Agefi Luxembourg - février 2025

Février 2025 17 AGEFI Luxembourg Economie / Banques ParAlexandraPARDOU,Avocate(listeIV)etGérald STEVENS,Avocat à la Cour, Trialys LawFirm L es transactions de fusion-acqui- sition (M&A) intègrent de plus enplus fréquemment la sous- criptiond’une police d’assurance Warranties&Indemnities (W&I). Cet instrument offre aux parties concer- nées une protection contre un large éventail de pertes po- tentielles, enparticulier celles résultant de risques relatifs aux actifs oupassifs de la cible lors des négocia- tions. En sécurisant ainsi l’opération, l’assuranceW&I permet aux décideurs d’abor- der ces transactions avec une plus grande sérénité. L’extensionprogressive de cesmécanismes aux transactions demoin- dre envergure pourrait-elle, à terme, redéfinir le rôle et la fonctiondes conseillers financiers et juridiques impliqués dans ces opérations ? Concept et rôle Conçue spécifiquement pour les transactions de fu- sions-acquisitions, l’assurance W&I est un produit d’assurance visant à protéger, tant l’acquéreur que le vendeur, contre les dommages découlant de viola- tionsauxdéclarationsetgarantiesdonnéesparleven- deur dans le cadre de la cessionde son entreprise. L’onsaitquecesgarantiesportentprincipalementsur la consistance du patrimoine de l’entreprise cédée, la continuité des contrats en cours après cession, l’ab- sence de dettes fiscales ou de sécurité sociale (ou risquederévisiondeceséléments)ouencorel’absence de litiges en cours ou en germe. Cruciales dans toute opérationde cession, elles peuvent faire l’objet de né- gociations intenses entreparties et touteviolationdes déclarationsfourniesdanscecontexteavocationàdé- clencherunmécanismed’indemnisationà chargedu vendeurpourlesdommagessubisparl’acquéreur(ou la société vendue). La place importante réservée dans la pratique aux clauses contractuelles de déclarations et garanties s’explique par l’indigence du régime de la garantie légaledans le cadred’uneventeorganisépar le code civil qui ne couvre que les cas de vices cachés affec- tant la chose vendue. En effet, lorsque le mode de cession d’entreprise choisi par les parties consiste en une vente des actions de la société exploitant l’entre- prise (appelé share deal ), la garantie légale neprotège l’acquéreur que pour les vices cachés portant sur les caractéristiques intrinsèques des actions acquises (soit la chose vendue) sans couvrir leur valeur réelle en relation avec celle de l’entreprise dans toutes ses composantes. Partant de ce constat, oncomprendai- sément qu’une protection contre certains éléments affectantlavaleurdel’entrepriseelle-mêmepassené- cessairement par la mise en place de mécanismes contractuels appropriés. L’extrêmerigueurdesmécanismesexigésparcertains acquéreurs soucieux de ne vivre à aucun prix l’expé- rience communément véhiculée sous l’expression de ‘cadavres dans les placards’, peut susciter une forme deressentimentdansl’espritdesnégociateursau-delà de la transaction alors même qu’ils seront peut-être tenus de rester en contact, sinonmême de collaborer activement, pendant une période déterminée par la suite. Tel est notamment le cas lorsqu’une période d’accompagnement du vendeur dans la gestion, ou unmécanismed’intéressementpost-cession( earn-out ) sontmis enplace. Entoutétatdecause,lerégimedesdéclarationsetga- ranties fait peser sur les épaules du vendeur, au-delà delatransaction,unpoidspsychologiqueetfinancier qui ne lui permet pas toujours de jouir pleinement et immédiatement des avantages retirés de la vente de sonentreprise surtout lorsqu’il est questionde retenir (ouplacersousséquestre)unepartieduprixdelaces- sion jusqu’à l’expirationde la durée de la garantie. Enfin, les transactions de ce genre comportent tou- jours des inconnues et des risques imprévisibles. En dépit des audits lesplus approfondis réalisés avant la cession, ces inconnues peuvent subsister plus ou moins longtemps après la conclusionde l’opération. Lapolice peut être souscrite soit par l’acquéreur pour couvrir lespertesqu’il (ou la société cible) subirait à la suite d’une violation d’une ou plusieurs déclarations duvendeur,soitparlevendeurlui-mêmepourlepré- munircontrelamiseenjeudelagarantiedepassifpar l’acquéreuràlasuited’unetelleviolation.Ellesesubs- titueutilementaumécanismedela«garantiedelaga- rantie» (typiquement la mise sous séquestre d’une partieduprixdecession,ouencorecautionsbancaires ou autres garanties à première demande) fréquem- ment exigée par l’acquéreur. Evolution Introduite sur lemarché dans les années 80 pour des opérations ponctuelles, l’assuranceW&I était initiale- ment conçue comme une police souscrite par le ven- deur lui-même, afin de se protéger en cas d’appel de l’acquéreur à la garantie offerte dans le cadre de la transaction. Ce n’est qu’au milieu des années 90 que les premières polices souscrites par les acquéreurs voientlejour,formatquisembledevenirlanormeac- tuellement (représentant actuellement environ 95% despolicesconclues).Cependant,levéritableessorde ce produit ne s’estmanifesté qu’aumilieudes années 2000, lorsque certaines compagnies présentes sur les marchés anglo-saxons (États-Unis, Royaume-Uni, Australie) ont commencé à recruter des spécialistes des fusions-acquisitions pour adapter leurs produits d’assurance aux transactions M&A. Simultanément, le secteur du private equity a commencé àpercevoir ce produitcommeunemesuredeprotectioncrédiblefa- vorisantencoreledéveloppementdel’assuranceW&I et son utilisation dans les juridictions continentales également, dont le Luxembourg. Traditionnellement associée à des transactions de grande envergure se caractérisant par des prix supé- rieurs à 100 millions d’euros et/ou l’utilisation d’un processusdeventeconcurrentieldanslecadreduquel le vendeur impose la souscription de ce produit, l’as- suranceW&Isembleêtreenproieàunenouvelleévo- lution : lemarchéde l’assurancemanifeste eneffet un intérêt croissant pour étendre l’utilisation de l’assu- rance W&I aux transactions de moindre envergure, permettant ainsi aux petites et moyennes entreprises d’enbénéficier aumême titre que le plus grandes. L’idée consiste désormais à offrir aux PME une pro- tectionsimilaireàcelledesgrandesentrepriseslorsde leurs opérations de fusions et acquisitions. Conséquences sur la conduite des transactions Ce constat amène-t-il à devoir appréhender sous un jour nouveau le mode de négociation des contrats d’acquisitionetdeconcevoirdifféremmentlerôledes conseillers professionnels (juridiques ou financiers) assistant les parties dans ce contexte ? Plus précisé- ment, l’intervention de l’assureur comme garant de l’indemnisation de l’acquéreur en cas de violation desdéclarations et garanties fourniespar levendeur permet-il à l’acquéreur d’êtremoins regardant dans l’analyse préalable des composantes de l’entreprise dontl’acquisitionestconvoitée?Deuxvoletsdoivent être distingués à cet égard : d’une part celui des au- ditspréalablesàacquisition(ou duediligence )dont les conclusions demeurent cruciales pour la poursuite des discussions relatives à l’opération envisagée et, d’autre part, celui de l’étendue (et de la limitation) des déclarations et garanties sollicitées par l’acqué- reur à charge du vendeur. Avant de répondre à ces questions, il est cependant essentieldebiencernerleslimitesdelacouvertureof- ferteparl’assuranceW&I.Eneffet,bienqu’elleaitpour objectifdecouvrirdemanièreglobalelespertesfinan- cièresrésultantdesmanquementsauxgarantiesfour- nies lors de la transaction, ce type d’assurance exclut généralement certaines catégories de risques. Limites à l’étendue de la couverture Tout d’abord, la couverture fournie par l’assureur ne s’étendpas aux risques identifiés aucoursduproces- sus de due diligence. Toute irrégularité ou passif po- tentiel connu avant la vente est nécessairement exclu de la couverture et les parties sont donc censées en tenircomptelorsdelanégociationduprixoudesajus- tements contractuels. Il enva tout autant des déclara- tionsfourniesdemauvaisefoiparlevendeurtombant sous l’acceptation de dol que l’assureur peut refuser decouvriretdontl’indemnisationdemeureraenprin- cipe à charge duvendeur. Ensuite, s’agissant des risques fiscaux, l’assurance W&Icouvrecerteslesmontantsdusautitredestaxes et les intérêts de retard. Cependant, elle ne prendpas enchargelesamendesetautrespénalitésinfligéespar les autorités fiscales, considérées comme dessanctionsdisciplinaires.Certaineslé- gislations générales sur les assurances, commeenItalieparexemple,contien- nent des dispositions qui excluent ex- plicitementlapossibilitédecouvrirdes pénalités. Enfin, l’assurance W&I ne couvre pas non plus les risques liés à l’exploi- tation de l’entreprise après la transaction, tels que les risques opérationnels ou la responsabilité ci- vile,quirelèventd’autres types d’assurances. Impact sur ladue diligence et le rôle des conseillers professionnels L’exercice d’une due diligence en bonne et due forme reste primordiale lors de la sous- cription d’une assurance W&I laquelle ne peut en aucun cas se substituer à la réalisationd’un tel audit. Bienaucontraire,laqualitéetl’exhaustivitédesaudits menés par l’acquéreur aura tendance à influencer di- rectement l’étendue de la couverture d’assurance, car seulslesdomainescouvertsdurantceprocessuspour- rontêtreprisencomptedanslapolice.Ainsi,siunas- pect particulier de l’entreprise n’est pas couvert par le rapport de due diligence , l’assureur refusera de le ga- rantir,créantdesexclusionsspécifiquesdanslapolice. Il est important de réaliser que les compagnies d’as- surance se montrent particulièrement strictes à cet égard:seulslesrisquesexaminésenprofondeurpeu- vent être couverts de manière adéquate. Par consé- quent, la qualité de la due diligence a un impact direct surlasécuritéofferteparl’assuranceW&I,nécessitant parfoisquesoientapprofondiscertainesquestionsré- vélées lors de la due diligence . Le constat qui précède met en exergue l’importance cruciale des conseillers professionnels. Il est essentiel de veiller à ce que tous les aspects pertinents, notam- ment fiscaux, juridiques et financiers, soient analysés afind’éviter toute zone de risque non couverte. Les recommandations qui précèdent contrastent néanmoinsavecuneautreréalitéquin’estpasspécia- lement en lien avec celle des policesW&I. Deplusenplussouvent,lesacquéreurstendentàpri- vilégier la rédaction de rapports d’audits de type red flag ,limitantparfoisaussilechampdesinvestigations, enparticulierdansledomainejuridique,àcertainsas- pectsrestreintsetinvitantsesconseillers,pourdesrai- sons d’économie de temps sinon d’argent, à négliger l’analyse de certaines autres questions (selon le type d’activité de la cible, des aspects jugés moins impor- tants que les problématiques fiscales au de droit du travail, tels ceux liés à la propriété intellectuelle, aux assurances,àl’environnementvoiremêmeaucontenu descontratsencours,sontparfoisvolontairementlais- sés en dehors du champ d’analyse). Lorsque l’on sait par ailleurs que dans le cadre d’un contrat d’acquisi- tion qui prévoit la couverture des déclarations et ga- ranties duvendeur à la souscriptiond’une assurance W&Il’idéeestbiend’exonérerlevendeurdetouteres- ponsabilité (sauf mauvaise foi ou dol de sa part), un mauvaiscalibragedel’étenduedela duediligence pour- rait donc laisser l’acquéreur sans le moindre recours en cas de survenance d’un sinistre. Par conséquent, la conclusion d’une assurance W&I appelle l’acquéreur à soigneusement paramétrer les efforts demandés à ses conseils en amont, sinon si- multanément avec toutediscussionqu’il noueraavec sonassureur(oulecourtierparl’intermédiaireduquel ce dernier intervient), dans une logique d’alignement du champ de l’audit avec l’étendue de la couverture (etdesexclusions)quiluiserontoffertes infine parl’as- sureur sous la police appelée à être conclue. Il est en effet fondamental que l’acquéreur puisse avoir une compréhension claire du positionnement de l’assu- reurparrapportàlacouverturedecertainsrisquesde tellemanière que les échanges à ce sujet soient noués idéalementavantquelesconseillerschargésdel’audit préalable à acquisition aient été saisis sinon à tout le moins avant la remise de leur rapport définitif. A noter pour clore cet aspect que, dans leur analyse du dossier, les assureurs se reposent en principe sur le rapport de due diligence établi en principe par les (propres) conseillers de l’acquéreur. Si l’assureur ne disposeenprinciped’aucunrecourscontrecesconseil- lersencasd’erreuroud’omission(cequecesderniers prennent généralement dans leur rapport en spéci- fiant que leur responsabilité n’existe que vis-à-vis de leurs clients et non des tiers), la qualité des investiga- tions et du rapport qui endécoule ne paraît pas pou- voir être négligée pour autant pour les raisons exposées ci-après. Etendueetlimitationdesdéclarationsetgarantiesdu vendeur Le fait que l’indemnisation de la violation des décla- rationsfourniesparlevendeursoitpriseenchargepar un tiers (en l’espèce l’assurance) ne permet pas pour autant à l’acquéreur de faire preuve de légèreté voire dedésinvolturedanslanégociationdumécanismede déclarations et garanties appelé à être incorporédans le contrat. Ceci tout d’abord par principe dans lame- sure où la compagnie d’assurance veillera à contrôler que le mécanisme mis en place présente les caracté- ristiqueshabituellesquiprésideàcetyped’exerciceet soitautrementditnégociéàdesconditionsdemarché, notammentpourcequiconcerneleslimitationsdega- rantie en termes deplafondoude quantum (aussi ap- pelées basket et deminimis ). Ensuiteparcequemême si la conventionprévoit une exonérationtotaleoupartielleduvendeurdansl’obli- gationd’indemniserl’acquéreurpourunedéclaration incorrecte, l’assureur ne couvrira jamais les déclara- tionsfourniesdemanièremensongèreous’inscrivant dansunemanœuvrededoldelapartduvendeur.De tellescirconstancessonteneffetsystématiquementex- clues des polices. Enfin parce que la police contiendra, comme il est usuel enmatière d’assurance une forme de franchise, un plafond et d’autres limitations qui renvoient aux seuils d’indemnisation ( de minimis et basket ), plafond et autres limitations (comme enmatièrededuréepar exemple) qui caractérisent habituellement les règles de garanties négociées par les conseillers juridiques des parties. Il est utile de préciser ici que la vocation delapoliced’assuranceW&Iestdeprésentertantque faire se peut comme une couverture back-to-back par rapport à ce qui est déclaré par le vendeur et ce que celui-ciindemniseraitenprincipelui-mêmesicetteas- surance n’était pasmise enplace. Undernierpointd’attentionseraréservéauxdéclara- tions qui sont fournies «à la meilleure connaissance du vendeur». La pratique, désormais bien rôdée des compagnies d’assurance, les amène souvent àdéfinir unelignedeconduiterelativementstrictesurlestypes de déclarations, certaines caractéristiques de l’entre- prise étant telles que, selon leur importance ou leur nature, il ne puisse être acceptable d’en exonérer le vendeur pour cause d’ignorance. Demanièregénérale,sidel’avisdecertainspraticiens du monde de l’assurance la conclusion d’une assu- rance W&I permet aux parties de se concentrer sur d’autresélémentsdelatransaction,contribueàréduire le calendrier des négociations et à finaliser la transac- tion d’unemanière plus expéditive, cette affirmation se doit d’être nuancée. Négociations avec l’assureur Lamanière dont le contrat d’assuranceW&I sera né- gocié avec l’assureur et les questions pertinentes au- tour desquelles s’articule un tel exercice excèdent le cadre de la présente contribution. Retenons au titre de points d’attention qu’outre le montantdelaprime(généralementcomprisentre1% et 4% du risque couvert, bien que ce pourcentage puisse être dépassé dans certaines circonstances, les facteursinfluençantcemontantallantdelatailledela transaction jusqu’aux spécificités des garanties assu- rées en passant par le profil de risque de l’entreprise cible), il paraît fondamental de s’assurer que la cou- verture offerte sera strictement alignée sur les décla- rations et garantiesducontrat d’acquisition, couvre le doletlafraudeet,àl’exceptiondecederniercasdefi- gure, prévoit spécifiquement un abandonde recours de l’assureur contre le vendeur au cas où il serait fait appel à la couverture. Conclusion L’assuranceW&I ne remplacepas leprocessusdedi- vulgation ni les obligations de transparence et de dé- clarations duvendeur, et ne les atténue pas nonplus. Elleoffreparcontreunniveausupplémentairedepro- tectionetdeflexibilitéauxpartiesàlatransaction,per- mettantderenforcerlapositiondel’acquéreurtouten procurantauvendeurunetranquillitéd’esprit(etsur- tout financière) pour l’avenir. Selon les informations recueillies demanière informelle auprès de certaines compagniesd’assurance,environunquartdespolices W&I conclues débouchent sur une déclaration de si- nistrecequirestenonnégligeable.Parmilesréclama- tions, 30%environconcerneraient desmanquements relatifs aux comptes de cession (dits «de référence») qui ne refléteraient pas substantiellement la situation réelle de l’entreprise transférée alors que 30 autres pourcentsseraientliésàdesmanquementsauxdécla- rations portant sur les aspects fiscaux. Malgré les considérations qui précèdent, l’utilisation plus systé- matique de l’assuranceW&I,même dans les transac- tions de taille modeste, appelle les professionnels à adapter leur approche. Avocatsetautresconseillersdoiventapprofondirleurs analysesetajusterleursstratégiesdenégociationpour intégrer la dimension assurantielle dans la rédaction etlastructurationdestransactions.Enoutre,ilssedoi- vent de sensibiliser également leurs clients aux impli- cations de l’assurance sur le calcul des primes, la gestion des risques et lamanière d’aborder les audits préalables pour garantir une couverture optimale. L’assuranceW&I : Un outil clé pour fluidifier les négociations dans les transactions M&A

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