AGEFI Luxembourg - juillet août 2025

Juillet / Août 2025 27 AGEFI Luxembourg Fonds d’investissement Par Cheryl FRANK, Martin JACOBS, Jody JONSSON et Samir PAREKH, gérants de portefeuille chez Capital Group A vec les politiques doua- nières, les tensions commer- ciales et les conflits armés qui ébranlent l'économiemondiale, la trajectoire desmarchés actions s'annonce incertaine au second semestre 2025. Si les premières négociations entre les États-Unis et leRoyaume-Uni, laChine et l'Inde ont contribué à atténuer les turbu- lences sur lesmarchés, les contours dupaysage commercialmondial continuent d'évoluer et la croissance américaine ralentit encore. Pour les investisseurs, il faut donc se prépa- rer à de nouveaux pics de volatilité. Comme l'explique Cheryl Frank, gérante deportefeuilleactionschezCapitalGroup, « lesmarchés actions devraient rester très agités ces prochains mois, car la plupart des entreprises ont mis tous leurs projets enpause,enattendantd'avoirplusdevisi- bilité sur l'avenir du commerce mondial. Mais quand la situation se stabilisera, les marchésdevraients'apaiser,cequifavori- sera l'émergence de nouvelles opportuni- tés d'investissement. » « L'histoire ne se répète pas,mais elle rime » Ilpeutêtrerassurantderappelerl'épisode de volatilité boursière de 2018, durant le premier mandat présidentiel de Donald Trump : le relèvement des droits de douane sur les importations américaines de produits chinois avait déclenché un bras de fer commercial qui avait dominé l'actualité et déclenché la panique sur les marchés.Résultat:l'indiceS&P500achuté de 4,4%sur l'année 2018. Puis, à la faveur des accords finalement conclus entre les États-Unis et leurs partenaires commer- ciaux, et d'une consommation des ménages qui a fait preuve de résistance, l'indice a rebondi de 31,5%en 2019. Bien sûr, les résultatspassés nepréjugent pas des résultats futurs, puisque le contexte mondial a grandement évolué depuis 2018 et que la guerre commer- ciale actuelle a pris beaucoupplus d'am- pleur que la précédente. Toutefois, comme l'a dit un jour le célèbre roman- cier américain Mark Twain, « l'histoire ne se répète pas, mais elle rime ». Dès lors, toute nouvelle avancée dans les négociations pourrait offrir un soutien solide auxmarchés actions. «Lepremiermandat deDonaldTrumpa montré que le résultat final peut être très différent de l'intention initiale », explique Martin Jacobs, gérant de portefeuille actions chez Capital Group. « Pour moi qui suis convaincu que les marchés ont tendance à progresser bien plus qu'à se contracter, la volatilité de cette année est tout sauf décourageante. Je la considère même comme une opportunité à saisir pourinvestirdansdesentreprisesdequa- litéetdansdestendancesdelonguedurée quej'aiidentifiéescommeétantporteuses, le tout pour assurer de solides perfor- mances ces prochaines années au sein de mes portefeuilles. » Lesmultinationales deviennent «multilocales » Tout comme les marchés ont démontré leur résilience, les entreprises biengérées sont en mesure de s'adapter à tout, y compris aux conditions les plus défavo- rables. Lesmultinationales, par exemple, pourraient sembler être lesplus exposées àunedégradationdeséchangescommer- ciaux. Pourtant, elles sont en grande majoritébienpréparées, car ellesont l'ha- bitudedetraverserdespériodesdifficiles. « La plupart des multinationales déve- loppent une approche 'multilocale', qui consiste à se rapprocher de leur clientèle finale dans les pays où elles sont implan- tées », précise Jody Jonsson, gérante de portefeuille actions chez Capital Group. Le géant industriel allemand Siemens vient par exemple d'inaugurer une nou- velle usine d'équipements électriques à Fort Worth, au Texas, dont la construc- tion a représenté un investissement de 190 millions USD. Et les sociétés améri- caines qui font fabriquer leurs produits à l'étranger ne sont pas en reste : Apple a récemment annoncé un budget de 500 milliards USD sur quatre ans, destiné à l'implantation de nouvelles usines sur le territoire américain. Voilà un moyen de contournerlesdroitsdedouaneinstaurés par l'administration Trump. « Les multinationales, qui sont caractéri- sées par des activités diversifiées à l'inter- national, peuvent compter sur leur flexi- bilité,leursressourcesetleurséquipesdiri- geantescompétentespourrestertrèscom- pétitives, y compris quand le contexte est instable », précise Jody Jonsson. Lesmultinationales s’implantent ennombre aux États-Unis Lesmultinationalesne sont pas les seules gagnantes potentielles dans l'environne- ment actuel. Certaines entreprises d'en- vergure nationale sont également en mesure de profiter de l'incertitude ambiante. C'est notamment le casdusec- teur des services aux collectivités, autre- fois jugé léthargique et délaissé par les investisseurs, et qui traverse depuis quelque temps une période de renou- veau. Soulignons d'ailleurs que ces ser- vices échappent aux droits de douane, puisqu'ilssontplutôttournésverslemar- ché intérieur, et qu'ilsoffrent une certaine stabilité quand lesmarchés reculent. «Après plus de vingt ans de sous-inves- tissement,leréseaudedistributiond'élec- tricité fait aujourd'hui l'objet d'une vague de modernisation pour répondre à plu- sieurs tendances, comme l'essor de la mobilité électrique, la multiplication des centres de données et le rapatriement de la productionmanufacturière », explique Cheryl Frank. Début juin, par exemple, le spécialiste de l'énergienucléaireConstellationEnergya signé un contrat d'une durée de 20 ans avec Meta portant sur l'approvisionne- mentenélectricitédescentresdedonnées du géant technologique dans l'Illinois (États-Unis).Delamêmemanière,lefour- nisseur d'électricité et de gaz naturel CenterPoint Energy profite d'une demande accrue liée à l'augmentation de lapopulationauTexasetàlaconstruction de nouveaux centres de données. Cheryl Frank estime que la concentration des marchés, qui étaient dominés en2024par les géants technologiques américains, devraitdésormaisseréduire,voiredispa- raître. Dans cette optique, elle est donc en quête d'opportunités susceptibles d'être portées par ces facteurs de soutien dans les secteurs de la finance, de l'industrie et de la défense. De nouveaux catalyseurs de croissance endehors des États-Unis Au-delà des entreprises, les gouverne- mentsaussis'efforcentdes'adapteràl'évo- lution du contexte mondial. Le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz, en annonçant enmars dernier un vaste plan derelancebudgétaireaxésurladéfenseet la modernisation des infrastructures, a ainsi fait savoir que la règledu«quoi qu'il en coûte » s'appliquait désormais à l'Allemagne, pourtant traditionnellement adepte de la rigueur budgétaire. « Les Européens reconnaissent de plus en plus la nécessité de devenir autosuffi- sants enmatièrededéfense –un change- mentdecapquipourraitavoirdesretom- béespositivespourdenombreusesentre- prises », analyse Samir Parekh, gérant de portefeuille actions chez Capital Group. La mise en œuvre de ce plan de relance prendra naturellement du temps. Toutefois,ildevraitengendrerdesoppor- tunités de croissance pour les entreprises activesdanslessecteursdeladéfense,des matériaux de construction et des infra- structures. Ce type de mesure répond également à la quête de croissance des Européens,etpourraitdébouchersurune réglementation plus flexible et plus ouverte à l'investissement. Le Japon et la Corée du Sud, aussi, ont commencé à réformer leur secteur privé, et des signes de stabilisation sont visibles en Chine. L'affaiblissement du dollar US a d'ailleurs permis aux marchés actions internationaux, incarnés par les indices MSCI Europe, MSCI EAFE et MSCI ACWI ex USA, de surperformer l'indice S&P 500 aupremier semestre 2025. La sécurité pourrait être une thématique de long terme Larefontedesrèglesdujeuducommerce international signifie que les pays du monde entier mettent l'accent sur leur sécurité, à commencer par la défense de leurs territoires. Le plan de relance de l'Allemagne prévoit ainsi un budget ren- forcépoursonarmée,tandisqu'auJapon, le parlement a approuvé une augmenta- tion des dépensesmilitaires de 9,4%. « Cette mobilisation en faveur de la sécu- rité va plus loin que la défen-se: les États veulentaussigarantirleurapprovisionne- ment en énergie et à sécuriser leurs infra- structures et leurs chaînes d'approvision- nement », ajoute Samir Parekh. Les États-Unis et l'Europe cherchent à multiplier leurs sources d'énergies conventionnelles, tout en poursuivant le développement du nucléaire et des énergies alternatives. En parallèle, l'ac- cent sur la sécurité des chaînes d'appro- visionnement et des infrastructures pourrait représenter des opportunités de croissance pour les industriels. Par exemple, les géants internationaux, commeMitsubishi Heavy Industries au Japon, Siemens Energy enAllemagne et GE Vernova aux États-Unis, proposent des produits dans toutes ces catégories, et notamment dans la générationd'élec- tricité, la modernisation des réseaux électriques, les systèmes de défense et la cybersécurité. Comment positionner les portefeuilles pour maximiser les résultats ? Le contexte d'investissement a considé- rablement évolué au premier semestre 2025,entrelesturbulencesboursièrespro- voquéesparlesnouvellespolitiquesamé- ricaines et les gains substantiels enregis- trés par les géants technologiques améri- cains grâce à l'intelligence artificielle. Les risques économiques et boursiers ont augmenté,mais les opportunités semul- tiplient. Pour les investisseurs axés sur le long terme, le moment est sans doute venu de faire preuve de flexibilité et de rééquilibrer les portefeuilles. «Ilestessentielderesteragile,cetteannée. En période de changement, les marchés ont tendance à pénaliser autant les bons que les mauvais élèves, ce qui se traduira par une baisse du cours de nombreuses actions. J'en profiterai pour tenter d'iden- tifier les sources de valeur à long terme, afind'optimiserlepotentielderésultatsde mes portefeuilles pour les prochaines années », expliqueCheryl Frank. Aussi agités que lesmarchés aient pu être ces derniers mois, il convient de rappeler que la situation était bien plus préoccu- pante durant la crise du covid : des sec- teurs, comme ceux des voyages et de la restauration, ont été soudainement mis à l'arrêt et n'offraient plus aucune perspec- tive d'investissement. Mais force est de constater que laplupart de ces entreprises se sont aujourd'hui redressées. « Il est difficile de garder son sang-froid dans ce genre de contexte », reconnaît Cheryl Frank. «Maisnotre travail, en tant que spécialistes de la gestion active, est d'être préparés et d'agir avec conviction quandune opportunitéde long terme se présente. » Marchés actions : croissance et volatilité ©Freepik ParChristopherDEMBIK,SeniorInvestmentStrategy Adviser PictetAssetManagement B eaucoup d’agitation, de craintes mais finalement peu d’effets sur les places financières. Les remous auMoyen-Orient nous rappellent que la géopolitique engendre beaucoup de bruit mais peu d’impact durable. En revanche, la baisse du dollar constitue un vrai problème – trop négligé actuellement. Beaucoupde bruit pour pas grand-chose Ces dernières semaines ont été ryth- méesparlerisquegéopolitiqueenraison destensionsauMoyen-Orient.Àencroirecer- tains analystes, nous avons évité le pire : blocage du détroitd’Ormuzoùtransite20%dupétrolemondial etéventuelle3 ème guerremondiale(nouscaricaturons àpeine).Enréalité,c’étaitbeaucoupdebruitpourpas grand-chose. Depuis les années 1970, Téhéran a menacé à 15 re- prises de bloquer le détroit. Mais sans jamais mettre à exécution sa menace. Pourquoi ? C’est technique- ment compliqué – distance de 31 km. En outre, ce n’estpasdansl’intérêtdel’Irancarcelavasurtoutpé- naliser sonéconomie et sonclient principal, laChine, qui est dépendant de cette voie maritime pourleshydrocarbures.C’estdoncuneme- nace en l’air. On a tendance à beaucoup parler de géo- politiqueenbourse. Enréalité, l’impact sur les actions, les devises et les matières pre- mières est généralement faible. À court terme, on assiste souvent à des achats d’outilsdecouverturepoursepro- téger contre la volatilité (par exemple des options call sur le VIX par les profes- sionnels),àunreplisurles valeursrefuge(l’or,parfois le dollar, le yen et le franc suisse), potentiellement à une flambée de l’énergie (comme à l’occasion du dé- clenchement de la guerre en Ukraine) et à une hausse des ac- tionsdesentreprisesdeladéfense.Cen’estce- pendant pas systématique. Les remous récents au Moyen-Orientontcertesprovoquédespicstrèséphé- mèressurlepétrolemaislesautresmarchéssontrestés plutôt impassibles – en plein conflit, la bourse de Tel Aviv amême atteint unpoint haut historique ! Pourquoi ? Lesétudessurl’effetdurisquegéopolitiquemontrent que les marchés aiment se faire peur. L’étude de ré- férence de Guidolin et La Ferrara, publiée en 2010, analyse 28 conflits internationaux et leur impact sur l’indiceboursierMSCIWorld.C’estsansappel.Deux ont provoqué une réaction négative importante des actionstandisquetrois,dontlaguerreenIraken2003, ont entraîné une hausse des actions. Dans une large majorité des cas, les conflitsmilitaires ont euun effet proche de zéro sur les actions. Cela vaut aussi pour lesmatièrespremièresetlesdevises.Aprèsunephase de forte volatilité, les prix ont tendance à revenir ra- pidement à lamoyenne. Morale de l’histoire : lorsque la géopolitique est sur ledevant de la scène,mieuxvaut faire ledos ronden bourse et attendre que la tempête se calme. Le vrai risque de l’année Selon nous, nul besoin d’avoir des nuits blanches à cause de la géopolitique. Le vrai problème pour un épargnant, c’est la faiblesse du dollar – un sujet qui est sous les radars, malheureusement. Selon le rapport hebdomadaire du régulateur amé- ricainpubliéle23juin,lesgestionnairesdefondn’ont jamais été aussi vendeurs sur le dollar de l’histoire. C’est un record. Tout le monde s’attend à ce que la devise américaine continue de faiblir dans lesmois à venir. En cause, les problèmes de gouvernance aux États-Unis,lesinquiétudesàproposdelaguerrecom- merciale et les incertitudes concernant le budget. La baisse du dollar pose un sérieux problème aux investisseurs. Historiquement, unEuropéenqui in- vestissait aux États-Unis n’avait pas besoin de cou- vrir son risque de change. La volatilité de l’EUR/USD était limitée. Ce n’est désormais plus le cas. La paire a chuté de – 13%depuis le début d’an- née, impactant d’autant les performances des fonds sur les actions américaines. Malheureusement, ce n’est certainement pas fini. Les contrats à terme sur l’EUR/USD, qui donnent le pouls du marché, pré- voient une baisse jusqu’à 1,20 voire au-delà en fin d’année – soit une dépréciation supplémentaire d’aumoins +5 %. On le sait bien, les prévisions sur le taux de change sont toujours volatiles et peu fiables, même à trois mois. En revanche, Il est rarequ’onconstateune telle défiance pour le dollar qui est la monnaie la plus échangée au niveaumondial et la devise de réserve internationale. Il est trop tôt pour savoir si le déclin du dollar est conjoncturel ou structurel. Certains analystes évoquent un bear market séculaire pour le dollar (marché structurellement baissier). C’est un peu exagéré en l’état actuel des connaissances. Notre avis : le dollar va certainement continuer de baisser, particulièrement face à l’euro. Une paire EUR/USDproche de 1,23 d’ici la finde l’année n’est pas impossible. D’où la nécessité, si vous détenez des actifs libellés en dollar, en particulier des ac- tions, d’envisager une couverture du taux de change. Le coût de cette couverture est proche de 2,5 % actuellement. C’est certainement le plus sage à faire en cemoment, au regardde l’incertitude éle- vée concernant la trajectoire du dollar. Vrais faux problèmes boursiers

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