Agefi Luxembourg - avril 2025

Avril 2025 15 AGEFI Luxembourg Economie / Fiscalité Par RobinMARC, R-Aligned* L e premier trimestre 2025 a été marqué par une forte reconsidé- ration des initiatives prises en matière de durabilité pour tous les ac- teurs économiques, dont les banques. Deuxmanifestations marquantes, bien distinctes, l’ont illustré. D’abord et surtout, la remise en cause tous azimuts par la nouvelle administration américaine des en- gagements et financements liés à la durabilité, embarquant indis- tinctement les politiques de diversité avec les programmes de protectionde l’environnement et d’étude du change- ment climatique. Également et dans une bien moindre mesure, la présentation du package Omnibus le 26 février 2025 par la Commission Européenne, qui a été lar- gement commenté. Ce package couvre un ensem- ble de propositions visant à simplifier et ajuster les textes portant essentiellement sur le reporting du- rable : la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), la Taxonomie Verte ainsi que la directive sur le devoir de vigilance, laCS3D. Son accueil a pu être analysé soit comme un recul des ambitions eu- ropéennes, soit comme un retour bienvenu au pragmatisme pour les plus petits acteurs écono- miques, selon les sensibilités exprimées. Lacombinaisondecesdeuxmanifestations,eninsis- tant sur la sidération encore induite par la nouvelle approcheaméricaine,necessed’interrogerlesacteurs financiers sur la révision éventuelle de leur stratégie en matière de durabilité. Et un tel questionnement s’entend : faut-ilmettre enpause l’ensemble des pro- jets entrepris, et attendred’yvoir plus clair ?Ne faut- il pas s’en tenir à un agenda réglementaire strict, l’ajustement inattendude laCSRDpouvant refroidir les ardeurs à aller au-delà de ce qui serait requis ? Nous proposons une mise en perspective de ces questionnements, en nous concentrant sur le seul volet climatique et environnemental, et de les confronteràtraverstroisdatesessentielles:l’ambition de réduction des émissions de CO 2 de moitié pour 2030, les Accords de Paris (2015), et l’objectif dit Net Zéro pour 2050. 1) 5 ans : une réduction demoitié des émissions pour 2030, vraiment ? Moins de 5 années nous séparent de 2030, qui a été pris pour référence à plusieurs reprises comme un importantpointd’étapepourlesréductionsdesémis- sionsdeCO 2 .Deuxcadrescomplémentairespeuvent être examinés (1) . Le premier, l’objectif Fit for 55 , datant de 2021, est un ensemblededispositionslégislativesvisantàréduire les émissions de gaz à effet de serrede l’UnionEuro- péenne (UE) d’aumoins 55%d’ici à 2030 et àmettre celle-ci sur la voie de la neutralité climatique d’ici à 2050. Ce paquet Fit for 55 couvre un ensemble de 13 mesuresaucalendrierdistinct,comprenant,entreau- tres,lerenforcementduSystèmed’Échange deQuotas d’Émissions (ETS) pour inclure davantagedesecteursetaugmenterleprix du carbone, ou les normes d’émissions de CO 2 pour les voitures et les camionnettes (lasuppressiondesvéhiculesthermiquesà horizon de 2035). La mise en place de ces différentes mesurespourrasetraduireindi- rectement pour les banques par la réduction de leurs émissions financées du Scope 3 (catégorie 15), qui représentent l’immense majoritéde leurs émissions. Les mesures implémentées résul- tantduPackage Fitfor55 ,parles clients et contreparties concer- nés,pourrontserépercuterenmiroir surlesémissionsfinancéesdesbanques. Autre cadre fixant des objectifs attendus pour 2030, la Net Zero Banking Alliance (NZBA) créée en avril 2021, dont les conditions d’adhésion volontaire et d’engagement pourraient être revues à la mi-avril 2025 (2) .LaNZBAexigedefixerdesobjectifsdedécar- bonationintermédiairesàatteindred’ici5ans,surles activitéslesplusintensives (3) .Sidesprogrèssignifica- tifs ont pu être enregistrés sur la réduction du finan- cement des activités les plus émissives pour certains acteurs bancaires engagés, le ralentissement specta- culairedesengagementsclimatiquesglobauxdepuis le début de l’année n’incite guère à l’optimisme. Ce qui pourrait conduire à un réexamen et un réajuste- ment des ambitions des objectifs de décarbonation. 2) 10 ans déjà : les accords de Paris, leur dynamique, leur héritage 10 ans nous séparent des accords de Paris (« COP 21 »), et plus particulièrement de l’objectif de pour- suivre les efforts pour limiter l’augmentation de la températuremondialeà1.5°Cau-dessusdesniveaux préindustriels. Ce sont, aujourd’hui, des objectifs poursuivisparlesbanqueslesplusimportantesdans le cadre de leurs plans de transitions volontaires ou au titre des prescriptions de laCSRD (ESRS-1). La COP 21 a été surtout un incontestable catalyseur d’initiatives collectives dépassant les seuls états, et créant un remarquable élan chez les professionnels de la finance. On peut citer notamment : - la Task Force on Climate related Financial Disclosures (TCFD) aidant à l’identification des risques finan- ciers liés au climat ; - la large diffusion de la méthodologie PCAF pour standardiser la comptabilisation des émissions fi- nancées ; - le Glasgow Financial Alliance for Net Zero (G-Fanz), regroupant plusieurs sous-initiatives par métier, et proposant à chacune de converger vers les accords de Paris. Ces différentes initiatives ont été fragilisées depuis plusieursmois,soitquantauxorientationsméthodo- logiques qu’elles ont retenues, soit quant auprincipe même de leur existence (4) . Il n’empêche : depuis 10 ans maintenant, de nom- breuxoutils n’ont cessédeproliférer et d’équiper les banquesdans leur stratégie et gestiondes risques en matièrededurabilité.Onyajoutera évidemment les nombreuses contributions issues du Network for Greening the Financial System (NGFS) et de laBanque CentraleEuropéenne, offrant uncadred’analysedes risques, et des données de risque physique et de transition en libre accès. Tous ces outils sont sur la table, à disposition, et font l’objetd’ajustementsconstants.Ilsdoiventêtrenéces- sairement complétés par des données ESG issues de prestatairesprivés,etdontlepérimètredecouverture ne cesse de s’élargir. Il sembleutilede confronter ces avancées de terrain, cette meilleure compréhension des réalités clima- tiques et environnementales par un nombre crois- sant d’acteurs, auxdécisions intempestives adoptées lors du premier trimestre 2025. En effet, « casser le thermomètre » et arrêter de telles mesures semble illusoire et relever de la fuite en avant. Le secteur financier est entrainé dans un mouve- ment irréversibled’unemeilleure compréhensionet d’association de ses activités financées avec ces réa- lités physiques. Cette connaissance progressive ne pourra être évitée : ellene cesserade s’affiner et d’en- richir sonpérimètredemesure, permettant d’ajuster adéquatement les dispositifs de gestion des risques bancaires. Elle pourra également s’ouvrir à des pé- rimètres encore trop peu explorés, tels que les ser- vices écosystémiques et la biodiversité. Ces nouveaux paramètres sont d’ores et déjà à inté- grerlorsdupositionnementstratégiquedenouvelles offresdeproduitsetdeservicesbancaires:quellesse- ront leurs expositions futures à ces risques de transi- tion ou d’adaptation? quels seront les secteurs d’activité les plus vulnérables, àmoyen terme ? 3) 25 ans : l’ambitionmenacée d’unmondeNet Zéro en 2050 Bien avant le premier trimestre 2025, la trajectoire de décarbonationglobaleassurantunréchauffementcli- matique limité à 1.5° était déjà sur le chemin critique, la décarbonation mesurée pour atteindre progressi- vementleNetZérod’ici2050nesuivantpaslesjalons intermédiaires initialement fixés. A l’heure où nous écrivons ces lignes, cet objectif Net Zéro pour 2050 n’est pas officiellement remis en cause, mais il com- menceàêtreplussérieusementquestionné.Ilfautdès lors avoir à l’esprit qu’un objectif manqué d’un ré- chauffement climatique contenu à 1.5° se traduira mécaniquementparunbesoind’adaptationplusfort, assortideconséquencesfinancièresencascadeencore plus difficiles àmodéliser pour les banques. Pour celles-ci, lamenace sur cette ambition collective du Net Zéro doit donc être traitée séparément des défispropresauxquelsellesdevrontrépondreentout état de cause par : - Le dépassement d’un agenda uniquement dicté par la réglementation. La sciencen’est pas infaillible, la réglementation non plus. Les ajustements (voire déconvenues) sur la SFDR et la CSRD sont assuré- ment unbon indicateurde l’instabilité futurede l’en- vironnement réglementaire en la matière. Intégrer progressivement les contraintes environnementales dans la conduitedes activitésfinancières est unexer- cice incroyablement complexe et nouveau. Il semble dès lors utile de factoriser cette instabilité inhérente lors de l’élaboration de l’agenda de transformation durable ; - Lapréparationàune intégrationcontinuedesdon- nées environnementales (ne se limitant pas au cli- mat). C’est la beauté intrinsèque de l’exercice : l’intégration croissante du « réel » dans l’analyse et le traitement financier auravocationà segénéraliser. C’est un changement de paradigme très progressif qui s’opère, et qui fait forcément écho au concept de « matérialité d’impact » de la CSRD. D’ailleurs, la prise encomptede cesdonnées aucœur desmétiers bancaires traditionnels est déjà à l’œuvre : calcul de budget carbone par métier, mesures affinées des émissions financées lors des décisions d’investisse- ment, paramètres « E » retenus dans les décisions d’octroi de crédit, ajustement des politiques de fi- nancement (et de leurs restrictions). Au-delà du secteur bancaire, on peut observer de multiplessignauxtémoignantd’uneintégrationpro- gressiveparlemarchédecesréalitésenvironnemen- tales. Lapriseencompteplus attentivedes certificats énergétiques dans la valorisation immobilière (no- tamment au Luxembourg), l’augmentation signifi- cative des primes d’assurance dans les zones résidentielles « à risque physique » (5) (par exemple, dans certains états américains exposés) sans parler delarefontedemultiplesprocessusindustriels,pour réduire l’empreinte carbone de production ou anti- ciper la rareté annoncée de certaines matières pre- mières critiques, en sont l’exemple. L’effet de sidération introduit par lesmesures amé- ricaines du début de l’annéemérite donc d’êtremis enperspective, sur des horizons de temps plus loin- tains pour les institutions financières. Si les objectifs climatiques et environnementaux initialement fixés n’ont jamais semblé aussi questionnés, le réel (com- prendre : les effets du réchauffement climatique, et les dégâts causés sur l’environnement) ne disparai- tra pas pour autant. Il n‘en deviendra que plus visi- ble, et davantage porteur de risques. Dans ce contexte incertainpour 2025, nous pensons que les premiers éléments de réponse pour avancer sereinement reposent d’abord sur un dispositif de gestion des risques renforcé et adapté, notamment pour intégrer continuellement denouvellesdonnées environnementales, et une revue en profondeur de l’agenda de transformation durable, pour s’appro- prier davantage les effets d’un monde transition- nant moins vite que prévu et dépasser les seules exigences réglementaires. * Robin MARC est fondateur du cabinet R-Aligned, spécialisé dans la gestiondesrisquesfinanciersetdedurabilitépourlesinstitutionsfinan- cièresenEurope. 1) OnpourraityajouterledernieravisdesNations-Uniesdu24octobre 2024,estimantqueglobalement,lesnationsdoivents’engagercollective- ment à réduire de 42% leurs émissions annuelles de gaz à effet de serre d’ici2030. 2) Sont notamment en discussion le caractère impératif de l’atteinte de l’objectifde limitationduréchauffementà1.5°,entreautres. 3) L’objectifpremierétantd’êtreNetZeroauplustardd’ici2050. 4) Voir notamment la question de la prise en compte des crédits carbone danslaméthodologieSBTien2024,oulesdifférentesdéfectionsd’acteurs majeursauseindesalliancesNZBAetNZAMenfind’année2024. 5) Risquedefeuxsauvages,detempêtes,ventsviolents,oud’inondation notamment. 5 ans, 10 ans, 25 ans : une mise en perspective des relations entre Banques et Environnement Prof. Roland GILLET, Professeur d’économie financière à la Sorbonne (Paris 1) ainsi qu’à l’ULB (Solvay) et expert reconnu au niveau international. « Le rapport de force initié par le Gouvernement Trump aux réactions nationales, européennes et mondiales : dangers et opportunités dans un monde encore globalisé » Mardi 20mai de 11h45 à 14h15 Conférence Cercle Ecofin Club au Cercle Munster La table de l'économie & de la Finance PAF : 75 € TTC pp (Apéritif networking & Lunch 3 services compris) À verser sur le compte bancaire : BIC - GEBABEBB - IBANBE73 0015 4949 3760 – Réf. 20/05 Lieu : Cercle Munster : 5-7 rue Münster, L-2160 Luxembourg Parking : Saint Esprit ou service voiturier à partir de 12h (service payant 10€). Info club & devenir membre : www.ecofinclub.lu - didier.roelands@ecofinclub.lu

RkJQdWJsaXNoZXIy Nzk5MDI=