Agefi Luxembourg - octobre 2025
Octobre 2025 21 AGEFI Luxembourg Wealth management ParRenaudBARBIER,ManagingPartner-Osons Quand la discrétion se heurte à la transparence P endant des décennies, les family offices ont prospéré dans l’om- bre. Leur raisond’être n’était pas seulement de gérer le patri- moine,mais aussi de protéger unbienplus fragile encore : l’in- timité familiale. Leur force tenait à cette capacité à conjuguer per- formance et discrétion, à agir sans s’exposer, à transmettre sans dévoiler. Pourtant, cette ère de confi- dentialité semble aujourd’hui révolue. Sous la pression croissante des régulateurs, des médias et des technologies, les family offices doivent composer avec une transparence qui ne leur laisse plus de refuge. Ce basculement ne tient pas uniquement àun chan- gement de perception culturelle. Il s’ancre dans un contexte réglementaire, politique et technologique quiaprogressivementérodélesrempartsdelaconfi- dentialité.L’échangeautomatiqued’informationsfis- cales, les registrespublicsdebénéficiaires effectifs, la multiplication des fuites massives de données comme les PanamaouPandoraPapers, sans oublier l’explosion des cyberattaques, ont fait entrer les fa- milles patrimoniales dans une nouvelle ère : celle de la transparence forcée. La discrétion, un art de durer Pour comprendre la brutalité du choc actuel, il faut rappeler ce que représentait la discrétion dans l’uni- versdesgrandesfamilles.Loind’êtrequ’uneposture, elle constituait une stratégie de pérennité. Les dynas- tiesindustrielleseuropéennesoulesfamillesentrepre- neuriales américaines ont longtemps cultivé une présence silencieuse. Leur nom circulait peu dans la presse,leursstructuresétaientorganiséesdansunelo- gique de cloisonnement, et leurs investissements n’étaient connus que d’un cercle restreint. Cette discrétion s’incarnait dans l’organisation juri- dique. Holdings démultipliées, sociétés écrans, trusts ou fondations : autant de filtres conçus pour séparer patrimoine et visibilité. Contrairement aux caricatures, cette architecturen’était pas toujours un artificed’optimisationfiscale agressive. C’était aussi unoutil deprotection : protéger les actifs,mais aussi protéger les personnes—contre les convoitises, les pressions, voire les divisions internes. Ce mode de fonctionnement s’appuyait sur une asymétrie infor- mationnelle assumée : ce que l’onnedit pas ne peut pas être utilisé contre soi. Dans un monde où la coopération internationale était embryonnaire et où la presse d’investigation restait marginale, cette stratégie fonctionnait. Elle permettait aux famillesdedurer, de traverser les gé- nérations sans dilapider ce capital immatériel : la li- berté de décider à l’abri des regards. L’offensive de la transparence Toutachangéaveclacrisefinancièrede2008.L’effon- drement de Lehman Brothers, les sauvetages ban- caires massifs et la colère de l’opinion publique ont marqué le point de départ d’une offensivemondiale contrelesecret.Lesgouvernements,missouspression parleursopinionsetparleursfinancespubliques,ont fait de la transparence un levier de légitimité. L’OCDEamisenplaceen2014leCommonReporting Standard (CRS), mécanisme d’échange automatique d’informationsfiscalesentreÉtats,adoptéaujourd’hui par plus de 120 juridictions. Le secret bancaire, pilier de places comme la Suisse ou le Luxem- bourg, a été progressivement démantelé. En Europe, les directives anti-blanchiment se sont succédé, imposant une traçabilité tou- jours plus poussée des flux financiers. La quatrièmedirectiveAMLD, transposée en 2017, a rendu obligatoire la créationde registresdes béné- ficiaires effectifs (UBO regis- ters). Ces registres ont bouleversé la logique : il ne s’agissait plusd’exceptionmais de principe. Toute structure de- venait a priori suspecte si son bé- néficiaire n’était pas identifiable. Le Luxembourg, longtemps symbole de discrétion financière, adû s’adapter. L’instaurationdu registre UBO en 2019, puis son ajustement par la CJUE en 2022 au nomdu droit à la vie privée, illustre ce bras de fer permanent entredeux logiques : transparence démocratique et protection de la sphère privée. À cela s’ajoute DAC6, directive européenne entrée en vigueur en 2020, qui oblige à déclarer toutmontage fiscal transfrontalier susceptibled’être jugé agressif. Pour les fiscalistes, ce fut un changement de para- digme : la chargede lapreuve s’inverse. Désormais, il ne suffit plus d’être en règle, il faut démontrer en amont que l’on n’a rien à cacher. Les scandalesmédiatiques : la transparence par effraction Si les régulateurs ont fissuré lesmurs, lesmédias les ont fait exploser. En2016, les PanamaPapers ont ré- vélé desmillions de documents provenant du cabi- net Mossack Fonseca, mettant au jour des milliers de sociétés offshore. L’onde de choc a étémondiale, mêlant personnalités politiques, sportifs, grandes fortunes et criminels avérés. Les Paradise Papers (2017) et les Pandora Papers (2021) ont prolongé cette séquence. Les montages mis au jour étaient souvent légaux, mais désormais jugés suspects par principe. La ligne de partage entre légalité et légiti- mité s’est brouillée. Dans l’imaginaire collectif, cher- cher à protéger sa confidentialité revenait à entretenir un secret coupable. Orlesfamilyoffices,mêmeirréprochablessurleplan juridique,sesontretrouvésprisdanscesoupçonper- manent. Leur silence, jadis marque de raffinement, s’est transformé en signe d’opacité. Une transforma- tionbrutaledel’imagepublique,quiaforcécesacteurs à repenser leur posture. Les trois grands ennemis de la confidentialité Le premier ennemi est le régulateur. Depuis quinze ans, les instances nationales et internationales n’ont cessé de renforcer les exigences de transparence. L’OCDEavecleCRS,l’Unioneuropéenneavecsesdi- rectives anti-blanchiment, les États-Unis avec la loi FATCA : autant dedispositifs qui obligent désormais les familles àdévoilerdes informations autrefoispro- tégées.L’argumentavancéesttoujourslemême:lutter contre l’évasionfiscale et le blanchiment.Mais le coût collatéralestimmense,carilfragilisel’espacedeliberté et de confidentialité dont les familles avaient besoin pour se gouverner. Le deuxième ennemi est le média. Avec les Panama et Pandora Papers, les fuites massives sont devenues des armes de révélation. Peu importe que les mon- tagessoientlégaux:l’effetd’expositionsuffitàabîmer desréputations.Dansunmondeoùl’opinionseforge plus vite que la justice, le soupçon d’opacité devient une condamnation sociale. La presse joue un rôle es- sentiel de contre-pouvoir, mais elle accentue la pres- sionenassimilantlaconfidentialitéausecrethonteux. Letroisièmeennemiestlehacker.L’explosiondescy- berattaques a ajouté une menace nouvelle. Selon le FMI,lesecteurfinancierasubiplusde20000cyberat- taques envingt ans, représentant plusde 12milliards de pertes directes. Les family offices, souvent moins armésquelesgrandesbanques,sontdesciblesidéales. Levoloulafuitededonnéessensiblesn’aplusbesoin depasser par unedirectiveouune enquête journalis- tique:ilpeutsurvenirenquelquessecondes,àtravers un simple ransomware. La confidentialité n’est plus fragiliséeseulementparledroitouparl’opinion,mais par la technologie elle-même. Le paradoxe de la confiance La transparence est présentée comme un instrument destiné à renforcer la confiance envers les institutions publiquesetfinancières.Dansl’espritdeslégislateurs, plus les informations circulent, plus la légitimité dé- mocratique et fiscale s’affermit. Pourtant, dans la réa- lité, cemécanismeproduit souvent l’effet inverse. Les famillespatrimoniales,longtempshabituéesàévoluer dans des environnements où leur intimité était pré- servée,voientcettetransparenceimposéecommeune intrusion.Àmesurequelesobligationsdedéclaration semultiplient, que les registres se généralisent et que lesdispositifsdesurveillances’étendent,leurconfiance envers les institutions s’érode. Certaines hésitent désormais à s’implanter dans des juridictions jugées trop intrusives, même lorsque celles-ci offrent une stabilité politique et juridique exemplaire.D’autrespréfèrentsetournerversdesen- vironnements plus souples, au prix de risques répu- tationnels accrus. Cettemigration discrète illustre un paradoxe puissant : les États qui se veulent exem- plaires dans la défense de l’intérêt général fragilisent en réalité leur propre attractivité auprès de ceux qui détiennent le capital. On assiste ainsi à l’émergence d’une véritable géopolitique de la confidentialité, où le choixd’implantationd’un family office ne dépend plus uniquement de la fiscalité ou du droit successo- ral, mais dudegré de confiance inspiré par la gestion locale de l’information. Un cas récent, largement commenté dans les mi- lieux financiers, illustre ce dilemme. Une famille industrielle européenne, implantée depuis plu- sieurs décennies au Luxembourg, a vu son nom apparaître dans une fuite de données liées au re- gistre des bénéficiaires effectifs. Bien que son orga- nisation fût parfaitement conforme aux exigences fiscales et juridiques, le simple fait d’apparaître dans des documents publics a suscité un flot d’ar- ticles de presse et une mise en cause sociale. La fa- mille, ébranlée, a finalement décidé de relocaliser une partie de ses structures dans une juridiction perçue comme plus respectueuse de la confiden- tialité. L’épisode démontre que la légalité ne suffit plus : la perceptionpublique etmédiatique devient un critère de décision au moins aussi important que la sécurité juridique. Dans ce contexte, la confidentialité devient un champde tensionpermanente.D’uncôté, la logique réglementaire impose une ouverture toujours plus poussée, présentée comme nécessaire pour lutter contre les abus. De l’autre, la quête existentielle de protection demeure centrale pour les familles, qui considèrent leur intimité comme un espace vital à défendre. Leurs données personnelles, leurs arbi- trages successoraux, leurs choix d’investissement prennentlavaleurdevéritablesfrontières.Etcomme jadis on fortifiait des châteaux pour protéger un ter- ritoire,lesfamillesconstruisentaujourd’huidesrem- parts numériques et organisationnels afin de préserver leur liberté de décision. Confidentialité impossible ? Pas tout à fait Dire que la confidentialité est désormais impossible serait une exagération.Mais elle ne peut plus être ab- solue,niconsidéréecommeacquise.Elledoitsetrans- former en discipline stratégique, exigeante et consciente. Ce n’est plus un simple état de fait, mais une construction active qui suppose des choix réflé- chis et une vigilance constante. Les family offices ne peuvent plus se reposer sur la seule opacité des structures juridiques. Ils doi- vent instaurer une gouvernance de la confidentia- lité, qui combine à la fois une communication maîtrisée, une cybersécurité auniveaudes grandes institutions, des processus décisionnels documen- tés capables de résister à l’examen d’un régulateur et une gestion proactive de la réputation, qui anti- cipe les crises au lieude les subir. La confidentialité cesse d’être un simple effet des structuresmises en place : elle devient une responsabilité quotidienne, intégrée à la culture familiale. Là encore, l’exemple de la famille européenne pré- cédemment citée est éclairant.Après l’épisodedure- gistre, elle a mis en place une cellule interne de gestion de la confidentialité, rattachée directement au family office. Cette cellule réunit des experts en droit, en communication et en cybersécurité, dont la mission est de surveiller en temps réel l’exposition publique de la famille, de réagir immédiatement en cas de fuite d’information et de former les nouvelles générations à laculturede ladiscrétion. Laconfiden- tialitéestainsipasséed’unréflexeimpliciteàunedis- cipline institutionnalisée. Vers une éthique de la discrétion Dans ce nouvel environnement, la discrétionne peut plus se réduire à l’opacité. Elle doit être réinventée et s’appuyer sur une éthique claire. Il ne s’agit plusde se cacher, mais de savoir choisir entre visibilité et invisi- bilité,enacceptantquecertainesinformationsrelèvent de l’intérêt public tout en protégeant ce qui touche à lasphèreprivée.Cettediscrétionrenouveléeimplique de respecter sans ambiguïté les obligations fiscales et réglementaires,toutenpréservantl’intimitéfamiliale. Elle suppose aussi d’assumer certains engagements publics, qu’il s’agisse de philanthropie, d’investisse- ment à impact ou de soutien à des causes collectives. Loind’êtreune contrainte, cette visibilité choisiepeut devenir une arme de légitimité. Ainsi, le familyofficene se contenteplusd’orchestrer la gestion patrimoniale. Il devient le stratège de la ré- putation,legardiendelacohérencefamilialeetlepro- tecteurdesdonnéessensibles.Iltracelafrontièreentre lumière et ombre, endécidant cequi peut être exposé sans danger et ce qui doit rester protégé. De la survie à lamaîtrise La confidentialité n’est plus une évidence, ni un privilège garanti par la complexité des structures ou la complaisance des juridictions. Elle est deve- nue une ressource rare, fragile, qu’il faut gérer avec lamême rigueur que le capital financier. Les family offices qui réussiront demain seront ceux qui au- ront compris que la discrétion n’est pas seulement un héritage culturel, mais un choix stratégique, à formaliser, à gouverner et à défendre. Cela sup- pose de ne plus subir la transparence, mais de l’an- ticiper. Cela exige de passer d’une logique défensive, centrée sur l’évitement et le cloisonne- ment, à une logique proactive, fondée sur la maî- trise de l’information et la construction d’une réputation éthique. Gouverner la confidentialité, c’est accepter que l’opacité absolue n’est plus pos- sible, mais que la liberté peut encore être préservée si elle s’appuie sur une discipline collective, une éthique assumée et des outils adaptés auxmenaces d’aujourd’hui. End’autres termes, la questionn’est plus : comment éviter d’être vus ? Mais plutôt : comment rester maîtres de ce que l’onmontre et de ce que l’on tait. C’est à cette condition que les family offices conti- nueront à protéger ce bien ultime qui dépasse la fortune elle-même : la liberté de décider à l’abri du vacarme dumonde. Les Family Offices à l’ère de la transparence forcée L e 18 septembre, après deux ans et demi de travaux, BGL BNP Paribas a officielle- ment ouvert les portes de son nouveau siège social seKoia, au cœur du Kirchberg. Bien plus qu’un bâtiment, il s’agit d’un pro- jet collectif pensé pour accompa- gner les transformations du monde bancaire, répondre aux défis environne- mentaux et offrir un cadre de travail adapté aux be- soins des collaborateurs. La cérémonie d’inauguration s’est tenue en présence de S.A.R. le Grand-Duc Henri, GillesRoth,ministredes Finances, Lydie Polfer, Bourgmestre de la Ville de Luxembourg, ThierryLaborde, directeur général déléguédeBNPParibas, Béatrice Belorgey, présidente duComité exécutif de BGLBNPParibas et Responsable des entités du Groupe BNP Paribas au Luxembourg, et Bob Kieffer, président du Conseil d’administration de BGL BNP Paribas. Avec ses 18.500 m² et du haut de ses 8 étages accueillant 1.100 postes de travail, seKoia est conçu comme un lieu où l’ar- chitecturesoutientlesnouvellesmanières detravailler,tellesqueleflexoffice,l’agilité ou le travail hybride. Espacescollaboratifs,decréation,detran- quillité,zonesmodulables,sallesdeconfé- rence équipées des dernières technolo- gies… créent un environnement fluide, capable d’évoluer au rythme des besoins des collaborateurs et de répondre au mieux aux attentes des clients. A travers ce projet, la banque offre un cadre de tra- vail inspirant, levier essentiel pour stimu- ler la créativité, l’innovationet lebien-être au quotidien, et permettre d’accueillir et servir les clients et partenaires dans un cadremoderne et chaleureux. Le nom « seKoia » a été sélectionné par les collaborateurs dans le cadre d’un concoursinterne,ilincarnelaforce,lalon- gévité et l’ancrage local de la banque, implantée au Luxembourg depuis plus d’un siècle. Le « K » de seKoia fait réfé- rence au quartier du Kirchberg dans lequelsetrouveBGLBNPParibasdepuis maintenant 30 ans. Comme le séquoia, arbre millénaire, le bâtiment symbolise une institution qui s’inscrit dans la durée tout en se renouvelant. BGLBNPParibas inaugure son nouveau siège social ©MeltStudio/DanielWahl
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