AGEFI Luxembourg - juillet août 2025
Juillet / Août 2025 15 AGEFI Luxembourg Banques / Assurances Par Isabelle MATEOS y LAGO, Cheffe Économiste Groupe BNPParibas C haque année, l’étémacroécono- mique débute et s’achève par deux conférences incontourna- bles de banques centralesmacroécono- miques : fin juin, le forumde laBanque centrale européenne (BCE) tenu dans la ville ventée de Sintra, sur la côte portugaise, et fin août le symposiumdans la vallée pit- toresque de JacksonHole, dans leWyoming aux États-Unis. Elles réunissent des banquiers centraux, des universitaires et quelques économistes du sec- teur financier pour débattre de nouveaux travaux de recherche per- tinents pour la politiquemonétaire et comparer leurs perspectivesCette année, les vents à Sintra étaient forts et incessants,mais les discussions toujours aussi calmes, concentrées et riches qu’habituellement, unemétaphore appropriée de la situationdes banquiers centraux ces jours- ci. Voici quelques points clés à retenir. Pas de triomphalismemalgré des atterrissages endouceur à portée demain Les principales banques centrales atteignent ou se rap- prochent de leurs objectifs en matière d’inflation, avec des marchés du travail en excellente santé. Toutes se considèrent«bienpositionnées»,maisaucunen’estprête àdéclarer«missionaccomplie»carelless’inquiètentdes dangers qui les guettent sur la piste d’atterrissage. Pour la Réserve fédérale américaine (Fed), le principal dangerestlerisqued'uneflambéedesprixdomestiques en raison des droits de douane imposés par la Maison- Blanche à tous les partenaires commerciaux des États- Unis. ÀSintra, son président, Jerome Powell, a reconnu que le FOMC (Federa OpenMarket Committee) aurait probablement déjà réduit les taux d'intérêt si ce risque n’existaitpas.Jusqu'àprésent,iln'yapaseuderépercus- siondesdroitsdedouanesurlesprix,maislesentreprises avaient des stocks non soumis aux nouveaux tarifs à écouler et ont pu se permettre d'attendre de connaître le niveaufinaldesdroitsdedouane.Cettesituationdevrait changer au cours des prochainsmois. L'ampleur de la répercussion et à quel point celle-ci entraîneraunehaussegénéraliséedesprixetdessalaires sont les questions clés, dont les réponses dépendent en grande partie de la croissance du PIB. C'est pourquoi à SintraJeromePowellnes'estpasengagésurlesprochains pas du FOMC, estimant qu'il y avait « plusieurs voies possibles àpartir demaintenant ». Pour notrepart, nous ne prévoyons pas de baisse de taux avant l'automne, voire d’ici la finde l’année. CommelaFed,laBanqued’Angleterre(BoE)doitencore ramener l’inflation à 2 %. Elle maintient donc une poli- tique monétaire restrictive après seulement quelques baisses de taux très graduelles. Néanmoins, contraire- ment à son homologue américaine, elle est confrontée à laperspectived’unedétériorationrapidedesperspectives d’emploi, ce qui a poussé son gouverneur, Andrew Bailey, àdéclarer avec fermeté que la trajectoiredes taux était clairement à la baisse. Nous prévoyons, pour notre part, une nouvelle baisse en août. Pour la BCE et la Banque du Japon (BoJ), en revanche, l’inquiétudequidomineestcelled’uneinflationtropfai- ble à l’avenir. Cela peut paraitre paradoxal : l’inflation s’établit à près de 2 % depuis deux mois dans la zone euroetdépasselargementcetobjectifdepuistroisansau Japon. Mais les deux pays s’inquiètent de l’issue des négociations tarifaires avec les États-Unis et de leur impact sur la croissance nationale commemondiale. En outre, à court terme, le Japon est confronté à une incerti- tude politique, tandis que la BCE doit faire face à l’ap- préciation rapide de l’euro face au dollar (+14 %depuis le début de l’année). Tous ces facteurs créent des risques dedésinflation, tout commeune reprisede la tendanceà labaissedesprixde l’énergie.C’estpourquoilaBCEjugeopportunàcestade de maintenir une position neutre et la BoJ une posture accommodante. Nousprévoyonsunenouvellebaissedestauxdirecteurs de 25 points de base de la part de la BCE en septembre. IlfaudraprobablementplusdetempsàlaBoJpouravoir assezconfianceenlapérennitédel’inflationsous-jacente pour faire un nouveau pas vers la normalisation de sa politique (i.e. une nouvelle hausse de taux). Revue des stratégies pour faire face à unmonde plus incertain La BoE, la BCE et la Fed ont toutes les trois entrepris de passer en revue leur stratégie et leur cadre opérationnel. La revue de la BCE s’est conclue la première, à la veille du forum de Sintra. Son diagnostic pourrait être repris par ses pairs : dans un monde marqué par une plus grande instabilité géopolitique, le réchauffement climatique et une plus grande fragmentationdes échanges, l’inflation risque d’être plus volatile ; elle sera également moinsprévisible en raisondes effets complexes et concurrents de l’intelligence artificielle, du vieillissement des populations et de la transi- tion climatique. La principale nouveauté qui ressort de l’examen de la BCE est son inten- tiondepublierdes scénariosparallè- lement à ses décisions de politique monétaire afind’expliquer sa fonc- tion de réaction. La BoE expéri- mente ces scénarios depuis un certain temps déjà et en a récem- ment officialisé l’utilisation. Les dirigeants de la Fed et de la BoJ ont fait preuve de prudence à Sintra lorsqu’ils ont été inter- rogés sur la possibilité d’imiter cette pratique. Par ailleurs, laBCEa confirmé la symétriede sonobjec- tif de 2 % (c’est-à-dire qu’elle se préoccupe autant des écarts supérieursquedes écarts inférieurs et a confirmé garder l’ensemble de sa boîte à outils). Elle s’est égale- ment engagée à être « agile » y compris, si nécessaire, en créant de nouveaux instruments. L’élément le plus proche d’un mea culpa a été la référence faite à la néces- sité de « proportionnalité » dans l’utilisation et la conception des politiques non conventionnelles. Cette référence, ainsi que celle à l’utilisation de « mesures énergiques ou persistantes appropriées en cas d’écarts importants et durables » suggèrent un léger penchant hawkish dans l’intention de la politique, du moins par rapport aux pratiques passées. Comment stimuler la productivité de l’Europe ? Conformémentàl’idéeselonlaquelleenmatièred’infla- tion les résultats dépendront à l’avenir essentiellement de l’offre, le programme du Forumde la BCE a accordé une grande attention aux comparaisons entre l’Union européenne et les États-Unis, et notamment l’écart de productivité important entre les deux. Si les différences de dynamisme du marché du travail peuvent en expliquer une partie, l’absence d’intégration financière en Europe a été considérée comme l’obstacle majeur à la libération du potentiel de croissance de l’Europe. Alors que récemment l’accent a beaucoup été mis sur la nécessité d’une plus grande intégration des marchésdecapitauxenEurope,lesprésentationsàSintra ontmontréqu’enfaitlesmarchésbancairesétaientencore beaucoupmoins intégrés, d’oùune plus grande hétéro- généité dans la tarification du crédit entre les pays (et donc dans la transmissionde la politiquemonétaire). Une discussion sur les institutions financières non ban- caires (IFNB) a également montré clairement qu’il sub- sistait une ambivalence significative à l’égardde ces ins- titutions, bienqu’elles soient aucœur de touteuniondes marchés de capitaux. Nécessité de rattraper le retard sur les stablecoins « Si nous devons avoir des stablecoins , elles doivent être réglementés », a déclaré le président de la Fed,M. Powell, pour résumer le sentiment général. Les stable- coins — des actifs numériques garantis à hauteur de 1:1 par des actifs liquides de haute qualité, tels que les bons du Trésor — ne figuraient pas à l’ordre du jour officiel du forumde la BCE. Cependant,ellesontfaitl’objetdenombreusesréférences dans les panels comme dans les conversations infor- melles, après avoir été au cœur de la réunion annuelle de la Banque des règlements internationaux (BRI) quelques jours auparavant, et avoir fait launede l’actua- lité enCoréeduSud. Elles ont connuune croissance très rapide et devraient encore gagner en importance après l’adoption par le Sénat américain du Guiding and Establishing National Innovation for US Stablecoins Act («GENIUSAct»), qui devrait bientôt entrer envigueur. Pour le gouvernement américain, l’intérêt de créer une nouvelle source de demande captive pour les bons du Trésor américain est évident. Pour tous les autres, cela crée une pression pour encourager le développement d’un équivalent en monnaie locale, ou pour permettre l’utilisationgénéralisée desmonnaies stables émises par les États-Unis endollars américains. Les craintesportent sur les risquesdes stablecoins pour la stabilité financière mais aussi, si leur utilisation s’étend en dehors des États-Unis, sur la capacité des autorités nationales àmettre enœuvre des contrôles de capitaux, voire à mener une politique monétaire efficace. Sans oublier la perspective de voir la domination mondiale dudollar américain s’accentuer. À l’heure où l’Europe s’efforce de mettre en orbite son Uniondel’épargneetdel’investissement,ils’agitlàd’un nouveaudéfiquirequiertuneattentionurgente.Quisait, ce défipourrait se révéler être un catalyseur utile. Aquoi pensent les banquiers centraux en ce début d’été ? DNCA Finance est une Société en Commandite Simple agréée par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) en tant que société de gestion de portefeuille sous le numéro GP00-030 régie par le Règlement général de l’AMF, sa doctrine et le Code Monétaire et Financier. DNCA Finance est également Conseiller en Investissement non indépendant au sens de la Directive MIFID II. DNCA Finance Luxembourg Branch 1 Place d’Armes - L-1136 Luxembourg. V O T R E É P A R G N E A T R O U V É S A P L A C E dnca-investments.com
Made with FlippingBook
RkJQdWJsaXNoZXIy Nzk5MDI=