AGEFI Luxembourg - mai 2025

Mai 2025 35 AGEFI Luxembourg Droit / Emploi C yril Lamorlette est expert-compta- ble et réviseur d’entreprises. Il a passé plus de 25 ans à accompa- gner ses clients sur des sujets comptables et financiers ainsi que sur des aspects de contrôle interne et de gestiondes risques. Après avoir été associé chez PwC Luxembourgpendant une dizaine d’années, Cyril est aujourd’hui associé fondateur de PARTNRS. Dans le cadre de cet article, il partage sa vision des défis auxquels font face les associations et fondations. Laplupart des associations ou fon- dations avec lesquelles j’échange en ce moment ont deux problèmes qu’elles doi- vent régler rapidement.D’unepart, certainesdécou- vrent qu’elles sont, à l’heure actuelle, quasiment « inauditables » D’autre part, elles ne sont pas capa- bles de suffisamment rassurer leur conseil d’admi- nistration, donateurs et bailleurs de fonds suite à « l’affaire Caritas ». DesASBL incapables de satisfaire aux exigences d’un audit externe ? « Inauditables », non pas parce que leurs comptes annuels seraient faux ou que leur trésorerie ne serait pas gérée sérieusement « en bon père de famille ». « Inauditables » dans le sens « extrêmement difficiles àauditer». Parcequecetaudit,auquelcertainesasso- ciationsoufondationssontdésormaislégalementsou- mises,estunexerciceextrêmementstrict,trèsprécisé- ment codifié par des normes internationales très rigoureuses (les fameuses « normes ISA » pour International Standards onAuditing ). Ces normes ISA sont à appliquer par des réviseurs d’entreprises agréés sous la supervision exigeante de la CSSF et elles sont identiques pour l’audit des asso- ciations ou fondations comme pour l’audit d’entre- prises d’enverguremondiale ou de banques interna- tionales. « Inauditable » précisément parce que cet audit « ISA » requiert, pour pouvoir être mené cor- rectement, un niveau de formalisation et de docu- mentationdesprocessusadministratifsetcomptables auquel les associations et fondations n’ont pratique- ment jamais été familiarisées. Faut-il repenser complètement son organisation comptable ? Ne nousméprenons pas, il n’est pas question ici d’af- firmerquelesaspectscomptablesetfinanciersnesont généralement pas correctement effectués au sein des associations ou fondations. Il s’agit juste de dire que ces aspects ne sont souvent pas documentés en com- plète conformité avec les exigences des normes ISA. Dès lors, illustrant l’adage « what is not documented is not done », bien connu au seinde la communauté des réviseurs, on constate de nombreux cas ou des asso- ciations et des fondations voient, à l’heure actuelle, leur comptabilité extrêmement difficile à auditer en l’état par un réviseur d’entreprises agréé. Cette situa- tionaboutitenprincipeàunepertedetempsetd’éner- gie considérable, depart et d’autre (i.e. au seinde l’as- sociation auditée et du côté du réviseur), ainsi qu’à des coûts d’audit souvent très élevés et des délais d’exécution à rallonge. Le recours à expert-comptable peut aider les associa- tions et les fondations à améliorer leurs processus, notamment en matière de documentation et d’envi- ronnement de contrôle, ce qui permettra également de faire naître un « audit trail » (ou « piste d’audit ») facile à suivre par le réviseur. Cette amélioration structurelle s’accom- pliraprogressivement,dansuneperspec- tivedelong-terme,enévitantderetomber chaqueannéedansunedémarched’audit fastidieuse et basée sur des recherches manuelles à répétition. On obtiendra ainsi uneorganisationadministrativeetcomptable de bienmeilleure qualité qui permettra de faciliter les travauxdu réviseur et en conséquence limiter les coûts de l’audit externe. Des donateurs et bailleurs de fonds inquiets «L’affaireCaritas », de ceque l’on en sait, interpelle non seulement par les montants astronomiques en jeu, mais aussi par les évidentes et appa- rentes failles dudispositif de contrôle interne qu’elle laisse supposer, àdifférentsniveaux. «Est-cequ’une affaireCaritaspourrait nous arriver ? »C’est laques- tion du conseil d’administration à laquelle les diri- geants d’association doivent aujourd’hui apporter une réponse. Y répondre un « non » catégorique serait irréaliste et pour lemoins très présomptueux. Le risque catastrophique est certes très rare, mais pas impossible. Et ainsi donc, la réponse obtenue par le conseil d’administration, et aussi parfois par les donateurs et bailleurs de fonds, est souvent la suivante : « en principe, non ». Peu rassurant et pas très convaincant… Surtout pour des administra- teurs, souvent bénévoles, habitués à recevoir des confirmations plus tranchées. L’audit interne outsourcé comme outil demaîtrise du risque opérationnel La seule façon d’obtenir une assurance raisonnable sur l’efficacité de son environnement de contrôle interne, c’est de recourir àunprofessionnel de l’audit interne qui effectuera des travaux approfondis, sur base d’une méthodologie éprouvée. Ce profession- nel couvrira l’ensemble des activités de l’association oudelafondation,enappréhendantdemanièrespé- cifique les risques liés à ces activités. L’auditeur interne effectuera des tests portant non seulement sur le design effectiveness des politiques, procédures et processus (i.e. sont-ilspensésdemanière efficace ? en ligne avec les bonnes pratiques ?) mais aussi sur l’operatingeffectiveness descontrôles,surbased’échan- tillons (i.e. les contrôles décrits sont-ils effectués de manière efficace ? permanente ?). Il établira ensuite un rapport documenté qui mettra enlumièrelestravauxréalisés,lesobservationseffec- tuées,lesconclusionsdesestestsainsiquelesrecom- mandations visant à corriger les faiblesses relevées et le cas échéant, à améliorer le dispositif existant avec lamise enœuvre de plans d’action. Ce rapport sera discuté avec la direction et présenté au conseil d’administration. Quelle que soit la taille de l’ASBL, les problèmes subsistent Les inquiétudes des associations et fondations en matière de comptabilité et de contrôle interne sont d’autant plus surprenantes qu’elles touchent, dans la plupart des cas, nonpasdemicro-associationsdevil- lagequi organisent unekermesse annuelle,mais sur- tout des associations ou fondations qui ont pignon sur rue, avec parfois des milliers de membres ou de bénéficiaires, des employés -très qualifiés- et un conseild’administrationcomposédemembresappli- qués,expérimentésetsouventéminents.Autresource desurprise:latrésorerieparfoistrèsconséquentedont disposent ces associations ou fondations ; onparlede plusieursmillions d’euros, voire dizaines demillions d’euros, de budget annuel. Des pratiques organisationnelles devenues obsolètes Alors pourquoi, avec de telles ressources et de tels moyens, ces associations ou fondations font-elles face à ces problèmes d’« auditabilité » et de contrôle interne ? Probablement parce que d’abord, ces enti- tés ne fonctionnent pas, et ne veulent pas fonction- ner, comme des entreprises à but lucratif. Ensuite, le « cœur demétier » de ces entités, si l’on peut uti- liser ce terme pour une association ou une fonda- tion, n’a jamais été, depuis l’origine, la comptabilité, la finance ou le contrôle interne. Toutes leurs res- sources, et toute leur attention, se sont toujours focalisées sur la réalisation désintéressée de leur objet à caractère charitable ou altruiste, auprofit de leurs membres ou de leurs bénéficiaires. Souvent, les dirigeants opérationnels de ces asso- ciations ou fondation sont des experts de leur matière (par exemple, dans le domainemédical, de la logistique, de la coopération, de la petite enfance ou du troisième âge) mais rarement des experts- comptables, des gestionnaires de ressources humaines ou des auditeurs internes. Enfin, pour de très nombreuses associations ou fon- dations, le bénévolat des membres et des adminis- trateurs, la bienveillance et, dans une certaine mesure, l’abnégationde leurs employés, la solidarité et la confiancemutuelle entre toutes les parties pre- nantes, forment leurADN. Faire appel àdes experts en matière de comptabilité, d’organisation et de contrôle interne, pourmettre enplace, contre rému- nération, des processus stricts, reviendrait ainsi, selon certains, à dénaturer l’identité de l’association ou de la fondation. Des solutions simplesmalheureusement trop rarementmises enœuvre « On n’est pas une multinationale » et « on n’a pas d’argent àgaspiller : tout notre argent doit êtredirigé vers nos bénéficiaires », ou bien : « on se repose en priorité sur l’humain, pas sur les processus », ou encore le classique : « on a déjà un membre du Board qui est un ancien réviseur qui auditait telle banque ou telle entreprise de premier plan ». Ces commentaires sont monnaie courante... Pleins de candeur et de bonnes intentions, ils n’en sont pas moins devenus obsolètes, pour ne pas dire dange- reux, au regardde l’actualité et des bonnespratiques enmatière de gouvernance. Pour ce qui concerne le coût de la mise en place d’une comptabilité et d’un environnement de contrôle interne robustes, il est certes non-négligea- ble. Mais le coût de mise en œuvre, à lui seul, ne peutjustifierdespratiquesquineseraientplusadap- tées et trop peu professionnelles. Les risques opéra- tionnels,etenparticulierlerisquedefraude,peuvent avoir des conséquences dramatiques. Prévenir ces risques, lesmitiger, élaborer des plans de secours, ce n’est pas de l’argent gaspillé mais au contraire, un investissement auprofit desmembres et des bénéfi- ciaires de l’association ou de la fondation. Ensuite, à l’argument de lamise en priorité de l’hu- main sur la structure, on peut opposer que l’effort de formalisation des processus n’est pas obligatoi- rement synonymede technostructure indigeste, que les procédures permettent de stabiliser et d’amélio- rer les bonnes pratiques, que les dispositifs de contrôle interne renforcent la responsabilisation et la protection des intervenants dans leurs prises de décision. Mettre en place un protocole de double, voire triple signature, ce n’est pas manquer de confiance vis-à-vis d’un décideur, c’est le protéger et protéger l’organisation dont il assure la bonne marche. C’est aussi mettre en place des règles du jeu qui reposent sur le bon sens, sur une maîtrise équilibrée des risques sans remettre en cause la nécessaire souplesse d’une organisation humaine qui a à cœur de conserver sa réactivité. Enfin, la réputation, l’expertise et l’expérience d’un ou plusieurs membres du conseil d’administration ne peuvent, à elles-seules, suffire à établir et péren- niser une organisation administrative et comptable adéquate. Un individu ne peut, à lui seul, se substi- tuer àune équipedeprofessionnels enmatièred’au- dit et de contrôle interne, qui interviendrait sur base d’une analyse de risque dans le cadre d’un plan de contrôle triennal. La différence, ce n’est pas la com- pétenceou l’expérience, ce sont lesmodalitésdepla- nification et d’exécution de la mission de contrôle interne, le temps à y consacrer, les ressources dis- ponibles, la démarche méthodologique mise en œuvre. Plus indépendants de l’institution, les experts seront également à même d’apprécier des aspects trop souvent négligés, telle que la gestion des conflits d’intérêts par exemple. Quelles actions à prendre dès aujourd’hui ? Dans ce paysage en pleine mutation, les associa- tions et fondations se doivent de remettre à plat non seulement leur mode de fonctionnement mais aussi leur gouvernance. Pour ce faire, elles pourront s’appuyer sur des professionnels en matière d’ex- pertise comptable ou de contrôle interne qui les aideront à avoir un regard neuf et objectif sur leur situation, et qui pourront les éclairer en les posi- tionnant par rapport auxmeilleures pratiques qu’ils ont pu observer par ailleurs. D’un point de vue comptable, l’association ou la fondation pourra contacter un expert-comptable qui la conseillera en amont sur le bon set-up à adop- ter et répondre à des questions structurantes telles que « Quelle organisation, quel outil comptable, quelle méthode d’archivage, quelles interactions avec quels prestataires, quels outils à privilégier ? ». Le point de départ sera unpremier entretien avec le professionnel pour cadrer les besoins et lepérimètre de son intervention. Tous cela sera ensuite formalisé dans une lettre de mission qui permettra à toutes les parties prenantes de s’assurer que la mission est parfaitement définie et bien comprise. D’un point de vue du contrôle interne, le profes- sionnel pourra démarrer par une analyse des risques et réaliser un premier diagnostic qu’il par- tageraavec l’associationou la fondation. Il s’agit d’un travail «maindans lamain», pragmatique et adapté à la situation. Surtout éviter les usines à gaz incom- préhensibles et infine inutiles ! Il conviendra ensuite d’apprécier l’opportunité demettre place une fonc- tion d’audit interne, le plus souvent outsourcée et confiée à un expert en la matière. Une intervention de plusieurs jours voire quelques semaines par an devrait satisfaire à la plupart des cas. Bien sûr, tout cela aura un coût. Mais ce coût restera toujours bienmodeste si on le juge à l’aune du risque de réputation et d’image auprès des donateurs, bail- leurs de fonds et membres des associations et fonda- tions.Sansoublierqu’uneorganisationadministrative etcomptablerobusteouvriralavoieàunauditexterne qui se déroulera endouceur et àmoindre frais. Cyril LAMORLETTE, Expert-comptable et réviseur d’entreprises Associé fondateur de PARTNRS ASBLet fondations : risquées et « inauditables » ?

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