et juridiques majeurs. Une vigilance particulière doit être portée à la prévention des biais algorithmiques, qui pourraient conduire à des discriminations dans l’octroidecréditsoudanslagestiondesrisques.Ilde- vient indispensable demettre en place des audits ré- guliers des modèles utilisés, afin d’en garantir la fiabilité et d’identifier d’éventuelles dérives. La transparence vis-à-vis des parties prenantes, qu’il s’agisse des clients, des régulateurs ou des action- naires,estégalementunenjeuclé.Lesdécisionsprises sur labasedes recommandationsde l’IAdoivent être compréhensiblesetjustifiables,cequisupposeuneex- plicabilitésuffisantedesmodèlesetunegouvernance del’IAclairementdéfinie.Celapasseparl’élaboration deprincipesdirecteursclairs,laformationdeséquipes aux enjeux de l’IAet lamise enplace demécanismes de contrôle robustes. Vers undirigeant augmenté, entre expertise humaine et IA Loin de se substituer aux dirigeants, l’IA et les outils data-driven redéfinissent en profondeur la gouver- nance bancaire. Les instances de décisionne peuvent plusignorercestechnologies,quitransformentlama- nière dont les stratégies sont élaborées, ajustées et mises enœuvre. Pourtant, cette évolutionnedoit pas êtreperçuecommeunemenace,maiscommeune op- portunitéd’améliorerlaréactivité,laprécisionetl’ef- ficacité des choix stratégiques . L’avenir de lafinance repose sur une symbiose entre l’expertise humaine et la puissance analytique des algorithmes .Lesdirigeantsbancairesdoiventappren- dre à exploiter ces nouvelles capacités sans perdre de vueleurrôlefondamental:garantirunegouvernance agile,responsableetéthique.Ceuxquisaurontconju- guer intuitionstratégique,rigueuranalytiqueetsens desresponsabilités jouerontunrôleclédanslatrans- formationdu secteur. Les banques qui parviendront à intégrer ces techno- logies avec discernement disposeront d’un avantage compétitifdécisifdansunmondeenperpétuellemu- tation. Enalliant IAet jugement humain, elles renfor- ceront leur résilience face aux crises, amélioreront leur gestion des risques et prendront des décisions plus éclairées . Cette transformation ne profitera pas uniquement aux institutions elles-mêmes,mais aussi àl’ensembledeleurécosystème:clients,actionnaires, partenairesetrégulateurs.Plusquejamais, lacapacité des dirigeants à piloter cette transition définira les contours de la gouvernance bancaire de demain . Stratégie et leadership dans un contexte de disruption : Repenser la gouvernance bancaire L 'intelligence artifi- cielle se doit d'être à échelle humaine. L'Europe dispose de tous les atouts nécessaires pour innover. Mais l'Europe doit retrouver son audace. C'est ainsi que nous attirerons les investissements néces- saires. Le Luxembourg peut jouer ici un rôle de porte d'entrée mondiale, notam- ment au niveau des entre- prises innovantes dans le domaine de la finance.” C'estaveccemessageoptimisteen faveur d'une Europe pionnière queleministredesFinances,Gilles Roth, a ouvert jeudi 13 février le World Artificial Intelligence Festival 2025deCannes (WAICF). La ministre déléguée française chargéede l'Intelligenceartificielle et du numérique, Clara Chappaz, s'était exprimée auparavant. MoUentre EuropAI et CCEL Dans le cadre du festival, un pro- tocole d'accord (MoU) a été signé entrel'InstitutEuropAIetlaCloud Community Europe – Luxembourg (CCEL) en présence de Gilles Roth. Ce protocole porte sur la transformation de la CCEL enunchapitreluxembourgeoisde AIEurope.LeministreGillesRoth «salue la décision de EuropAI de s'implanter au Luxembourg avec pour ambition de développer de nouvelles activités dans le domai- ne de l'intelligence artificielle». Inaugurationdu stand luxembourgeois Les discours d'ouverture ont été suivis d'une visite des 220 stands aux nombreuses facettes du festi- val. Dans ce contexte, leministre a inaugurélestandluxembourgeois mis en place sous la coordination du Luxembourg House of FinancialTechnology(LHoFT).Le stand a permis de regrouper une soixantainedereprésentantsd'en- treprises luxembourgeoises. Lajournéedu12févrierétaitentiè- rementplacéesouslesignedel'in- novation. Le ministre a d'abord visité le pôle innovation à Sophia Antipolis, avec ses recherches de haut niveau et axées sur la pra- tique. Il s'est ensuite rendu aux AccentureLabspourdécouvrirses nouveaux concepts, puis a visité les projets citoyens de la Maison de l'intelligence artificielle à Biot. «L'Europe est capable d'innover, enthéorieetenpratique.Etilexiste en outre un grand potentiel de coopérationavecleLuxembourg», a déclaré leministre. Le11février,GillesRoths'étaitpro- noncéenfaveurd'un«justeéquili- breentrelaprotectiondescitoyens et l'innovation pour l'économie» danslecadred'uneconférencesur les enjeux de la réglementationde l'IA à l'université Côte d'Azur à Nice. Dans ce contexte, il a plaidé pour une IA qui soit gagnant- gagnant pour tous. La conférence a été organisée conjointementavecl'Universitédu Luxembourg.Aprèsl'introduction duministredesFinances,undébat aétéorganiséentrelesprofesseurs des deux universités. Parmi eux, Jean-Louis Schiltz, Marc Cole et Elise Poillot de l'Université du Luxembourg ainsi que Godefroy deBoiscuilléetSimoneVannuccini de l'université Côte d'Azur. Dans ce cadre académique, le ministre des Finances, Gilles Roth, a souli- gné l'importance de la recherche pour l'avenir de l'Europe. Source : ministère des Finances Gilles Roth au World Artificial Intelligence Festival 2025 de Cannes : «L'Europe doit retrouver son audace » ©MFIN “

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