Agefi Luxembourg - janvier 2025
AGEFI Luxembourg 34 Janvier 2025 Droit / Emploi ParMarineA NCEL ,Juriste,deCastegnaroIus–Laboris C ’est ce qu’onpeut retenir de l’ar- rêt de laCour d’appel du 14 no- vembre 2024 (1) qui, tout en reconnaissant que l’employeur n’avait pas violé la clause de garan- tie d’emploi conventionnelle, a conclu au caractère abusif du licen- ciement économique pour défaut de précisionde lamotivation. Conditions de la clause de garantie d’emploi Une clause de garantie d’emploi est une disposition qui interdit à l’em- ployeur de rompre le contrat de tra- vail durant une période déterminée, sauf pour desmotifs spécifiques préala- blement définis (généralement pourunmotif écono- mique). Elle a pour objectif d’offrir une stabilité d’emploi au salarié et de renforcer la confiance entre les parties au contrat de travail, en particulier pour des postes stratégiques.Assez rare enpratique, cette clauseconstituepourtantunmécanismederétention de talents qui, à certains égards, peut-être plus inté- ressantsurleplanhumainetfinancierquelesprimes de bienvenue, plus répandues. Qu’elle soit inséréedans le contrat de travail, oudans unaccordd’entreprise,laclausedegarantied’emploi doit réunir plusieurs éléments sous peine de nullité. Pour rappel, l’employeur et le salarié sont autorisés àdérogerauxdispositionsrelativesàlarésiliationdu contrat de travail dans un sens plus favorable au sa- larié. Est donc nulle et de nul effet toute clause contraire aux dispositions légales afférentes, pour autant qu’elle vise à restreindre les droits du salarié ou à aggraver ses obligations. Plusconcrètement,encequiconcernelaclausedega- rantied’emploi,celasetraduitparlefaitquecetteder- nière ne doit pas totalement entraver le droit de l’une ou l’autre des parties de résilier le contrat de travail. En ce sens, a été validéepar les juges de laCour d’ap- pel la clause de garantie d’emploi : - d’une durée de 4 ans, empêchant la résiliation du contrat par l’une ou l’autre des parties, sauf faute grave (2) . - d’une durée de 3 ans, empêchant la résiliation du contrat, sauf faute grave du salarié (3) . Pour être valable, la clause de garantie d’emploi doit donc être àduréedéterminée.Ainsi, si les conditions d’exceptionsnesontpasremplies,elles’imposeàl’em- ployeur sous peine de sanction. En l’espèce, un salarié, journalistedepro- fession, a été licencié avec préavis en datedu6novembre 2020 aumotif que la crise sanitaire due à la Covid-19 avait engendré des conséquences économiques désastreuses pour l’entreprise. Or, la convention col- lectiveprévoyaituneclausedega- rantie d’emploi selon laquelle il était impossible pour l’em- ployeurdeprocéderàunlicen- ciement pour raison écono- mique, sauf en cas : (1) de forcemajeure, oubien (2) d’évènements imprévisi- bles . Par requête du 18 août 2021, le salarié a contesté la validité de son licenciement devant le tri- bunal du travail qui a concluau caractère abusif du licenciement, nonpas pour violationde la clausede garantied’em- ploi comme le revendiquait le salarié, mais pour im- précisionde lamotivationdu licenciement. Régime d’exceptionde la clause de garantie d’emploi Concernant les revendications du salarié quant à la garantied’emploi,l’employeurrappellequelaclause de garantie d’emploi prévoit deux exceptions (sus- mentionnées). LaCour d’appel suit le raisonnement de la juridiction de premier degré et retient que la pandémie de la Covid-19 (et les mesures prises à sa suite) constitue, en raison de son anormalité, de sa soudaineté et de sa rareté , un événement imprévi- sible s’opposant à l’application de la clause de la ga- rantie d’emploi. Deuxobservationspeuventiciêtreeffectuées.Premiè- rement, laCourd’appel retient que lapandémiede la Covid-19peutêtrequalifiéed’« évènementimprévisible » sans se prononcer sur le fait de savoir si elle pouvait êtrequalifiéedeforcemajeure (4) .Or,l’employeurétant restésilencieuxsurlechoixdel’exceptionretenuepour procéderaulicenciement,laCourauraitpusaisircette opportunité pour se prononcer sur les deux notions. On peut en déduire que lors de la rédaction de la clause de garantie d’emploi, un employeur n’aurait pasbesoind’érigerlaforcemajeurecommeexception à la garantie, mais seulement de prévoir le caractère imprévisible de l’évènement, ce qui sera, le cas échéant, bien plus facile à qualifier. Il en résulte que les employeurs disposent d’une certaine forme de li- bertédans ladéfinitiondu régimedes exceptions à la clause de garantie d’emploi. Ensuite, laCourd’appel ne recherchepas àétablirde lien de causalité entre les difficultés énoncées par l’employeur et la crise de la Covid-19. Pourtant, aux fins de contester l’imprévisibilité des difficultés allé- guées par l’employeur, le salarié avait soulevé que les difficultés économiques ne résultaient pas de la Covid-19, mais existaient de longue date avant cette crise sanitaire. Si, pour ce cas d’espèce, la Cour sem- ble avoir balayé ce point sans explications, il est for- tement recommandé aux employeurs d’établir matériellement ce lien de causalité, dont l’absence, dans une autre espèce, aurait pu conduire à la viola- tion de la clause. SilaCouravaitconcluàlaviolationdelaclause,deux cas de figure auraient pu se présenter. Soit la clause degarantied’emploiétaitassortied’uneclausepénale, auquel cas l’indemnité forfaitaire prévue pour le cas d’unetelleruptureauraitdûs’appliquer.Soitlaclause n’en était pas assortie, et il aurait incombé au salarié de démontrer l’existence et l’étendue d’un préjudice résultant de la rupture prématurée du contrat de tra- vail provoquée par violation de la clause. Le cas échéant, l’employeur aurait certainement engagé sa responsabilité sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil. La Cour aurait alors exigé du sa- larié qu’il soit en mesure de justifier de sa situation professionnelle entre la rupture du contrat de travail et l’échéance de la clause de garantie d’emploi, afin quelesjugespuissentdéduirelesrevenusperçuspen- dant cette période de l’indemnisation. Motivationdu licenciement économique : méthodologie de la justification En ce qui concerne la motivation du licenciement, l’employeuraffirmaitquelepostedusalariéaétésup- primé du fait des difficultés économiques de l’entre- prise. Après avoir rappelé qu’en matière de licenciement résultant de difficultés économiques, l’employeurrépondàl’exigencedeprécisionlégales’il a indiqué : (1) les raisons de la restructuration de son entreprise et de la suppression d’emplois, (2) les me- sures de restructuration qu’il a prises et (3) leur inci- dencesurleposteoccupéparlesalariélicencié,laCour d’appel entreprend une analyse chirurgicale de cha- cundesélémentsmentionnésdanslalettredemotifs. Elle établit une liste de tous les éléments manquants ou imprécis de la lettre demotifs : -L’employeurn’apasmentionné lestâchesetrespon- sabilités effectives du salarié au moment du licen- ciement . Ces informations sont éminemment importantes pour que le tribunal puisse comprendre quel était le rôledusalariéauseinde l’entreprise et au sein de service et pourquoi ce dernier n’est plus utile. Les missions prestées en dernier lieu doivent être ri- goureusement détaillées et expliquées, afin que les juges puissent vérifier si le poste du salarié a effecti- vement été supprimé. - Bien que l’employeur ait fourni des chiffres sur le montantdespertesenchiffred’affaires (ratiocoûtsa- larial vs. chiffresd’affaires, fraisdepersonnel), lesdo- cuments fournis ne permettaient pas de retracer le montant de pertes invoqué. En effet, la Cour relève que le tableau transmispar l’employeurpour justifier les pertes ne permet pas de retomber sur le montant que ce dernier a invoqué. Enmatière de licenciement économique, les employeurs doivent être enmesure d’indiquer des chiffres précis et cohérents, et surtout être enmesure de fournir une documentationfiable qui corrobore le contenude la lettre desmotifs . Enoutre, la lettredemotifsnedonnait pasdedétails : - sur lanaturedesmesures de restructurationprises et qui seraient à l’origine de la suppression des postes , dont celui du salarié licencié. L’employeur s’était contenté d’évoquer « une restructuration du ser- vice » sans toutefois enpréciser le contenu. - sur la nature des mesures prétendument prises pour compenser la réductionde la taillede l’équipe invoquée par l’employeur . En l’espèce, l’employeur évoquaitsimplementque« desnouvellesprioritésontété définies »pour« compenserlaréductiondupersonnel» sans toutefois les identifier. L’employeurauraitdû,pourchacundecesdeuxmo- tifs, nommerlesmesuresprises,enexpliquerconcrè- tement lamise en place/et ou le fonctionnement, et lebut qu’ellespoursuivaient . Eneffet, laCour atten- daitquelesmesuresderestructurationetlesnouvelles prioritéssoientclairementdécritesetidentifiées.Enfin, il aurait fallu démontrer en quoi ces mesures ren- daientimpossiblelemaintienduposteetdusalarié dans l’entreprise . Étant empêchéed’exercer soncontrôle sur la réalité et le sérieux dumotif économique par l’absence de pré- cision quant auxmesures de restructuration, la Cour conclut au caractère abusif du licenciement. Les employeurs doivent donc être vigilants. Prévoir des exceptions à la clause de garantie d’emploi ne les libèrepasdeleurobligationlégaledemotiverlelicen- ciement. Afin de satisfaire son obligation de motiva- tionenmatièreéconomique,l’employeurdoitvérifier s’ilaprécisélanaturedelamesurederestructuration, lecontextedanslequelelless’inscriventetl’impactsur le poste supprimé du salarié licencié. 1)Courd’appeldu14novembre2024,n°137/24–CAL-2023-00092 2)CSJ,8 e ,19décembre2013,38561. 3)CSJ,3 e ,29 juin2023,CAL-2021-00698.Enl’espèce,laclause,rédigée enlangueanglaiseétaitlasuivante“ Employmentisguaranteedfortheini- tialthreeyears’period,exceptinthecasewheretheEmployeewouldcommita majorbreachofcontract .” 4)Pourrappel, ilestde jurisprudenceconstanteque les jugesdoivent releverlescaractèred’imprévisibilité,d’irrésistibilitéetd’extérioritéde l’évènementpourqualifierlaforcemajeure. L’inapplication de la garantie d’emploi n’exonère pas l’employeur de l’obligation de motiver le licenciement économique L es discussions, le 8 janvier dernier, avec le directeur gé- néral de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) ClaudeMarx en commis- sion spéciale Caritas n’ont pas porté sur le fond de l’affaire, mais sur le cadre légal et réglementaire. En début de réunion, la commission a décidéde saisir le comité consultatif sur la conduite des députés ainsi que le barreau pourdonnerleuravisquantàunéventuel conflit d’intérêts du côté de la présidente de commission StéphanieWeydert. La présidente de la commission spéciale StéphanieWeydert ne voit pas de conflit d’intérêts : elle figure bien sur le tableau des membres d’un cabinet d’avocats représentant l’unedes deux banques fai- sant l’objet d’une enquête du Parquet dans l’affaire Caritas, mais elle affirme ne plus être active professionnellement depuis novembre 2023. Tous les intervenants ont souligné qu’ils ne doutent pas de l’intégrité de la dépu- tée,mais qu’il s’agirait de ne laisser place au moindre doute sur le sérieux et l’ob- jectivité des travaux de la commission. Si des députés d’opposition étaient d’avis que Laurent Zeimet aurait démis- sionné de la présidence de la commis- sion pour des raisons similaires que celles invoquées à l’encontre de Stéphanie Weydert, d’autres étaient d’avis que la situationdeLaurent Zeimet était différente de celle de l’actuelle pré- sidente de commission. Plusieurs députés ont regretté que, dans une lettre adressée à la Chambre, la Caritasmette en cause la légitimité de la commission spéciale et doute de la base légale des procédures en cours. Quelques-uns étaient d’avis qu’il pour- rait s’agir d’un prétexte servant à ne pas devoir se présenter en en commission spéciale. Finalement, la commission a décidé de saisir le comité consultatif sur la conduite des députés ainsi que le bar- reau pour donner leur avis quant à un éventuel conflit d’intérêts de Stéphanie Weydert. Les obligations des banques en trois volets Qu’enest-il du respect par les banquesde leurs obligations professionnelles ? Le directeur général de la CSSF a expliqué que son institution ne jugerait pas de la responsabilitédesbanquesetneprendrait pas position quant à leur responsabilité civile. Ce rôle serait du ressort des tribu- naux. Pour bien comprendre les enjeux, on devrait identifier trois volets : la pré- vention de la fraude, pour laquelle les banques devraient disposer de méca- nismesspécifiques,lapréventiondublan- chiment et la gestion du risque de crédit. La supervision des deux banques en cause dans l’affaire Caritas incomberait à la banque centrale européenne et ceci parce qu’il s’agirait de deux banques sys- témiques. La CSSF n’aurait que des com- pétences résiduelles, notamment en matière de blanchiment.Après la collecte des faits et les recherches dans les banques, les conclusions de la CSSF seraientfinaliséesfinmars.Actuellement, on se trouverait dans une phase contra- dictoire de ce processus. Enfindecourse,laCSSFpourraitsoitfor- muler une lettre d’observations lorsqu’il s’agirait de critiques non substantielles, soit formuler une injonction à faire des changements ou encore avoir recours à une procédure administrative non contentieuse,enclairunesanction,lorsde manquements plus graves. Dans ce der- nier cas, il pourrait s’agir d’une publica- tion des reproches accompagnée d’une amende financière. Le cadre législatif actuel paraît approprié Le directeur général de la CSSF est revenusurlecadrelégaletréglementaire, sur les normes émises par le GAFI et les règles européenne concernant la lutte contre le blanchiment. Il a expliqué quelles conditions sont requises pour la gestion du risque de crédit et quels devraient être les mécanismes en place pour prévenir la fraude. On ne peut jamais totalement exclure la possibilité d’unefraudeetlesbanquesn’ontpasune obligation de résultat, mais une obliga- tion de moyens : c’est ainsi que s’est expriméClaudeMarx. Et encore : «Après analyse des règles existantes et sans anti- ciper les conclusions de la CSSF portant sur l’affaire Caritas, le cadre législatif actuel paraît approprié pour prévenir un détournement de fonds.» Le destinataire des conclusions de laCSSF Plusieurs députés ont voulu savoir quels sont les destinataires des conclusions de la CSSF. Elles seront communiquées par courrier à la Banque centrale européenne et aux banques, a répondu ClaudeMarx. LaCommission spécialeCaritas ne figure donc pas parmi les destinataires des conclusions de laCSSF. Règles plus strictes pour les clients particuliers des banques ? Quelques députés sont revenus sur des critiques récurrentes selon lesquelles les banques seraient plus exigeantes envers lesparticuliersqu’enversCaritasoud’au- tres organismes. Les règles sont exacte- ment les mêmes concernant par exem- pleslesgaranties,lesvirementsoulescré- dits, qu’il s’agisse de particuliers, d’ONG ou de sociétés, a expliqué le directeur général de la CSSF. Enréponseàunequestionvers la finde la réunion sur son appréciation de la situa- tionquiseprésentesuiteàl’affaireCaritas, ClaudeMarxaréponduquelaCSSF,tout comme la Banque centrale européenne, prenait l’affaire très au sérieux. Source : Chambre des Députés Affaire Caritas : « un cadre législatif actuel approprié » ©ChambredesDéputés
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