Agefi Luxembourg - janvier 2025

Janvier 2025 33 AGEFI Luxembourg Droit / Emploi By William Lindsay SIMPSON, Président de la Conférence Saint-Yves* E xiste-il un impôt juste et un impôt injuste ? Est-ce juste de taxer les plus riches et d’allé- ger les plus pauvres ?Malgré la complexité dudroit fiscal, est-il en- core possible pour le contribuable de se faire un avis sur ce qu’est «la justice fiscale» ? (1) Qu’est-ce que la justice (fiscale)? Pour répondre à cette question, le Prix Nobel de l’économieAmartyaSendonne l’exemple d’une querelle entre trois en- fants au sujet de la possession d’une flûte (2) . Le premier enfant, qui a fabriqué la flûte, déclare que cette dernière lui re- vient sur la base du critère du mérite (doctrine du libéralisme). Le deuxième enfant, le seul à pouvoir jouer de cette flûte, revendique ce jouet pour qu’il s’en serve (critère de l’utilitarisme). Enfin, le troisième enfant, n’ayant pas de jouet ni de don particulier, réclame également l’instrument car lui aussi à le droit à un jouet (vision égalitariste). Cette histoiremontre l’étendue des pos- sibilités de ce que peut-être la justice et la difficulté d’appliquer un critère unique. Selon Gilles Roth (ministre des Finances), la justice fiscale est également «un difficile exercice d’équilibre entre justice sociale/fiscale et efficacité économique/finan- cière» . Fatima Chaouche (référendaire à la Cour administrative) précise que l’étude de la justice fiscale est un do- maine essentiellement occupé par les économistes et qu’au vu de la difficulté de définir cette notion, les juristes l’ana- lysent prudemment à partir duprincipe de capacité contributive. La «capacité contributive» du contribuable comme curseur dudroit fiscal Le législateur luxembourgeois dispose théoriquement d’une grande capacité d’action pour légiférer sur l’imposition des personnes physiques résidentes. Ce- pendant, suivant le principe de la hiérar- chie des normes, la loi fiscale doit respecter la Constitution et les principes générauxdudroitcommel’égalitédevant la loi, la sécurité juridique, et plus spécifi- quement le principe de «la contribution à l’impôt suivant les facultés contributives du contribuable» . Le juge constitutionnel a ré- cemment donnéunevaleur constitution- nelle à ce principe en précisant que «ces facultés contributives s’analysent à partir de la réalité économique» (3) . Ce principe trouve son origine dans la ju- risprudencedelaCouradministrativequi adéfini la capacité contributivedu contri- buable à partir de deux volets, dont l’un est«objectif»etl’autre«subjectif».Lacapa- citécontributiveobjectivecouvreladéduc- tibilité des frais qu’une personne peut déduirelorsqu’elleaengagédesdépenses pour obtenir un revenu (par ex. les dé- penses d’exploitation). Alors que la capa- cité contributive subjective du contribua- ble est la prise en compte de sa situation familiale ou personnelle (par ex. les per- sonnes à charge) (4) . Quelle réforme fiscale à venir? L’accorddecoalitionenmatièredefiscalité des personnes physiques indique que le gouvernement s’engagerapour réduire la chargefiscaledespetitsetmoyensrevenus et qu’il entamera les travaux en vue de la miseenplaced’uneclassed’impôtunique avec l’engagement de présenter un projet de réforme pour l’année 2026. Cet accord précise également que le taux marginal d’imposition (5) des personnes physiques ne sera pas augmenté. Commentant cet accord, le ministre de Finance rappelle que l’imposition luxembourgeoise pour les personnes physiques évolue trop rapidement vers les taux les plus élevés. Pour cette raison, le barème d’imposition a été adapté à l’inflation (notamment avec la loi du 20 décembre 2024 (6) ). Le ministre précise que la future réforme fiscale sera fondée «sur une fiscalité juste et équitable avec no- tamment la recherche de la plus grande sim- plicité possible tout en sauvegardant la progressivité du barème» . Quelques éléments de discussion sur la justice fiscale : L’impôt sur les milliardaires . Le rapport Zucman de juin 2024 (discuté dans le cadre de la présidence du G20) indique que les milliardaires ne contribuent pas suffisamment à l’impôt sur le revenu. Chiffresàl’appui,GabrielZucmanestime que sur les 3.000 milliardaires qu’il y a dans le monde, leurs participations res- pectives à l’impôt sur le revenu serait de 0,8% de leurs patrimoines (7) . En consé- quence, cet économiste (élève de Piketti) recommande de taxer les ultra-riches avecunseuilminimumde2%deleurpa- trimoine (s’inspirant enceladusuccèsde l’imposition minimale des sociétés). M e Alain Steichen (un fiscaliste reconnu) conteste la méthodologie employée par l’économiste dans son rapport. Selon lui, l’économisteZucmann’apas lesdonnées disponibles pour calculer l’impôt sur le revenu. Il a donc construit des données par rapport au patrimoine et obtient un chiffrequiestapriorichoquant.L’ensem- ble des milliardaires n’ont pas des reve- nus courant élevés mais ils sont assis sur des fortunes colossales car ils ont lancé des entreprises dont ils sont les action- naires principaux. Prenant l’exemple du milliardaire Musk, M e Steichen rappelle que M. Musk sera imposable sur les stock-options de sa so- ciété Tesla le jour où ils seront réalisés. De même, il paye déjà l’impôt (par ricochet) via la société Tesla qui est soumise à Pillar II soit 15% d’impôt minimum sur les so- ciétés. FatimaChaoucheexprime, quant à elle, une forme de malaise à voir le statu quo maintenu puisque les grandes for- tunes échappent à la progressivité du ba- rème de l’impôt sur le revenu. Cette problématique se trouve notamment ac- centuée par le fait que ces fortunes dispo- sent essentiellement de revenus de capitauxqui sont peu imposés, voire exo- nérés dans de nombreux cas. L’impôt sur la fortune . La création d’un tel impôt pourrait avoir pour effet d’en- voyer un signe négatif pour l’attractivité de la place financière. Cela sera évidem- ment différent si tous les pays OCDE se mettaient d’accord pour une imposition minimale sur la fortune. Pour rappel, cet impôt aété suppriméauLuxembourgen 2006 en raisonde sa non-rentabilité et du problème de son recouvrement posé par le secret bancaire. Ce dernier n’est plus applicablepourlesnon-résidentsmaisest encore applicable pour les résidents luxembourgeois. Laquestionde la justice fiscale demeure entière : si deux per- sonnes ont le même revenu (disons 100.000EUR),mais l’uneaunpatrimoine conséquent et l’autre pas. Qui a la plus forte capacité contributive ?L’imposition dupremier serait-elle juste ? Il s’agit ici in fine d’un choix politique. Tout en soulignant les inégalités crois- santes auseindes sociétésoccidentales, le DrFatimaChaouchesoulignequelespa- trimoines des grandes fortunes ne sont pas suffisamment pris en compte par l’impôt sur le revenu. À ce titre, elle rap- pelle l’inexistence du droit des succes- sionsauLuxembourg(enlignedirecte)et le fait que le revenudupatrimoine est si- gnificativement sous-imposépar rapport au revenu du travail (8) . La réforme des classes d’impôt . Ques- tionnantl’objectifpoursuiviparl’annonce de la réforme des classes d’impôt, les in- tervenants précisent que suivant le prin- cipe d’égalité devant la loi, il convient de comparer des situations qui sont objecti- vement comparables et qu’une égalitéde traitement (fiscal) ne peut être atteinte qu’à la condition de l’existence de cette comparabilité. Or, à titre d’exemple, la Cour constitutionnelleadéjà rappeléque les partenaires ne sont pas dans lamême situation que les couples mariés (qui ont par exemple une obligation d’entraide). Selon Fatima Chaouche, le système de la classe d’impôt 2, très souvent incompris, aétémis enplacepour réparerune injus- tice car sans ce système, un couple où les deux personnes mariées travaillent va payer plus d’impôt qu’un couple non- marié avec le même revenu. Ce système peut être sourced’avantagefiscal lorsque l’on a un couplemono-actif. FatimaChaoucherappelleégalementque le système actuel a des défauts mais que l’individualisation de l’impôt, sans pren- dreencomptelasituationpersonnelledu contribuable, pourrait se révéler inconsti- tutionnelle dans lamesure où le principe de la capacité contributive exige que l’on prenne en compte les charges person- nelles et les charges de famille du contri- buable. Selon elle, dans le projet d’individualisation annoncé, il faudra veillerànepassupprimerlesclassesd’im- pôtsexistantespourfinalementreconnaî- tre les mêmes traitements fiscaux sous forme d’abattements et autres méca- nismesderéductiondelabaseimposable. Lebarèmed’imposition .Lebarèmed’im- position est le résultat d’une évolution historique.Alorsqueletauxd’imposition abaissé(letauxmarginald’impositionest passéde60%ilyatrenteansà40-42%au- jourd’hui), le nombre de tranches d’im- position a augmenté (de 13 il y a trente ansà23aujourd’hui).Onpasseainsid’un tauxd’impositionde 0%pour un revenu de 10.000EURàun tauxde 40%pour un revenude100.000EUR.Avec23tranches, le Luxembourg est le «champion du monde» des tranches de barèmes d’im- position selonM e Steichen (autour d’une dizaine en moyenne dans les autres pays).Ilprécisequelelégislateurpourrait décider de créer des tranches plus larges. Steichen et Chaouche soulignent unani- mement le problème posé par le phéno- mène du Mittelsstandsbuckel qui a pour effet de faire subir une progressivité du barème plus forte à l’endroit des per- sonnes issues de la classemoyenne. Lacomplexitédudroitfiscal .Lasituation luxembourgeoise est relativement meil- leureencomparaisonàsesvoisins.Larai- son de la technicité croissante du droit fiscal se trouve dans l’habitude du légis- lateur de mettre en place des mesures d’incitations économiques (par ex. le cré- dit d’impôt) et d’alléger l’imposition des plusmodestes.Unesolutionpoursimpli- fier le droit fiscal serait de remplacer les mesuresd’incitationsfiscalespardessim- ples subventions comme cela a été effec- tué récemment avec les allocations familiales. Les intervenants s’accordent à dire que les raisons de la complexité du droitfiscalreposentaujourd’huiessentiel- lement sur lamultiplicité des textes euro- péennes à transposer en droit interne. Justice et fiscalité : un terrain de réflexion à redécouvrir SelonM e NicolasDuchesne (Conférence Saint Yves), le concept de justice fiscale appliqué aux personnes physiques en- globe non seulement des aspects liés à la politique et à l’économie, mais égale- ment une dimension juridique en plus de soulever de nombreuses questions éthiques. Il offre aussi lapossibilitéde ré- fléchir à certains aspects en lien avec la structure de la société comme la famille. Ainsi, M e Vincenzo Bassi (Fédération des associations familiales catholiques) propose de changer de vision sur la fa- mille en la traitant - sous l’angle fiscal - comme un investissement durable pour l’ensemble de la société en raisondes ex- ternalités positives qu’elle offre. Au-delà de ces nombreuses questions et enjeux, le Dr. Chaouche souligne « la né- cessité de se détacher de la technicité de lama- tière fiscale et de revenir à ce qui est juste, au bon sens ». *www.csy.lu 1)Cetarticleestbasésurlaconférence«Quelle jus- tice fiscale ?» organisé par la Conférence Saint-Yves et Legitech àl’HôtelLeRoyallemardi19novembre 2024aveclaparticipationdeGillesROTH(ministre desFinances),VincenzoBASSI(PrésidentdelaFé- dération des associations familiales catholiques), Fatima CHAOUCHE (Référendaire à la Cour ad- ministrativedeLuxembourg)etAlainSTEICHEN (Professeur-associéàl’UniversitéduLuxembourg). 2) in SEN,Amartya, The Idea of Justice, Harvard University Press, 2009, p. 13. 3)Arrêt de la Cour constitutionnelle n° 00185 du 10 novembre 2023. 4)Arrêt de la Cour administrative n° 47680Cdu 25 avril 2023, p. 7. 5) Le taux marginal d’imposition est le taux d’im- position qui s’applique à la tranche la plus élevée desrevenusd’uncontributeur. 6)N°589du24décembre2024. 7) Voir https://gabriel-zucman.eu/ (section «Re- ports»). 8)L’exempleleplusparlantestl’impositiondesva- leursmobilières.Ainsi,siunepersonnedétientune action dans une SICAV pendant dix ans, si cette personnevendcetteaction(dontlavaleurauraaug- menté entre-temps), elle ne sera pas imposée car cettevaleurmobilièreestsoumiseàlacatégoriefis- cale«horschamps». Quelle justice fiscale pour les personnes physiques au Luxembourg ? @Legitech L e 18 décembre, un vent de dynamisme a soufflé à la Résidence de l'Ambassa- deur du Luxembourg à Paris, S.E. M. Marc Ungeheuer, qui a ac- cueilli la 9 ème Assemblée générale et le 10 ème Conseil d’administra- tion du Business Club France- Luxembourg (BCFL). Le Conseil d’administration (CA) a d’abord permis de discuter des orienta- tions stratégiques duBCFLvisant à sou- tenir sa croissance et son rayonnement. Des changements dans la composition du CA ont été actés, avec les départs de Marie-Hélène Massard et de Nick Stubbs, qui se destinent à de nouvelles fonctions. Dans son allocutiondevant l’Assemblée générale, S.E.M.MarcUngeheuer amis en lumière la fragilité de la situation politique et économique actuelle en Europe, notamment en France et en Allemagne. Soulignant un climat mar- qué par l’incertitude, il a insisté sur l’im- portance des relations bilatérales entre la France et le Luxembourg, deux nations unies par des liens solides repo- sant sur des échanges réguliers à tous les niveaux. Dans cette dynamique, l'Ambassadeur a souligné le rôle clé du BCFL en tant que véritable catalyseur des échanges commerciaux, contribuant ainsi de manière significative au renforcement et à la pérennisation de la coopération entre les deux pays. Philippe Schaus, président du BCFL, a ensuite présenté le rapport d’activité 2024, accompagné des perspectives pro- metteuses pour 2025, mettant l’accent sur la consolidation de la croissance du club et sur le maintien de l'élan dyna- mique insufflé par cette année fruc- tueuse. Le rapport financier, présenté par Xavier Blouin, trésorier élu durant cetteAG, a révéléun soldepositifmalgré l’intensification de la cadence événe- mentielle. Grâce à des réserves finan- cières solides, le BCFL peut aborder l'avenir avec confiance et poursuivre ses actions avec détermination. Le renouvellement des mandats des membres sortants du CA, Messieurs Philippe Schaus, Xavier Blouin, Yves Reding et Grégory Beltrame, a été approuvé à l’unanimité, assurant ainsi la pérennité et stabilité du club dans ses initiatives futures. Lamatinée s’est clôturée par un cocktail déjeunatoire convivial, offrant aux membres une occasionprécieusedepro- longer les échanges dans une atmo- sphère chaleureuse et de renforcer les liens au sein de la communauté dyna- mique et engagée du BCFL. Source : Business Club France-Luxembourg Le Business Club France-Luxembourg aborde l'avenir avec confiance ©BCFL

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