Agefi Luxembourg - avril 2025

AGEFI Luxembourg 32 Avril 2025 Immobilier L ors d’une conférence de presse, le 4 avril 2025, ClaudeMeisch, ministre du ogement et de l’Aménagement du territoire, a expliqué les me- sures principales du projet de loi visant à optimiser l’application de la loi modifiée du 7 août 2023 rela- tive au logement abordable. Ce projet de loi s’inscrit dans une volonté d’optimisation ciblée du cadre législatif existant.Ilestissud’undialoguestructuré avec les acteurs du terrain et d’un retour d’expériences pratiques. Il réaffirme éga- lement que le logement abordable consti- tue une mission d’utilité publique, essentielle à la cohésion sociale et à la di- gnitédechacun.L’objectifestclair:faciliter et encouragerdavantage la créationde lo- gementsabordables,dansl’intérêttantdes ménages en besoin d’un logement abor- dable que des promoteurs sociaux et des bailleurs sociaux. Un cadre consolidé, construit dans le dialogue Adoptée en 2023, la loi relative au loge- ment abordable a introduit un cadre atti- rant pour soutenir la création de logements abordables destinés à la loca- tion ou à l’acquisition avec emphytéose. Son entrée en vigueur, le 1 er octobre 2023, a marqué une étape importante dans la politiquenationaledulogement,endotant le Luxembourg d’un instrument ambi- tieuxetinnovant.Cetteloienglobetroispi- liers fondamentaux: le promoteur social, l’instauration du bailleur social allant de pairavecunencadrementdubailaborda- ble,ainsiquelacréationduRegistrenatio- nal des logements abordables (RENLA). Elle a permis de poser les bases d’un dis- positif cohérent, structurant et prospectif pour développer une offrepérennede lo- gements abordables auLuxembourg. Dès son entrée en fonction, leministre du Logement et de l’Aménagement du terri- toire,ClaudeMeisch,aplacélacréationde logementsabordablesaucentredesonac- tion.Conscientquecetobjectifnepeutêtre atteint sans l’implicationactivede tous les acteursconcernés,ilainitiéunedémarche de retours d’expériences dans le contexte du dialogue structuré formalisé par la loi de 2023 et réunissant les représentants de la FEDAS, du Syvicol, du Fonds du loge- ment, de la SNHBM et du ministère du Logement et de l’Aménagement du terri- toire.Poursuivantsavolontédeconcevoir l’actionduministère en fonctionde la réa- lité du terrain, le ministre Claude Meisch a également entamé un large tour des communes. Ces rencontres avec les res- ponsables politiques locaux ont pour but d’écouter activement lesbesoinsdes com- munes, de favoriser les synergies avec les acteurslocauxdansunedynamiquecom- mune: identifier les obstacles, valoriser les potentielsfonciersettransformerlesinten- tionsenprojetsconcrets.Danscetesprit,et aligné avec la logique ambitieuse de la loi de 2023, des pistes concrètes d’optimisa- tion au sens large ont été identifiées afin derendrel’actiondespromoteurssociaux etdesbailleurssociauxencoreplusattrac- tive et efficace. Axes d’optimisationpour mieux répondre aux besoins en logements abordables Monoparentalitéetluttecontrelapauvretédes enfants au Luxembourg Le Luxembourg fait face à une réalité préoccupante:prèsd’unquartdesenfants sont exposés au risque de pauvreté, selon lesdernièresdonnéesduSTATEC [1] .Lasi- tuation est particulièrement critique pour les famillesmonoparentales, dont 44%vi- vent sous le seuil de pauvreté. Elles font face à une accumulation de difficultés en matière de logement: conditions de vie précaires (surpeuplement, humidité, obs- curité), environnement résidentiel dé- gradé et charges financières élevées. Afin d’apporterdesréponsesconcrètesàcesen- jeux,leprojetdeloiproposel’introduction de la monoparentalité en tant que nou- veau critère socio-économique dans le cadredel’attributiond’unlogementabor- dable. Cettemesureviseàaccroître l’accès au logement abordable pour lesménages mono- parentaux. Elle s’inscrit dans une démarchepluslargedeluttecontrelapau- vretéinfantileetderenforcementdespers- pectives pour toutes les familles. Soutienfinancierrenforcépourlescréateursde logements abordables Dans le but de rendre la création de loge- ments abordables par les promoteurs so- ciauxencoreplusattractive,desincitations financièressupplémentairessontmisesen place. Un nouvel incitatif financier est in- troduit pour encourager la rénovation de bâtiments existants en vue de la création de logements abordables. Ce nouvel outil vient compléter les deux bonus existants liés à la résilience au changement clima- tique et à l’innovation, avec lesquels il est cumulable. Il offre ainsi un cadre particu- lièrement attrayant pour valoriser le bâti existant tout en répondant auxbesoinsde durabilité en matière de logement. Une segmentationgéographiquedufoncierest introduiteafind’adapterlesplafondsdela participation financière du ministère aux réalités locales. Cette approche permet de tenir compte desécartsdeprixdufoncierentrelescom- munes et les régions et demieux orienter l’effort publicvers les zones où les besoins en logements abordables sont les plus pressants.Lesterrainssituésdansdessec- teurs stratégiques deviennent accessibles, grâce àun soutienfinancier renforcé, per- mettantlaproductiondelogementsabor- dables aux endroits les plus appropriés, tout en renforçant la cohérence du déve- loppement territorial à l’échelle nationale. Soutien financier renforcé pour les communes Chaque commune est un promoteur so- cial potentiel. Pour encourager davantage l’implication des communes dans la pro- ductiondelogementsabordables,leprojet de loi prévoit l’élargissement de leur sou- tien financier.Ainsi, les communes pour- rontbénéficierd’unerémunérationdeleur capital investi pour les projets de loge- ments abordables, et ce même avec effet rétroactif au 1 er octobre 2023. Un vecteur essentiel de lamixité Lesbailleurssociauxjouentunrôlecentral dans la gestiondes logements abordables et dans lapromotiond’unemixité sociale. Afindemieuxlessoutenirdansleursmis- sionscomplexes,quiévoluentaveclesréa- lités du terrain, le projet de loi prévoit un ensembledemesuresconcrètesvisantàfa- ciliter leur action au quotidien. « En opti- misant les dispositions relatives au bail abordableconformémentauxexpériences remontéesetpartagéesparlesbailleursso- ciaux,nousleurdonnonslesmoyensd’of- frir des logements de qualité à un plus grand nombre de personnes, dans un cadre plus stable et durable », a précisé Claude Meisch. Parmi ces mesures, une aide financière complémentaire est intro- duite spécifiquement pour la gestion des logements dédiés aux salariés. Cette me- sure répond à un besoin croissant enma- tièredelogementsliésàl’emploietpermet d’en assurer une gestion durable et effi- ciente,toutencontribuantàunemeilleure mixité fonctionnelle et sociale dans les quartiers concernés. Dans le même esprit, le projet de loi pré- voit également un forfait de gestion pour les logements étudiants, si ceux-ci sont gérésparunbailleurautrequel’Université duLuxembourg, afind’élargir davantage l’éventaildel’offredelogements.Unnou- veau seuil du «contingent libre»des loge- ments dits «tous publics» sera introduit: désormais,lecontingentlibreseraàladis- position de tout bailleur social gérant un parcde logements abordablesde 100uni- tés ou plus, de sorte à élargir le cercle des promoteurs sociaux, et notamment des communes, pouvant y avoir recours. Cette évolution du contingent libre s’ins- crit dans une démarche plus large de ci- blagesocialrenforcé,quiviseàadapterles attributions des logements aux réalités rencontrées par les professionnels du ter- rain œuvrant pour les ménages à la re- cherche d’un logement. À l’instar de l’appelàprojetslancéenfévrierpouraug- menter les capacités d’accueil des struc- tures de logement pour jeunes Jugend- wunnen, il est prévude lancer des appels à projets pour d’autres catégories de loge- ments dédiés et plus particulièrement les logementsdédiésauxpersonnesâgéesde soixanteansouplusetauxsalariés,afinde soutenir une offre plus ciblée et respec- tueuse desmultiples besoins demixité. À l’avenir, les bailleurs sociaux, afin de ren- forcerleurcapacitéd’actionsurl’ensemble duterritoireet,parlamême,lesbesoinsde mixités sociale et fonctionnelle, entre au- tres, pourront également intégrer dans leur parc des logements abordables via la location de logements réalisés dans le cadre d’un partenariat avec des investis- seurs privés. Le Fonds duLogement et les aides individuelles au logement Le projet de loimodifiant la loi organique du Fonds du Logement de 2017 met en valeurlafonctiond’acteurcentraldelapo- litique du logement de cet établissement public. Il consacre expressément l’utilité publiquedesmissionsduFonds,etadapte sesoutilsetmodesdefonctionnementafin demieuxrépondreauxenjeuxactuels.De plus, un projet de loi distinct prévoit des modificationsàlaloirelativeauxaidesin- dividuelles au logement de 2023, dans le but de simplifier les démarches adminis- trativespourlescitoyensetpourleService des aides au logement. Vers une applicationplus claire et concertée du logement abordable Finalement, leprojet de loi instaure le sta- tut d’utilité publique du logement abor- dable. Cette reconnaissance souligne l’importance du logement abordable en tant que réponse structurelle à lapénurie de logements abordables et son rôle fon- damental dans lamise enœuvredudroit au logement inscrit dans laConstitution. « Grâce à ces optimisations, nous visons à impliquer un réseau élargi de promo- teurs sociaux. À terme, ce seront plus de 100 communes, promoteurs publics par excellence à côté du Fonds du logement et de la SNHBM, tout comme l’ensemble des autres promoteurs sociaux – qui pourront participer pleinement à la créa- tionde logements abordables dans notre pays », a souligné ClaudeMeisch. [1] Rapport travail et cohésion sociale, STATEC, septembre 2024 ministèreduLogementetde l’Aménagementduterritoire « Faciliter et encourager la création de logements abordables » ©MLOGAT L e Grand-Duché du Luxembourg se distingue sur la scène euro- péenne. Il est en effet aujourd’hui le seul pays à ne compter aucun investisseur institutionnel actif dans le secteur résidentiel. Face à cette singularité, RomainMuller, associé fondateur de NR Invest et prési- dent de LuxReal, est venu débattre de cette question lors d’une conférence organisée le 21mars der- nier par Ecofin Club Luxembourg : « S’agit-il d’une stratégie politique délibérée ou d’un simple état de fait structurel ? » Unmarché résidentiel sous tension Le marché immobilier luxembourgeois peut être caractériséainsi:unecroissancedémographiquesou- tenue (+13.500 habitants par an), une explosion des prix des loyers (+10,1%enmoyenne parm² en 2022) et un accès au financement de plus en plus restreint pour les développeurs, notamment sous l’effet des exigences contraignantes de Bâle IV. Les développeurs peinent à compenser les coûts d’investissement élevés via leurs marges, ce qui impacte directement le prix des biens immobiliers. Par ailleurs, les offres de location (à peine 10.000 unités en 2023 et moins encore en 2024) varient considérablement d’une région à une autre, avec un loyer moyen atteignant 41,51 €/m² pour Luxembourg- ville, contre 17,34 €/m² à Weiswampach. Face à ces défis, l’absence d’un acteur insti- tutionnel dans le secteur résidentiel peut être perçue comme une anomalie. « Les fonds de pension, compagnies d’assurance et autres REITs (Real Estate Investment Trusts), qui jouent un rôle structurant ailleurs en Europe, sont ici absents », constate Romain Muller. « Pourtant, leur contribution pour- rait stabiliser un marché en quête d’équilibre », poursuit-il. Pourquoi ouvrir aux investisseurs institutionnels ? L’introduction d’acteurs institutionnels dans le rési- dentiel aurait « des retombées positivesmultiples ». Leur capacité à injecter des financements importants apporterait une certaine stabilité économique et per- mettrait de lancer des projets résidentiels d’enver- gure. De plus, leur gestion réputée professionnelle ainsi que leur vision à long terme contribueraient à unemeilleure planification et à un renforcement du marché. Les investisseurs institutionnels, par ailleurs souvent sensibilisés auxnormes environnementales, pourraient également jouer un rôle crucial pour dynamiser leparc locatif, tout ensoutenant des stan- dards de construction alignés sur les objectifs ESG (Environnement, Social et Gouvernance). Enfin, la diversification des sources de financement serait bénéfique. « En réduisant la dépendance vis-à-vis des banques tradi- tionnelles, ces acteurs apporteraient la flexibilité tant atten- due, que ce soit pour le développement de nouveaux projets oularénovationdubâtiancien», estimeRomainMuller. Saturation immobilière ? Toujours à suivre le conférencier, la réticence d’ac- cueillir des investisseurs se fonde sur une crainte récurrente : priver les acheteurs-occupants de leur accès traditionnel au logement. Le Gouvernement luxembourgeois semble redouter, commedansd’au- tres pays européens (France, Pays-Bas, Allemagne), qu’une présence institutionnelle entraîne une hausse des prix, notamment pour les biens neufs, voire des programmes acquis « en bloc ». Le Grand-Duché, répétons-le, est chroniquement confrontéàunmarchéoù lademandedépasse large- ment l’offre. La pression sur les loyers dans les zones attractives s’accentuerait donc davantage, compli- quant encore la situation pour les classes moyennes et les jeunesménages. Des réformes nécessaires Malgrécetteprudence,certainesévolutionsparaissent indispensables « pour renforcer la profondeur et la trans- parence du marché résidentiel luxembourgeois », insiste RomainMuller. Contrairement à d’autres pays euro- péens, les études de marché demeurent au Grand- Duché « limitées en fiabilité et en profondeur. » La mise en place d’un registre national des prix de vente,commeenFrance,constitueraitunpremierpas versunmarchédavantagestructuré.Enparallèle,des dispositifs de régulation, à l’image de ce qui se fait aux Pays-Bas, pourraient être mis en place afin d’en- cadrer les actions des investisseurs institutionnels. Et subséquemment, protéger ainsi les intérêts des ache- teurs-occupants. Opportunitémanquée ? Le projet LuxREIT, évoqué à de multiples reprises pour introduiredes fonds d’investissement « locaux » dans le résidentiel, « ne se concrétise pas », regrette RomainMuller. Et l’orateur de conclure : « Si le Luxembourg persiste à freiner l’entrée d’investisseurs institutionnels, cela pourrait nonseulementlimiterlessolutionsfaceàunecriseimmobi- lière devenue structurelle, mais également maintenir des tensions sur le marché locatif déjà saturé. » La clé réside probablement dans un juste équilibre : attirer ces investisseurs tout en adoptant des mécanismes pour contenir les risques de surchauffe. « Un chantier politique et financier ambitieux mais néces- saire », ponctueRomainMuller. Hugo LEBLUD Romain Muller, associé fondateur de NR Invest et président de LuxReal à l’Ecofin Club Luxembourg Les investisseurs institutionnels ne sont pas (encore ?) les bienvenus sur le marché résidentiel luxembourgeois

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