Agefi Luxembourg - décembre 2025
Décembre 2025 13 AGEFI Luxembourg Économie OPINION-ParJeanMARSIA,présidentdelaSociété européenne de défenseAISBL (S€D) M on article sur « La guerre des drones – premiers éléments de réflexion », parudans l’AGEFI Luxembourgde novembre 2025, p. 18, n’avait pas traité des drones navals, ni terrestres, ni des systèmes anti- drones. Voici unpremier complément d’information, car les drones sont dans l’air, mais aussi à terre, ainsi que sur et sous la surface de l’eau. La guerre des drones enmilieumarin Les attaques contre les gazoducs Nord Stream et les multiplesdégâtscausésrécemmentauxcâblesetpipe- lines dans la Baltique ont montré à quel point nos infrastructuressous-marinessontexposéesetcomme il est difficile d’attribuer formellement un incident : les preuves sont rarement suffisantes, et quand elles le sont, le courage politiquemanque souvent pour le faire, car le droit de la mer autorise tout navire – et, parextension,toutdroneassimiléàunnavire–ànavi- guer librement dans les eaux internationales et dans la zone économique exclusive, et même à exercer un droit de passage inoffensif dans les eaux territoriales, qui vont jusqu’à 12milles nautiques des côtes. Unnavireouundronede surfacepeut donc s’appro- cher très près des ports, mouillages, champs éoliens ou terminaux de gaz naturel ou de pétrole liquéfié européens, tout en restant dans un cadre juridique très difficile à contester. Un drone autonome sous- marin peut opérer sous un navire civil, franchir dis- crètement la limite des eaux territoriales, remplir sa mission et retourner dans les eaux internationales, compliquant fortement l’attributionduméfait. Les drones marins capables de se poser au fond deviennent des mines marines mobiles. D’autres saventobserver,poserdeschargesexplosivesoucou- per des câbles. Ilsmultiplient les options de sabotage à faible coût et forte valeur stratégique. (1) Lemilieumarin est pluriel Les drones marins opèrent dans quatre milieux superposés : le fondmarin, la profondeur, la surface de l’eau et l’air, ce qui rend la détection, la protection et le Command &Control plus complexes. La défense contre les dronesmarins est donc plus complexe que contre les drones aériens. De plus, les manières de mettreàl’eauundronedesurfaceousous-marinsont plus nombreuses que pour lancer un drone aérien : c’est faisable depuis un navire civil, une plate-forme offshore , unport, voire depuis un autre drone, de sur- faceousous-marin.Cettefacilitéexpliquel’utilisation croissante des drones marins, notamment dans des opérations clandestines, mêlant navires civils et drones marins, qui sont menées par des États, mais aussi par des organisations criminelles, comme les narcotrafiquants. La complexité vient aussi de ce que chaque mer, Baltique, Noire, Méditerranée, ou océan, Atlantique ou Arctique, etc. présente des caractéristiques spéci- fiques : salinité, température, profondeur, densité de trafic, présence ou non de glace… Un système de dronesouanti-droneoptimisépourlamerNoirepeut être inopérant au large de laNorvège. - Sous la surface : les robots sous-marins, autonomes ou opérés à distance, peuvent approcher les câbles, pipelines, fermes éoliennes, stations de compression, capteurs acoustiques. La faible profondeur desmers Baltique et duNord favorise leur emploi, mais la complexité de ces mers et la densité du trafic rendent la surveillance continue très coûteuse. (2) Celle-ci est princi- palement acoustique,mais lebrouillage est aisé.Lebruitdefonddûàlanavigation,aux espèces marines, aux activités industrielles compliquedéjàladétectiond’unpetit drone à faible signature. Les liai- sons radio ne passent pas sous l’eau ; il faut recourir à l’acous- tique, à certaines fréquences optiquesàcourtesdistances,aux liaisons filaires, à l’intelligence artificielle ou à des missions pré- programmées. Cela favorise l’au- tonomie, mais complexifie le Command &Control et réduit la possi- bilité d’intervenir manuellement en cas d’inci- dent oudemauvaise identification. (3) -Àlasurface :lesdronessontrapides,souventfurtifs. Lahoule,l’étatdemeretlesréflexionsradarréduisent la portée de détection de petits drones, surtout en météo dégradée. Les crêtes des vagues permettent d’échapper aux radars et aux senseurs optroniques, comme on l’a vu enmerNoire. - Dans les airs : soit l’on combine des drones aériens, pour la reconnaissance, la désignation d’objectifs ou la guerre électronique, avec des drones de surface ou sous-marins porteurs de charges, soit on utilise des dronesmulti-milieux comme leCormorant deNaval Group, développé en Belgique en seulement deux ans, en collaboration avec la Marine belge et l’Université Libre de Bruxelles. Le Cormorant opère dans les airs et sait plonger jusqu’à40mètresgrâceàsonballast.Cedronepourra servir dans les marines de guerre, les garde-côtes et les douanes, seul ou en essaim pour une meilleure efficacité. LeCormorant pourra remplirdesmissions d’espionnage, de reconnaissance, de surveillance et, potentiellement,d’attaque,carilpeutémergerdiscrè- tementpourattaquerdesciblesdesurface,enmerou à terre, tout en conservant l’équipage dunavire-mère à distance de la menace. Il peut être déployé même en état de mer 44 sur l’échelle de Beaufort, à partir d’unnavirede surfaceoud’undronede surface tel le Seaquest deNaval Groupou l’ Inspector 125 d’Exail. (4) Cecontinuum«dufonddelameràl’espace»impose de coupler radars, sonars, satellites, drones aériens, navires,hélicoptères,stationscôtières,commelefaità terre la défense aérienne et antimissile intégrée de l’OTAN (ou NATO IntegratedAir andMissile Defence - NATOIAMDouNATINAMDS), (5) unréseaudecap- teurs, de centres de commandement et d’armes, qui protège le territoire, les forces et les populations de l’OTAN contre les menaces aériennes et balistiques, en intégrant les capacités nationales et celles de l’OTANafin d’assurer à terme une défense collective contre les avions, les drones et lesmissiles. L’extensionduNATINAMDS audomainemaritime a débuté en janvier 2025 : lamission Baltic Sentry doit empêcher le sabotage des infrastructures critiques, ainsi que les incursions de drones et les violations de l’espace aérien, en renforçant les capacités de surveil- lance et d’action, par le déploiement de davantage de frégates, d’avions de patrouille et de drones navals. (6) L’érection d’un drone wall autour de l’Europe a été récemment envisagée, au seinde l’OTANcomme de laCommission européenne. Le cadre juridique de lamise enœuvre des drones : souvent une guerre de retard Les drones aériens dont il fut question le mois passé ont été intégrés dans un cadre juridique pensé pour les avions habités, civils et militaires : le Règlement d’exécution 2021/664 de l’Union européenne (UE) a établi les règles techniques et opérationnelles pour l’exploitationdesdronesdansl’espaceaérienU-space. Cesystèmecréedeszonesoùdesservicesnumériques automatisés assurent des vols sûrs, efficaces et coor- donnés,facilitantlesopérationscomplexescommeles volsau-delàdelavue.Cesservicesnumériquesauto- matisés contribuent au respect des zones géogra- phiques de vol autorisées pour les drones ; ils indi- quent le réseau radio en usage dans chaque zone, ils octroient l’autorisation de vol, ils diffusent l’informa- tion sur le trafic, ... En mer également, la coexistence du trafic civil de drones (pour l’hydrographie, le pétrole et le gaz offs- hore ,larecherchescientifique)etmilitaire(pourlalutte anti-mines,notamment)surdesroutesmaritimessou- ventsaturéescréeunrisquepourlasécuritédelanavi- gation. C’est particulièrement le cas lorsque des essaimsdedronesévoluentprèsdeschenaux,desfer- ries ou des méthaniers, en surface ou sous la mer. Il estnécessairedelesintégrerdanslessystèmesdesur- veillance maritime, en mer ou à terre, et de garde- côtes, qui n’ont pas été conçus pour gérer unemulti- tude de petits vecteurs semi-autonomes. C’est pour- quoi l’Organisation maritime internationale (OMI), une agence spécialisée des Nations Unies basée à Londres, responsable de la sécurité et de la sûreté de lanavigation,ainsiquedelapréventiondelapollution marine par les navires, prépare un code sur les Maritime Autonomous Surface Ships (MASS), mais ce travail est loind’être terminé. (7) Commepour lesdrones aériens il yadix ans, la tech- nologie avance, le droit tente de suivre, car il faut réduire l’espace de manœuvre des acteurs hostiles sans bloquer l’innovation ni remettre en cause la liberté de navigation navale ou aérienne, fondement du commercemondial. Les technologies navales sont très duales L’industrie pétrolière et gazière, l’éolien offshore , l’ar- chéologie sous-marine, la cartographie hydrogra- phique ont développé une panoplie de drones très avancés et ces drones ou leurs composants – propul- sion,batteries,communications,capteurs,intelligence artificielleembarquée–peuventêtreutilisésàdesfins militaires. Lespétroliers souspavillonde complaisancequi sont soupçonnés d’avoir servi au lancement des drones aériensobservésau-dessusd’aéroportsetdesitessen- sibles enEurope illustrent parfaitement la dualité : ils sontcivilsenapparenceetparamilitairesdansl’usage. Cespétroliers,oudesnaviresderecherche,commele Yantar, (8) peuventembarquer,mettreàl’eau,récupérer ou piloter des drones marins, de surface et sous- marins, sans guère laisser de traces. Les drones, un atout pour nos « petitesmarines » Lespetitesmarineseuropéennessontdépourvuesde grands bâtiments de surface, faute de ressources humaines et de moyens financiers suffisants, mais elles peuvent s’inspirer de l’Ukraine, de Taïwan et de l’Australie, qui ont conçudes dronesmarins ou sous- marins capables de dissuader ou de contenir un adversairedisposantd’unemarineclassiquebienplus puissante, en saturant ses défenses et en rendant ris- quée chaque sortie de port. Le programme belgo-néerlandais de lutte contre les mines a permis de financer et d’exploiter des bâti- ments mères comme le M940 Oostende , qui vient d’être livré à la Marine belge. Ceux-ci mettent en œuvre divers drones, aériens, de surface et sous- marins.Lenavirehabitéestdevenuunpostedecom- mandement,unebaselogistiqueetunatelierdemain- tenance d’une flottille de systèmes autonomes. Les drones ne sont pas seulement une menace ; ils offrent aussi des opportunités considérables aux Européens – à condition d’investir, de mutualiser et demaîtriserlesdépendancesindustrielles.Leschaînes de valeur pour les drones marins déjà très présentes en Europe : construction navale, robotique sous- marine, électronique, intelligence artificielle, cybersé- curité. Pourtant, l’expérience laborieuse de pro- grammeseuropéenscommel’EDIRPA(renforcement parl’acquisitionconjointe,dotéde310millionsd’euros pour des achats urgents) et l’EDIP (Programmepour l’industrie européenne de la défense, doté de 1,5mil- liard d’euros pour la période 2025-2027) mais qui ne seramis enœuvre qu’en 2026, montre à quel point il est difficiled’élaborerunepolitique industrielle euro- péennededéfense,demutualiserlesachatsetd’éviter les dépendances pour les technologies clés (compo- sants électroniques, logiciels, capteurs, stockage de données, etc.). Si les Européens veulent que nos futurs essaims de drones soient réellement souverains – et pas simple- ment des plateformes européennes dépendant de logiciels, de capteurs ou de services extra-européens –ilfaudraunfinancementréellementcommun;sécu- riserleschaînesd’approvisionnementcritiques(puces électroniques, batteries, composants optiques et acoustiques) ; imposer des exigences strictes en matière de cybersécurité, de contrôle du logiciel et de maîtrise des données. Enrésumé ,lesdronesmarinsposentàl’Europedeux défis : sécuritaire , car nos approches maritimes, nos câbles, pipelines, terminaux, ports et champs éoliens sontinsuffisammentprotégésfaceàdesacteurscapa- bles d’employer des essaims de drones marins dans une logique de guerre hybride ; doctrinal et capaci- taire ,commepourlesdronesaériens,carnosmarines doiventencores’adapteràunenvironnementdevenu « transparent, létal et fugace » et désormais étendu du ciel au fondde lamer. Il faut espérer que nos marines seront aidées, d’une part par le développement du Système intégré de défenseaérienneetantimissile parl’OTAN(leNATI- NAMDS) élargi aux drones, non seulement dans le domaine aérien mais aussi à la mer et aux fonds marins, avec des capacités suffisantes de lutte contre les drones marins, et d’autre part par la structuration d’une base industrielle européenne des drones marins, civile et militaire, capable de produire suffi- samment et d’innover rapidement. 1) Voir Jean-Philippe Liabot, « Pétrolier russe intercepté au large delaBretagne :deuxmembresdel’équipageengardeàvue»in Euronews , https://miniurl.be/r-6k9d, 1 er octobre 2025 ; Julian Borger,«NordStreamattackshighlightvulnerabilityofundersea pipelines in west » in The Guardian https://miniurl.be/r-6k9e, 29 September2025. 2) Voir Lesia Ogryzka, Alberto Rizzi, “Shallow seas and “sha- dow fleets”: Europe’s undersea infrastructure is dangerously vulnerable” in European Council on Foreign Relations , https://miniurl.be/r-6k7p, 8April 2025. 3) Voir sn, « Belgium: fromR&D to product in short cycles! » in NavalGroup ,https://miniurl.be/r-6k7q, 25June2025. 4) Voir Vincent Groizeleau, « Naval Group : gros plan sur le Seaquest-S,lenouveaudronedesurfacedéveloppéparSirehna» in MeretMarine ,https://miniurl.be/r-6k7r ,3octobre2024. 5 )https://miniurl.be/r-6k7s 6)VoirRichardMilne,«NATOtobuildupdefenceagainstBaltic Sea sabotage » in Financial Times , https://miniurl.be/r-6k7t , 14 January2025. 7)Voirsn,«Transportmaritimeautonome»in Organisationmari- time internationale ,https://miniurl.be/r-6k7u ,sd. 8) Voir AFP, Reuters, « «Des options militaires sont prévues» : LondresmetengardeMoscouaprèsavoirdétectéunnaviremili- taireaulargedel’Ecosse»in Libération ,https://miniurl.be/r-6k7v, 11/2/2025. Partie 2 La guerre des drones L eministre des Finances, GillesRoth, a participé aux réunions de l'Eurogroupe et duConseil des affaires écono- miques et financières (Ecofin) à Bruxelles les 11 et 12 décembre. LesministresdesFinancesdelazoneeuro ontfaitlepointsurlesdernièresévolutions macroéconomiques et ont échangé sur l'examen du FMI relatif aux politiques de la zone euro. Les discussions se sont poursuivies sur la situationbudgétaireetlesperspectivesdes États membres de la zone euro. Enfin, l'EurogroupeaéluleministredesFinances grec, Kyriakos Pierrakakis, comme son nouveau président. Lors des réunions de l'Ecofin,lesministresdesFinancesonttenu un débat d'orientation sur l'Union de l'épargne et des investissements. Le Luxembourg a réaffirmé son soutien aux objectifsvisantàrenforcerlacompétitivité et les marchés de capitaux européens. L'ajout de complexité, de bureaucratie et d'incertitudejuridiquenepermetpasd'at- teindre ces objectifs. En conséquence, le Luxembourg ne pourra pas soutenir des mesures allant dans cette direction, notamment celles visant à confier à l'ESMAdes fonctionsde supervision centrale. Les discussions ont également porté sur les impacts économiques des réglemen- tations européennes ainsi que sur la sim- plification des règles financières. Les ministresdesFinancesonteuunéchangé sur les conséquences économiques et financières de la guerre d'agression menéepar laRussie contre l'Ukraine. Par ailleurs, un échange de vues avec la Commission européenne a eu lieu concernant le Semestre européen 2026 et la mise en œuvre du Pacte de stabilité et de croissance. Gilles Roth commente : « Dans un contexte international marqué par des tensions économiques et géopolitiques, l'Union européenne doit affirmer sa force et son unité. Ensemble, nous aspi- rons à une Europe plus compétitive et moins bureaucratique. » En outre, le Conseil des gouverneurs du Mécanisme européen de stabilité s'est réuni pour une rencontre. Source :ministèredesFinances Gilles Roth a participé aux réunions de l'Eurogroupe et du Conseil Ecofin à Bruxelles «L'Union européenne doit affirmer sa force et son unité » ©MFIN
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