AGEFI Luxembourg - juillet août 2025

AGEFI Luxembourg 12 Juillet / Août 2025 Économie OPINION - Par Jean MARSIA, président de la Société européenne de défense AISBL (S€D) L emois de juin écoulé a vu l’Eu- rope régresser plutôt que pro- gresser, en particulier dans le domaine de la sécurité et de la défense. Lamontée des périls n’échappe pas à la grandemajorité des citoyens, mais les politi- ciens n’en ont cure. M. Rutte s’est distingué, aumau- vaissensduterme,lorsduConseil atlantique. Le président du Parti populaire européen (PPE) a fait état de sa méconnaissance des questions desécuritéetdedéfense.LeprésidentMa- cron poursuit son parcours calamiteux et les débuts duCommissaire européen à laDéfense et à l’Espace, M. Kubilius, sont très peu convaincants. Le sénateur françaisMalhuret sauve l’honneur, car il n’est pas in- féodéàlaparticratie. LaCommissioneuropéennen’a pas les moyens de sa politique, et cela va s’aggraver, carellevadevoircommenceràrembourserl’emprunt qu’elle a souscrit pour relancer l’économie après la pandémie. Restonsnéanmoins confiants etmotivés à sortir l’Europe dumarasme actuel. Le funesteConseil atlantique de LaHaye Il reste du Conseil atlantique des 24 et 25 juin à La Haye l’imaged’uneEuropequi se laissemenerpar le bout du nez en matière de politique étrangère et de défense par son « partenaire » américain. Elle devrait plutôt s’en affranchir, car nos intérêts divergent, no- tamment parceque leprésident Trumpnous fait une sévère guerre commerciale, à coups de droits de douane et parce qu’il nous fait payer de plus en plus cherunegarantiedesécuritédeplusenplusaléatoire. Le secrétaire général de l’OTAN, M. Rutte, a humilié lesEuropéensenétanttropflatteur,etmêmetropfla- gorneur, avec le président américain. Il a dépassé les limites de la servilité. Il s’est vanté d’avoir forcé tous les Européens à accepter l’obligation d’affecter 3,5 % de leur PIB à la défense et 1,5%à la sécurité, au plus tarden2035,tandisquelesAméricainsprogramment leurdésengagementd’Europe,pourpouvoirconcen- trer leurs forces face à laChine. Laquestionseposedesavoir,comptetenudel’endet- tementdelaplupartdesÉtatseuropéens,quellessont les budgets qui vont être réduits pour compenser la croissance des dépenses de défense ? La sécurité so- ciale?L’éducation?Lasanté?Lespensions?Certains Étatsn’ontsansdoutepasl’intentiondetenirleurpro- messe faite àLaHaye, car il est questionde ne faire le pointàcesujetqu’en2029,aprèslafindumandatpré- sidentiel de D. Trump. Plutôt que d’importer des États-Unisd’Amérique,cequiréduitnotreproduitin- térieurbrut,desarmesdontl’obsolescenceestpatente surleschampsdebatailleukrainiens,oudontledélai delivraisonestextrêmementlong,dansl’espoird’ob- tenir des tarifs douaniers moins défavorables, il fau- drait que nous devenions plus autonomes. Les politiciensaupouvoirenEuropen’enprennentpasle chemin,carilssonttrèspeucompétentsenmatièrede sécurité et de défense. Unprésident duParti populaire européen peu clairvoyant enmatière de défense C’estparticulièrementlecasdeM.ManfredWeber,le président duParti populaire européen, legroupepo- litiquelesplusimportantauParlementeuropéen,qui rassemble des partis qui gouvernent la plupart des pays d’Europe. Dans un interview récent, (1) il a dit (je traduis du néerlandais) que « La mission historique denotregénérationestdefairedel’Unioneuropéenne (UE) une Union de la défense, dotée d’une politique étrangère véritablement commune ». Il ne fait pas de doute depuis 1992 que l’Europe devrait pouvoir mener une politique étrangère, c’est inscrit dans le traité de Maastricht, mais les politiciens n’ont jamais fait réellement le nécessaire. C’est pourquoi le Service européen d’Action extérieure n’est guère pris au sé- rieux sur la scène internationale. M. Weber, comme tantd’autres,semblenepasréaliserqu’uneUnionn’est pas un État. Elle ne saurait donc pasmener une poli- tique étrangère commune, créer une armée euro- péenne, nimême standardiser nos armements. M.Weber reconnaît que l’UEne joueaucunrôledans la défense et la politique étrangère et que personne dans le monde ne se soucie de ce que les Européens disent. Il n’y apour lui aucundoute que la voix euro- péenne devrait être entendue et que 340 millions d’Américainsnecontinuerontpasàdéfendre450mil- lions d’Européens. Il observe que 40%du commerce de l’UE passe par la mer Rouge et le canal de Suez ; pourlesAméricains,cen’estque4%.Ilditquesinous voulons protéger nos intérêts économiques contre les missiles des Houthis, nous devons prendre nos res- ponsabilitésensemblesurlascènemondiale.Ilestime que nous devons nous défendre nous-mêmes. Il re- connaîtlanécessitéurgented’uneintégrationpoussée des industries et des armées nationales. Il dé- plorequenousgaspillionsdesmilliardsd’eu- ros parce que nous avons environ dix-sept types de chars différents en Europe et un seul enAmérique ; que lamême fragmenta- tion peut être observée dans les frégates, les avions de chasse et les obus. Pour M. Weber, lacoproductionetl’appeld’offresencommun sont une nécessité absolue. Ces constats étant corrects, pourquoi ne fait-il rienpour que cela change ? M. Weber sait à quel point de grandes armées nationales et des partis nationalistes forts sont dan- gereux. Il estime que les hommes politiques doivent dire aux citoyens ques’ilsveulentuneEuropesûre,les armées nationales doivent être placées sous un parapluie européen, mais il ne fait rien pour constituer ce parapluie. Il prétend rendre irré- versiblel’intégrationeuropéennedesindustriesdedé- fense et de la politique étrangère, afin que nous ne puissions plus revenir à l’égoïsme national, au natio- nalisme, mais il ne propose rien de crédible pour ce faire. Lorsque l’interviewer lui demande qui sera aux commandes de la défense européenne, il ne répond pas comme le chancelier Kohl qu’il faut l’union poli- tique de l’Europe, ce que malheureusement le prési- dentMitterranda refusé.M.Weber dit être favorable à une armée européenne, fondée sur des armées na- tionales,avecdesarmeseuropéennesetunestructure de commandement européenne, mais seulement « à long terme », alors que les services de renseignement alertentsurlerisqued’uneagressionrusseenEurope dans quelques années seulement. L’armée euro- péenne deM.Weber, c’est duvent. M. Weber a cependant raison de dire qu’une armée européennene signifierait pas lafinde l’OTAN, que le pilier européen de la défense devrait être intégré dans l’alliance. Mais sa conception de ce que devrait être ce pilier européen de l’Alliance est incohérente. Il voudrait commencer à l’est, par un bouclier anti- missile contre les missiles russes, une protection contre les cyberattaques et le sabotageouencoredes systèmes satellitaires d’observation de la terre, pour que nous sachions où et comment les Houthis atta- quent nos navires.M.Weber tentede construireune maison en commençant par le toit. Le groupe Parti populaire européen qu’il préside a organisé le 2 juillet dernier au Parlement européen un séminaire sur la défense européenne. Je n’ai pas notélaprésencedeM.Weber,quiauraitpuentendre le lieutenant général Marc Thys, naguère vice-chef de laDéfense belge, dire que ce qui importepour les militaires, c’est de savoir qui commande, et M. Jan Pie,Chair of theAerospace, SecurityandDefence In- dustries Association of Europe, dire que ce qui im- portepour les industriels, c’est de savoir qui signe les bons de commande. M.Weberdevraitenfinréaliserqu’ilfautcommencer, comme l’a fait le Congrès continental américain en 1775,pardésigneruncommandantenchefeuropéen qui ne soit plus le président des États-Unis d’Amé- rique. M. Weber dit bien que la défense européenne est une question de volonté politique et de prise de conscience de ce qui se passe, mais cela reste pour lui purementrhétorique.Ilsepréoccupesurtoutdesavoir si nous pouvonsmieuxdépenser les budgets actuels, mais il ne sait pas pour que faire. Il est ingénieur de- puis 1996, mais sa carrière est essentiellement poli- tique,avecpeudecontactaveclavraievie.Jeluiavais écrit le 22 janvier 2022 qu’une gouvernance fédérale del’Europeestlacondition sinequanon pourrésoudre lesproblèmespourlesquelslesÉtatsmembresdel’UE nedisposentplusdesmoyensnécessaires,enparticu- lierpourassurernotresécuritéetnotredéfense.Ilsem- ble ne pas l’avoir compris. M.Macronpersévère dans l’erreur Partisan en apparence d’une Europe plus autonome, M.Macronnous a tenu biendes discours en ce sens : en2017,àlaSorbonneetàAthènes,puisauParlement européen, en2018 et en2022. Les années ont passé, et la souveraineté de l’Europe n’a pas progressé. Le 13 mai dernier, sur TF1, M. Macron a souhaité le déve- loppement d’un «dialogue stratégique sur ladissua- sion nucléaire française dans le cadre de la sécurité collective ». Il a entamé des discussions avec l’Alle- magne et la Pologne pour examiner si et comment la Francepourraitétendreladissuasionnucléaireàl’en- sembleducontinenteuropéen.Ilenvisagedestation- ner des armes nucléaires françaises hors de France, comme lesAméricains le font notamment enEurope et en Turquie, les Russes en Biélorussie, la France à bordduporte-avionsCharlesdeGaulle.PourM.Ma- cron, les pays hôtes des armes françaises devraient participer à leur financement, mais leur contrôle res- terait entre les mains du président de la République française, alors que lesAméricains financent seuls les armes positionnées enEurope. Il semble queM.Ma- cronvaquitterl’Élyséeen2027sansavoirfaitprogres- ser la défense européenne, ne fût-ce qu’unpetit peu. UnCommissaire européen à laDéfense irréaliste Dans le discours que le Commissaire européen à la Défense et à l’Espace, M. Kubilius a prononcé lors des Conversations de Tocqueville, le 28 juin 2025, (2) ilaestiméàjustetitrequel’époqueoùnouspouvions vivre sansunedéfenseeuropéenne communeest ré- volue, l’Europe étant prise « entre la révolution MAGA et le révisionnisme russe ». Malheureuse- ment, il envisage la voie de l’Union européenne de ladéfensepour la créer, avec l’article 42, § 2, du traité sur l’UE comme base légale. Je lui ai écrit que c’est totalement irréaliste. Chacun sait que l’article 42, § 2 dispose que : «Lapolitique de sécurité et de défense commune [...] conduira à une défense commune, lorsque le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en décidera ainsi. » L’exigence de l’unanimité rend cettedispositioninapplicable.L’irréalismedeM.Ku- bilius ne s’arrête pas là : il espère qu’Ursula von der Leyen, Friedrich Merz, Emmanuel Macron, Keir Starmer, Georgia Meloni et Donald Tusk feront preuved’unvéritable leadership collectif pour assurer l’indépendance de l’Europe et la Pax Europaea . Cela adviendra à mon avis lors des calendes grecques, c’est-à-dire jamais. Un sénateur clairvoyant Le2juilletdernier,ClaudeMalhuret,sénateurfrançais indépendant, ancien directeur de Médecins Sans Frontières, déplorait (3) en substance au Sénat de France, que les dirigeants européens, impuissants, prosternésdevantTrumpàLaHaye,sontdevenusles commentateurs et non les acteurs des événements. Leur impuissance, c’est l’humiliation des Européens pourlesénateurMalhuret,quiconstataitquetroisans après le début de la guerre de haute intensité en Ukraine, onze années après le début des hostilités en Crimée, nous ne sommes pas prêts à dissuader un éventuelagresseur,carnoussommesincapablesd’as- surer notre défense. Nous n’avons même pas les moyensni lavolontéde soutenir comme il le faudrait les Ukrainiens, qui meurent par dizaines de milliers poursedéfendreetpournousdéfendre.C’esttragique pour l’Ukraine d’aujourd’hui. C’est tragique pour l’Europe de demain, disait le sénateurMalhuret. Pour lui, l’urgence est demoderniser, de renforcer et surtout de coordonner la défense européenne, de comprendre que les guerres d’aujourd’hui sont hy- brides et que notre retard dans les drones, le numé- rique, l’intelligence artificielle et la lutte contre la désinformationestencoreplusimmensequel’insuffi- sance de notre armement conventionnel. La priorité, pour le sénateurMalhuret, c’est aussi d’arrêter lesdis- coursdémobilisateurs,assurantquenousnesommes pas en guerre, alors que les dictateurs sont en guerre contre nous, qu’ils le disent tous les jours et surtout qu’ils la font, sur les réseaux sociauxenvahisde trolls, dansnosentreprisescibléesparlessabotagesetlescy- berattaques, au fond des mers, par la section des câ- bles sous-marins, dans les airs, par les provocations quotidiennes. LaCommission européenne n’a pas lesmoyens de sa politique de sécurité et de défense ! L’agenda stratégique 2024-2029 que le Conseil euro- péena adopté lors de sa réuniondu27 juin2024 veut renforcer la sécurité et ladéfense. Présenté enoctobre 2024, le rapport intitulé Safer Together : Strengthening Europe’sCivilianandMilitaryPreparednessandReadiness de Sauli Niinistö préconise diverses mesures, mais leur financement doit attendre la mise en place du prochain Cadre financier pluriannuel, soit 2028. La question qui se pose au sein de la Cour des comptes européenne est de savoir si l’UE parviendra à sortir du déficit demise enœuvre dont elle a trop souvent été victime dans le passé. (4) Pour une Europe plus autonome Ce dont l’Europe a surtout besoin, à mon avis, c’est d’une capacité de dissuasion, d’une défense antiaé- rienneetantimissile,deplusdecybersécurité,detélé- communicationssatellitaires,d’observationdelaterre depuisl’espace,d’intelligenceartificielle,detechnolo- gies nouvelles, plus respectueuses de l’environne- ment, de protection de nos câbles, oléoducs et gazoducs sous-marins, demoyens de transport stra- tégiques, aériens et maritimes. Nous avons aussi be- soin de croissance économique et notre industrie de défense devrait plus y contribuer. Pourcefaire,l’Europedevraitsedoterd’unÉtatfédé- raletd’unbudgetdedéfensequipermettraitdecom- blernoslacunescapacitaires.Seulelavolontépolitique manque encore. 1) Marc Peeperkorn, « Manfred Weber: ‘Europa moet defensie onomkeerbaar integreren, zoals de euro dat economischdeed’ » (L’Europedoitintégrerdemanièreirréversibleladéfense,comme l’euro l’a fait sur le plan économique) in De Morgen , https://lc.cx/p2gANi, 16 juni2025. 2)Voir SpeechbyCommissionerKubiliusattheTocquevilleConversa- tions: “The Future of Europe: FromPaxAmericana to Pax Europeae”, Brussels ,https://lc.cx/jNyPsz ,28June2025. 3)VoirClaudeMalhuret,«SituationauProcheetMoyen-Orient» in LesIndépendants ,https://urls.fr/dRj0G9 ,2 juillet2025. 4)VoirJean-LouisdeBrouwer,«TowardsaPreparednessUnion Strategy?Showusthemoney!»in JournaloftheEuropeanCourtof Auditors ,n°1/2025 ,https://urls.fr/QTJ3PH ,p.32-34. L’Europe fut un nain politico-militaire lors du Conseil atlantique ; elle le reste ! L 'Union européenne (UE) pourrait être sur le point de conclure un ac- cord commercial avec les États-Unis, mais peine à obtenir un allègement immé- diat des droits de douane ainsi qu’un en- gagement à ne pas introduire de nouvelles mesures, a déclaré le 9 juillet le président de la Commission du commerce interna- tional du Parlement européen. "Je vois qu’il pourrait y avoir une marge de com- préhension sur la question des droits de douane sur l’acier, les voitures, et bien sûr aussi certaines exceptions possibles auxdroits de douane de base", a déclaré l’eurodéputé social-démocrate allemand Bernd Lange, qui ne fait pas partie de l’équipe de négociation de l’UE mais est en contact avec ses membres. La Commission européenne, qui négocie au nom des 27 États membres, cherche à conclure un accord-cadre avec les États-Unis d’ici au 1 er août. L’UE fait actuellement face à des droits de douane américains de 50%sur ses exportations d’acier, 25% sur les voitures, et 10%sur lamajorité de ses autres exportations. Une taxede 50%sur le cuivre importé est imminente, et des prélèvements sont également attendus sur les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques. Cesmesures sont inacceptables pour l’Union euro- péenne, a estimé Bernd Lange, car elles ciblent directement le développement industriel du bloc. Selon lui, les principaux enjeux pour l’UE dans ces négociations sont d’obtenir une baisse des droits de douane dès la conclusionde l’accord-cadre, plu- tôt que d’attendre encore plusieurs semaines ou mois, ainsi que l’introductiond’une "clausede statu quo" garantissant l'absence de nouvelles mesures punitives. Jusqu’à présent, les États-Unis n’ont pris aucun engagement en ce sens, a-t-il ajouté. LaprésidentedelaCommissioneuropéenne,Ursula von der Leyen, a par ailleurs déclaré le 9 juillet que l’Unioneuropéenne travaillait étroitement avec l’ad- ministrationduprésident américainDonaldTrump pour parvenir à un accord commercial, tout en se préparant à tous les scénarios possibles. " Nous restons fidèles à nos principes, nous défen- dons nos intérêts, nous continuons à négocier de bonne foi, et nous nous préparons à toutes les éventualités", a-t-elle affirmé devant le Parlement européen. Source : Reuters ©Freepik Droits de douane : L'UE vise un accord d'ici au 1 er août

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