Agefi Luxembourg - avril 2025
AGEFI Luxembourg 34 Avril 2025 Immobilier Par Thomas HUMBLOT, Docteur en Sciences Économiques - Économiste bancaire chez BNPParibas L a reprise du marché de l’immo- bilier résidentiel en France de- puis mars 2024, principalement alimentée par la baisse amorcée un mois auparavant des taux des nouveaux crédits à l’habitat aux ménages, pourrait être contrariée par les tensions observées depuis le début de l’année 2025 sur les rendements obligataires sou- verains. Le taux des obligations assimilables du Trésor (OAT) à 10 ans sert en effet em- piriquement de référence principale à latarificationdescréditsàl’habitatauxmé- nages enFrance.Or, le tauxde l’emprunt phare à10ansabondide3,08%à3,56%entrele28févrieret le 13mars 2025, dans la fouléeduBund, et semainte- nait toujours au-dessus de 3,24%au 9 avril. Si ces tensions devaient persister, la baisse des taux d’intérêtdescréditsàl’habitatauxménages(-95bpsur un an en février 2025) pourrait ainsi s’essouffler rapi- dement en France, nonobstant le comportement de marge des banques. Ce sont plus généralement tous lespaysdelazoneeuroqui,commelaFrance,ontune part de nouveaux crédits à l’habitat à taux fixe relati- vement plus importante qui sont susceptibles de se trouver affectés par unfléchissement de la reprise de leur marché immobilier en raison du caractère géné- ralisé de la hausse des rendements obligataires. Pour l’instant, le tauxde l’EURIBOR12mois qui sert com- munément de référence à la tarification des crédits à l’habitatàtauxvariable,commeenEspagne,nemon- tre pas de signe d’augmentation. En France, comme dans l’ensemble des pays mem- bres de la zone euro, le taux d’intérêt moyen (1) des nouveauxcrédits(horsrenégociations)àl’habitataux ménages s’est sensiblement replié depuis son pic. Il est ainsi passé de 4,17% en janvier 2024, un niveau inédit depuis 2009, à 3,17%en février 2025. La baisse dutauxd’intérêt(quiaétéamplifiéeparunregainde concurrence entre banques) et, dans une bienmoin- dremesure, la poursuite de l’allongement desduréesinitialesd’empruntontcontri- bué à l’amélioration de la solvabilité im- mobilière réelle (2) des ménages au quatrièmetrimestre2024(cf.graphique). La détente du coût du crédit en 2024 n’a toutefois pas effacé la hausse sensible des taux de 2023, qui avait refermé une période de taux continûment inférieurs à 1,5% entre 2018 et 2022. La production nou- vellemensuelle de crédits à l’habitat avait alors chuté à EUR 6,5 mds en février 2024 (-44,6% en glisse- mentannuel),unplusbas depuis 2015. Elle s’est depuis reprise jusqu’à atteindreEUR10,9mds enfévrier2025(+67,8%en glissement annuel). Pour autant, cette augmentation des fluxmensuels n’a pas encore permis de ramener l’évolution des nouveaux crédits cumulés sur douze mois dans une zone positive (-1,1% en février 2025). Cette si- tuation singularisait la France, parmi les grandes économies de la zone euroqui enregistraient toutes, dans le même temps, des hausses des flux de nou- veaux crédits à l’habitat en cumul annuel. Les re- prises les plus fortes ont été observées en Lituanie et aux Pays-Bas (respectivement, +38,6%et +37,6%) tandis que la moyenne de l’ensemble de la zone euro s’établissait à +19,2%. Interrompantonzemoisconsécutifsdebaisse,letaux moyen des prêts à l’habitat aux ménages est resté quasimentstableentredécembre2024etfévrier2025. Néanmoins, la concurrence engagée durant le mois de février par certains établissements sur les taux est denatureàinduireunebaissesupplémentaireàcourt terme.Enraisondudélaideplusieurssemainesentre l’offredeprêtetsondécaissement(dateretenuepour lapriseencomptestatistiquedestaux),l’effetdecette offre devrait se matérialiser au cours des prochains mois. A plus long terme, si les rendements obliga- taires devaient semaintenir à leur niveau actuel, une augmentationdutauxdesnouveauxcréditsàl’habi- tat aux ménages est plus que probable. Or, une haussemêmemodestedu tauxdes crédits à l’habitat estdenatureàaffectersignificativementlasolvabilité immobilière desménages. Tandis que l’allongement de la maturité initiale des crédits avait particulièrement contribué à préserver la solvabilité immobilièredesménages français entre 2016et2023,celevieratteintdésormaisseslimites.La contraintedematuritémaximalefixée à 25 anspar le HautConseildestabilitéfinancière (3) (HCSF)estqua- simentsaturée.Lesprimo-accédantsempruntentdéjà sur une durée moyenne de 24 ans et la maturité ini- tiale moyenne pour l’ensemble des emprunteurs est désormais supérieure à 22 ans. Autreévolutionprogressivementmoinsfavorable,le revenu disponible brut par ménage dont le glisse- ment annuel avait culminé à 9,0% au deuxième tri- mestre 2023 devrait continuer à ralentir (+ 2,4% sur unanauquatrième trimestre 2024). Le refluxde l’in- flation et la fragilisation des perspectives écono- miques, notamment du fait des incertitudes commerciales, continueront de freiner la hausse des revenus, via une plus grandemodération salariale et unmarché de l’emploi moins bien orienté. Le principal facteur d’ajustement susceptible d’amé- liorerlasolvabilitéimmobilièredes ménages français serait une baisse des prix. Le potentiel de correction apparaît d’autant plus important que la valeur nominale de l’immo- bilierrésidentielancienn’aquepeu reculédepuis sonpic. Entre ceder- nier auquatrième trimestre 2022 et son creux au troisième trimestre 2024, l’indicedesprixde l’immobi- lier ancien s’est replié de 6,0% tan- dis qu’il avait augmenté de 34% depuislequatrièmetrimestre2015. Auregarddel’ampleurdelabaisse desnouveauxcréditsetdunombre de transactions sur la même pé- riode (respectivement, -41,5% et - 30,1% en cumul annuel), ce recul des prix apparaît très limité. Il reste néanmoins très supérieur à la moyenne de la zone euro où les prix ont commencé à se reprendredès ledeuxième trimestre2024 (+1,3% entre le T4 2022 et le T3 2024), alors même qu’ils avaient déjà progressé plus fortement qu’en France depuis 2015. L’ampleur d’une éventuelle baisse des prix enFrancedépendànouveauducomportement desménagesacheteursetvendeursdontl’attentisme a déjà gelé lemarché en 2023/2024. Un dernier levier éventueld’augmentationdelasolvabilitéimmobilière des ménages serait une hausse du taux d’effort qui demeure invariablement autour de 30%des revenus annuels depuis 20 ans, y compris pour les primo-ac- cédants, alors que leHCSF le plafonne à 35%. En dépit du regain d’intérêt (sélectif) des banques pour le prêt à l’habitat, une détérioration de la capa- citéd’emprunt desménagesdueàune remontéedes taux d’intérêt pèserait nécessairement sur la de- mande. La nature de plus en plus durable des fac- teurs sous-tendant les tensions sur les rendements obligataires souverains rend cette dernière éventua- lité de plus en plus plausible. L’intensité d’une dé- gradationde la solvabilité immobilièredesménages dépendranotammentdel’évolutiondesprixdel’im- mobilieretdelapressionconcurrentielle.Audemeu- rant, alors que la production nouvelle se situe quasiment à sonniveaud’étiage, le risque est davan- tage celui d’une interruption de la reprise de la pro- duction nouvelle que d’une baisse à partir des niveaux actuels. La reprise de l’immobilier résidentiel en France pourrait être contrariée si les tensions sur les rendements obligataires persistent 1) Taux effectif au sens étroit, pondéré par les flux à court et long terme 2) Exprimée en m 2 et fonction du revenu moyen par ménage, au prix deslogementsanciens,autauxnominaletàladuréeinitialed’emprunt. Le taux d’effort est fixé par hypothèse à son niveau historique de 30%. 3)Autorité macroprudentielle française L a Cour de cassation a jugé le 2 avril 2025 (Cass. Com. 2 avr. 2025, n° 23-14.568) que les parts de sociétés civiles immobilières (SCI) françaises détenues par des résidents luxembourgeois étaient imposa- bles à l’impôt sur la fortune (ISF) (transposable à l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI)). Dans cette affaire, des résidents fiscaux luxembourgeois détenaient directement des parts d’une SCI française translucide fiscalement (art. 8 Code général des im- pôts (CGI)). Ils estimaient premièrement que ces parts ne devaient pas être regar- dées comme des biens immobiliers et, d’autrepart, que la SCI,malgré la translu- cidité fiscale et le transfert de l’imposition des revenus à ses associés, était dotée d’une personnalité fiscale propre privant d’effet l’article 3.3 de la convention. Enclair,ilss’appuyaientsurl’approchetra- ditionnellement civiliste de la Cour de Cassation (cf Cass. Plén., 2 oct. 2015, n°14- 14.256 (i) )quiétaitopposéeàl’approcheéco- nomiqueretenueparleConseild’État(CE, 24fév.2020,n°436392 (ii) ).Historiquement, lespartssocialesétaientqualifiéesdebiens mobiliers endroit interne comme endroit conventionnel par laCour deCassation. LaCourdeCassationopèreunrevirement qui nécessitera d’analyser avec précision les schémas existants dedétention immo- bilière à l’international par un accompa- gnement juridique rigoureux. Que dit laCour deCassation ? Non, l’article 20.1de la conventionne vise pas que les seuls immeubles situés en France. « En ce qui concerne les impôts sur la fortune, si la fortune consiste enbiens immobi- liers et accessoires, l’impôt ne peut être perçu que dans l’État contractant qui est autorisé à imposer le revenu qui provient de ces biens ». LaCourdeCassationprécise : « Selon l’ar- ticle 3.4 (de la convention) les gains d’une en- tité dont les actifs sont constitués pour plus de 50%par des biens immobiliers situés dans un État contractant ne sont imposables que dans cetÉtat.IlenrésultequelespartsdeSCIayant leur siège social en France et propriétaires de biensimmobilierssituésenFrancedoiventêtre regardées comme des biens immobiliers ». La Cour indique également au visa de l’article 3.3 (de la convention) que « ayant constaté que les SCI, qui ont leur siège social enFrance,relevaientdesdispositionsdel’article 8 du CGI, leurs résultats étant déclarés par chaqueassociéàhauteurdesaparticipation… que leurs bénéfices devaient être imposés en France, peu important que ces sociétés dispo- sentparailleursd’unepersonnalitéfiscalepro- pre, la cour d’appel ena exactement déduit que lespartsdessociétéscivilesimmobilièresétaient imposables à l’ISF en France ». La Cour de Cassation procède à un amalgame extensif entre les articles 1655 terCGI (sociétés transparentes viséespar la convention) et l’article 8 CGI qui orga- nise la translucidité fiscale des sociétés ditesdepersonnes. LaCour considèrede manière aussi extensive (au-delà de la disposition conventionnelle) que subjec- tive (qui paye l’impôt sur les revenus du bien ?) que le fait que le revenu soit im- posable en France définit la nature juri- dique du bien qui en est la source au détriment d’une application littérale des stipulations conventionnelles. Cela soulève, sur un plan juridique, di- verses difficultés majeures au regard de la sécurité juridique. Qu’en serait-il pour une SCI ayant opté à l’IS ? Et pour une SCI dont unassocié intermédié entre elle et le résident luxembourgeois aurait la charge de l’impôt sur le revenu ? Quelle est la portée exacte de cette décision ? Les parts des SCI françaises ne sont pas les seules concernées par cette décision. Les fonds immobiliers tels que les Orga- nismesdePlacementCollectifImmobilier (OPCI),SociétésCivilesdePlacementIm- mobilier (SCPI) unités de compte immo- bilièresdescontratsd’assurance-vie,trust, souvent considérés comme des investis- sements financiers vont rentrer dans le champ d’application de l’IFI. Les résidents fiscaux luxembourgeois ne sontpaslesseulsconcernésparcettedéci- sion. Tous les résidents des pays liés par une convention fiscale similaire avec la France seront impactés et il convient d’en analyser les conséquences notamment pourMonaco. Alors, etmaintenant ? Nous attirons cependant l’attention du lecteur sur les détentions indirectes des SCI françaises, par une Société de Parti- cipations Financières (SOPARFI) par exemple, dont le résident luxembour- geois serait l’associé. Sous réservede la réalitéd’une substance suffisante et ducaractèrenon-fictif ouar- tificiel de cette interposition, l’apprécia- tion de la notion de prépondérance immobilière doit, en principe, être réali- sée au visa de la loi du pays de situation du bien dont il s’agit. La nouvelle convention fiscale liant le Luxembourg à la France contient explici- tementunedispositionspécifiquerelative à l’impôt sur la fortune pour les biens im- mobiliers.Ils’agitdel’article21CFIdontle texteestprécisémentl’article 21-1:«Lafor- tune constituée par des biens immobiliers visés à l’article 6, que possède un résident d’un État contractant et qui sont situés dans l’autre État contractant,estimposabledanscetautreÉtat », et l’article 21-4 « Tous les autres éléments de la fortune d’un résident d’un État contractant ne sont imposables que dans cet État ». Deplus,l’article6-2CFIdispose:« L’expres- sion«biensimmobiliers»alesensqueluiattri- bue le droit de l’État contractant où les biens considérés sont situés (iii) ». Ainsi, le bien détenu par le résident luxembourgeois(iv) étant constitué d’ac- tions ou de parts d’une société luxem- bourgeoise (qui détient la SCI), la notion de prépondérance devrait suivre l’ap- proche luxembourgeoise. Or, le Luxem- bourg ne considère pas que de tels titres soient assimilables à des droits immobi- liers conservant l’analyse traditionnelle selon laquelle des droits, parts ou actions sont des biens mobiliers, l’actif social fût- il composé même majoritairement d’ac- tifs immobiliers. De même, le plus souvent ces structures patrimoniales détiennent d’autres biens dont la valeur peut être supérieure au seuil de 50% validé le 2 avril 2025 par la Cour de Cassation. Enfin, la titrisation immobilière, qui consiste pour un investisseur à souscrire uneobligationémiseparunvéhiculespé- cifique de titrisation qui va détenir le bien immobilier situé en France, n’est pas concernée par ce soudain revirement ju- risprudentieldanslamesureoùl’investis- seur(ousasociétépatrimoniale)nepossè- de « que » des obligations dont la nature financière ne peut être remise en cause. Encore du travail sur la planche en pers- pective. M e PhilippeLAURENS AvocatauxbarreauxdeLuxembourgetdeMontpellier CabinetNEXUSConseilsetNEXUSLuxembourg i) Dans cette affaire, la Cour de Cassation avait considéré que des parts sociales d’une sociétémo- négasque propriétaire d’immeubles en France de- vaient être considérées au regard de la convention franco-monégasque du 1 er avril 1950 comme des biensmeubleset,àcetitre,n’étaientpastaxablesaux droitsdesuccessionenFranceenapplicationdel’ar- ticle6deladiteconvention. ii) Le Conseil d’État a jugé pour sa part que la ces- sionparunrésidentfiscalbelgedespartsd’uneSCI françaisequidétenaitunevillaenFrancerelevaitde l’article 244 bis A CGI et devait être assujettie à un impôtsurlesplus-valuesdespersonnesphysiques enFrance. iii) La question consiste à savoir si le « sens »men- tionné dans la convention doit être tranché en ap- pliquant la doctrine de la prépondérance immobilièredulieudesituationdel’immeubleou bien du lieu de situation du bien détenu par le contribuable et qui doit faire l’objet d’une déclara- tionautitredel’impôtsurlafortune(danscettehy- pothèse : les parts ou actions de la structure luxembourgeoise). iv)Dansl’affairequelaCourdeCassationvientde juger,lebiendétenuparlerésidentluxembourgeois étaitconstituédepartssocialesd’uneSCIfrançaise. C’estdoncle«sens»françaisdeprépondéranceim- mobilièrequ’ilconvenaitd’analyser. Les parts de SCI deviennent imposables à l’IFI pour les Luxembourgeois ©Adobestock
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