Agefi Luxembourg - mars 2025
AGEFI Luxembourg 12 Mars 2025 Economie ParAdelinREMY, Editeur,AGEFI Luxembourg Version anglaise ci-dessous / English version below L e président Zelensky a été reçu à la Maison-Blanche par le président Trump et le vice-président Vance pour signer un traité pour l’exploitation des terres rares enUkraine (1) préalablement aux discussions de paix entre les Etats-Unis et laRussie. Enpré- sence de la presse et avant undé- jeuner qui a finalement été annulé faute d’accord. LeprésidentZelenskyest arrivé en treil- lis (uniformede combat) dans l’OvalOf- fice, contrairement à l’usage requis de porter l’uniforme militaire ou le costume avec cravate. Un journaliste a posé la question au président Ze- lensky : «Pourquoi neportez-vouspasuncostume ? Vous êtes reçu au plus haut niveau dans ce pays et vous refusez de porter un costume. Beaucoup d’Américains ont desproblèmes avecvotremanque de respect. » (2) Le président Zelensky a toujours porté le treillis à l’étranger, même avec le roi Charles III (2023) à Buckingham Palace où les usages sont réputés être très codifiés ou dans la cathédrale Notre-Dame de Paris (en décembre 2024) où la tradition millénaire décourage le port de symboles de combat à l’inté- rieur des églises. Qui a raison, qui a tort ? Le président Ze- lensky a médiatisé son rôle de combat- tant grâce au treillis et cette image est une réussite. Mais une image peut être fragile si le contexte change, la vue du treillis ( fatigue en anglais) peut devenir « fatigante » si la guerre paraît très diffi- cile à gagner. Bienquelesinformationssurlechan- gement de position de l’admi- nistration américaine aient été disponibles de- puis le début de la cam- pagne électorale. La demande de précisions surlesgarantiesdesécurité (3) , les affirmations selon les- quelles Poutine est un assassin etunterroriste (4) ,laconfirmation qu’aucuncompromis«avecl’assassin» sur les territoires ukrainiens n’était possible (4) et que 20.000 enfants ukrainiens ont été « volés » par les Russes (5) semblentrendrelanégociationentrelesEtats- Unis et laRussie extrêmement difficile. Si le président Zelensky avait voulu signer le traité, il se serait habillé différemment. L’habit fait donc bien lemoine. (1) « Exclusive: The full text of the US-Ukraine mineral deal », The Kyiv Independent , 26 February 2025 https://kyivindependent.com/exclusive-the-full-text-of-the-final- us-ukraine-mineral-agreement/ (2) «Trump-Zelenskyy meeting gets heated », Fox 5 , 1 st March 2025 transcript 18:48-18:57 https://www.youtube.com/watch?v=BhquAWlke2o&t=49s (3) Ibid., transcript 03:04-03:18, 20:06, 23:08, 24:05, 25:04 (4) Ibid., transcript 03:47 (5) Ibid., transcript 05:05 Russia acknowledges the presence of thesechildrenbutassertsthattheirrelocationwasahumanitarian efforttoprotectthemfromthedangersoftheongoingwar.Russ- ianofficialsmaintainthatthechildrenwereevacuatedfromcon- flictzonesfortheirsafetyandthattherelocationswereconducted with the intention of safeguarding theirwell-being. *** The cowlmakes themonk President Zelenskywas received at theWhiteHouse byPresidentTrumpandVicePresidentVancetosign a treaty for the exploitationof rare earths inUkraine (1) prior to peace talks between the United States and Russia.Inthepresenceofthepressandbeforealunch thatwasultimatelycanceledduetolackofagreement. President Zelensky arrived in fatigues (combat uni- form)intheOvalOffice,contrarytotherequiredcus- tomofwearing amilitaryuniformor a suit and tie. A journalist askedPresident Zelensky: “Why aren’t youwearing a suit? You are received at the highest level in this country and you refuse to wear a suit. A lot of Americans have problems with your lack of respect.” (2) PresidentZelenskyhasalwayswornfatiguesabroad, even with King Charles III (2023) at Buckingham Palacewhere customs are known to be very codified or in Notre-Dame Cathedral in Paris (in December 2024) where the age-old tradition discourages the wearing of combat symbols inside churches Who is right, who is wrong? President Zelensky has publicized his role as a fighter through fatigues and this image is a success. But an image can be fragile if the context changes, the sight of fatigues can become “tiring” if thewar seems verydifficult towin. Althoughinformationonthechangeinpositionofthe Americanadministrationhasbeenavailablesincethe beginning of the election campaign. The demand for clarification on security guaran- tees (3) , the claims that Putin is a killer and a terror- ist (4) , the confirmation that no compromises “with the killer” on Ukrainian territories was possible (4) and that 20,000 Ukrainian children were “stolen” by the “crazy” Russians (5) seem to make the nego- tiation between the United States and Russia ex- tremely difficult. If President Zelensky had wanted to sign the treaty, hewouldhave dresseddifferently. So the cowlmakes themonk. (1) « Exclusive: The full text of the US-Ukraine mineral deal », The Kyiv Independent , 26 February 2025 https://kyivindependent.com/exclusive-the-full-text-of-the-final- us-ukraine-mineral-agreement/ (2) « Trump-Zelenskyy meeting gets heated », Fox 5 , 1 st March 2025 transcript 18:48-18:57 https://www.youtube.com/watch?v=BhquAWlke2o&t=49s (3) Ibid., transcript 03:04-03:18, 20:06, 23:08, 24:05, 25:04 (4) Ibid., transcript 03:47 (5) Ibid., transcript 05:05 Russia acknowledges the presence of thesechildrenbutassertsthattheirrelocationwasahumanitar- ian effort to protect them from the dangers of the ongoingwar. Russianofficialsmaintainthatthechildrenwereevacuatedfrom conflict zones for their safety and that the relocationswere con- ductedwith the intention of safeguarding their well-being. ÉDITORIAL L'habit fait le moine / The cowl makes the monk OPINION-ParJeanMARSIA,présidentdelaSo- ciété européenne de défenseAISBL (S€D) L e discours du vice-président américainVance au Forumde Munich sur la sécurité, le 14 fé- vrier 2025, a confirmé queMM. Trump et Vance pensent, comme tous les prési- dents américains depuis 1949, qu’il est important que l’Eu- rope « fasse un grandpas en avant pour assurer sa propre défense ». C’est égalementmon avis. En revanche, M. Vance a in- nové, en suggérant que la principale menace pour l’Eu- rope se trouve « à l’intérieur » et en dénonçant des violations démocra- tiques présumées à travers l’Europe, des discours de haine et des mauvais traitements présumés in- fligés au parti d’extrême droite Alternative für (pour) Deutschland (l’Allemagne), l’AfD. Ces pro- pos ont manifestement choqué de nombreux par- ticipants. M. Trump, qui n’était pas à Munich, a approuvéM. Vance, mais son attaque contre la dé- mocratie a sapé les relations transatlantiques. (1) Les craintes de M. Vance n’ont nullement empê- ché les électeurs allemands, le 23 février 2025, d’ac- corder 20,8 % de leurs suffrages à l’AfD, en hause de10,1 %, et première dans les cinq Länder de l’Est, mais les partis CDU et CSU ont obtenu 28,5 %, en progrès, modeste, de 4,4 %. Le SPD, conduit par le calamiteux chancelier Scholz a réa- lisé le plus mauvais score de son histoire : 16,5 %, une chute de 9,2%, les décevants Grünen n’ont eu que 11,9 %, en baisse de 2,8 %. Die Linke, que l’on disait en phase terminale, s’est trouvé une nou- velle porte-parole de qualité à qui il doit son score : 8,7 % des votes, en progrès de 3,8 %. Bündnis Sarah Wagenknecht, qui repose sur les épaules d’une personne, n’a pu convaincre, n’a eu que 4,97%et n’a donc pas d’élu, sauf décision contraire de la Justice. Les navrants libéraux du FDP, avec 4,3%, perdent 7,1%et ne sont pas seulement sanc- tionnés : ils sont éliminés de la vie politique du Bund pour une législature. La prochaine majorité devrait additionner les 208 sièges de la CDU-CSU et les 120 du SPD, ce qui sera insuffisant pour mo- difier la constitution et supprimer le frein à la dette qu’espère le chef de file CDU et CSU, pour relan- cer l’économie et reconstituer la Bundeswehr. Ce résultat somme toute nuancé rend assez déri- soires les propos deM. Vance àMunich, mais son attaque contre les valeurs chères aux alliés de l’Amérique et l’attitude de l’administration Trump face à l’Ukraine ont suscité une vive réac- tion des dirigeants européens réunis à Paris. (2) Ce groupe hétéroclite n’amalheureusement pas plus su ouvrir la voie à un embryon de défense euro- péenne que les réunions du Conseil euro- péen du 3 février ou du 6 mars. Il a seule- ment pu constater combien peu nombreux sont les soldats européens susceptibles d’être envoyés en Ukraine, soit de l’ordre de 25 à 30.000, dont dix mille Français et dixmille Britanniques, ce qui correspond aumaximumde force pro- jetable immédiatement européenne estimé par M. Hollande en 2013. C’est très en retrait par rapport aux ambitions affichées par le Conseil européen à Helsinki en décembre 1999 : une capa- cité autonome de défense de 50 à 60.000 hommes, disponible dans un délai de 60 jours et pen- dant un an au moins, capable d’effectuer les missions de Pe- tersberg ; il décide de faire de l’Eu- rocorps des Rapid Reaction Force Headquarter. A la fin du mois, Poutine a assuré les fonctions de président de la Fédération de Russie par intérim. Il se souvient parfaitement que jamais les dirigeants européens n’ont concré- tisé cette déclaration d’intention. Les dirigeants européens ne savent aujourd’hui même pas s’accorder sur l’exemption des dé- penses militaires des contraintes du pacte de sta- bilité, alors qu’ils disent vouloir que nous passions en « économie de guerre », mais ne passent pas des paroles aux actes. Ils n’arrivent même pas à s’accorder sur une politique d’acquisition cohé- rente, certains se fournissant de préférence auprès de l’industrie américaines, tandis que d’autres voudraient jeter les bases de l’autonomie straté- gique européenne. Le 27 août 2011, dans un interview au magazine Der Spiegel , la ministre allemande du Travail, M me von der Leyen, a appelé à un développement de l’Union politique en Europe. «Mon objectif est de créer des États-Unis d’Europe - sur le modèle des États fédéraux suisse, allemand ou américain », a- t-elle déclaré, car unemonnaie commune ne suffit pas pour s’imposer dans la concurrence mon- diale ; pour cela, il faut une Union politique. (3) Ma- nifestement, après cette déclaration, M me Merkel lui a lavé le cerveau, car M me von der Leyen n’est plus fédéraliste. Aujourd’hui présidente de la Commission euro- péenne, elle ne veut pas d’une défense commune, elle propose d’utiliser la clause dérogatoire nationale de l’art. 26 du Pacte de stabilité pour aider les États à faire passer leurs budgets de dépense, sans même insister sur la nécessité d’achats en com- mun, d’intégrations ou d’uniformisation de la pro- duction pour réduire un peu le gaspillage. Les dirigeants européens parlent de défense euro- péenne, mais ne s’entendent pas sur la question de savoir s’ils préconisent une organisation suprana- tionale limitée et lemaintien des armées nationales ou une armée unique du type Bundeswehr. Ils n’abordent même pas la question de la mise en place préalable, dans l’un et l’autre cas, de l’indis- pensable puissance publique européenne. Heureusement, au sein du Parlement européen, certains commencent à prendre conscience de ces problèmes. Pas moins de 42 eurodéputés ont co- signé une tribune parue le 5 mars dans Libération , intitulée « L’Europe doit prendre sa défense en main, sans dépendance étrangère. » (4) Ce texte col- lectif a le mérite d’affirmer notamment : « Dépen- ser plus pour acheter des armes ne suffit pas : encore faut-il que cet argent garantisse une auto- nomie stratégique » et « il manque une volonté po- litique claire et assumée ». Ce soutien à notre base industrielle de défense, qui devrait effectivement disposer desmoyens qui lui permettraient de nous rendre autonomes, doit être salué. Toutefois, pour qu’une politique indus- trielle de défense soit pertinente, il faut préalable- ment définir une politique de défense, ce qui nécessite un État européen. La chaîne de comman- dement d’un système collectif de défense repose toujours sur un État. Or, l’Union n’est qu’une as- sociation d’États, qui presque tous s’en remettent à l’OTAN pour leur défense. Depuis 1949, les Al- liés européens admettent qu’au sommet de la chaîne de commandement de l’OTAN se trouve le président des États-Unis d’Amérique. C’est lui, le chef des armées de l’OTAN. Leur statut de protégés a conduit les États euro- péens à répondre positivement aux Américains lorsqu’ils ont invoqué l’article 5 du Traité de l’At- lantique Nord après les attentats du 11 septembre 2001, alors que ceux-ci avaient refusé d’intervenir aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne, lors de la crise de Suez en 1956. Certains craignent un nouveau refus au cas où un État européen de plus serait agressé, ce qui renforce le souhait d’une autonomie stratégique plus forte. L’Europe devrait pour ce faire disposer de capa- cités militaires suffisantes pour dissuader tout agresseur et maîtriser la chaîne de production de matériel de guerre, y compris les pièces détachées et les munitions, pour assurer la sécurité d’appro- visionnement. Cependant, la défense n’est pas qu’un ensemble de systèmes d’armes, la dissua- sion non plus. Pour dissuader, il faut persuader l’agresseur potentiel que l’on va riposter d’unema- nière dévastatrice en cas d’attaque. Or, celui-ci sait que pour prendre la responsabilité de l’usage de la force, un décideur européen doit être légitime car démocratiquement élu. Déjà au début des années 2000, Poutine ne croyait pas que le président Chirac allait risquer Lyon, Bordeaux ou Marseille pour protéger Tallin, Riga ou Vilnius. Il estimait que la dissuasion française ne pouvait servir qu’à sanctuariser l’hexagone. Nous ne voyons pas ce qui aurait pu entretemps le faire changer d’avis. Il manque à l’Europe ce qui est essentiel : l’unité de commandement politico- militaire. Comme l’avait constatéHenry Kissinger au début des années 1970, on ne sait pas quel n° de téléphone appeler en Europe. Sur les 1,5 millions de soldats européens d’active, seuls 20.000 peuvent sur court préavis être dé- ployés en opérations de haute intensité, mais avec des munitions seulement pour quelques jours. Seuls 300.000 pourraient en quelques mois être équipés et entraînés pour offrir une certaine résis- tance, mais pour combien de temps ? Les Ukrai- niens, qui sont dix fois moins nombreux que les Européens, tiennent depuis onze ans, et résistent depuis trois années à des attaques de haute inten- sité, grâce à une force opérationnelle de 600 à 700.000 soldats, qui serait bien moins efficace si elle n’avait pas un commandant politico-militaire unique mais un conseil des oblasts. L’Europe dis- pose d’une trentaine de commandants politico- militaires., qui garantissent l’inefficience de nos plantureuses dépenses de défense. Il est grand temps qu’advienne la fédération an- noncée le 9 mai 1950 par Robert Schuman. Elle seule pourrait assurer notre sécurité et notre dé- fense, à un coût raisonnable. Les dirigeants de l’Union européenne et des États membres n’en prennent pas le chemin, les réu- nions à géométrie variable de ces dernières se- maines le montrent à suffisance. Certaines étaient d’ailleurs informelles, d’autres non, comme le Conseil européen du 6 mars. La lecture de ses conclusions est éclairante ; il a souligné, s’est féli- cité, a pris acte, invité, identifié la première liste de domaines d’action prioritaires, rappelé que l’OTAN reste le fondement de la défense collec- tive, constaté que le Conseil n’est pas unanime et décidé – tout de même - de revenir sur cette ques- tion lors de ses réunions du 20 mars et de juin. Le Conseil européen est donc incapable de dissuader quelque candidat agresseur que ce soit. Les 42 eurodéputés ont raison : ce qui manque, c’est effectivement une volonté politique claire et assumée. Nous espérons vivement qu’ils inter- viendront auprès de quelques chefs de gouverne- ments de petits États pour qu’ils lancent, sur le modèle des zones Schengen et euro, le processus fédératif de l’Europe, car nos quelques puissances moyennes en sont toujours à tenter de se faire re- connaître comme le seul leader de l’Europe. 1)TimMartin,«GermanChancellor’spushbackatVancebrings US-EurotensionsintothepublicatMunich»in BreakingDefense , https://lc.cx/Z4IZMk ,15/2/2025. 2) Voir sn, « Guerre en Ukraine. Après la “trahison de Trump”, les Européens préparent un “sommet d’urgence” à Paris » in Courrier international ,https://lc.cx/58NecX ,16février2025. 3) Voir sn, « Von der Leyen fordert die Vereinigten Staaten von Europa»in DerSpiegel ,https://lc.cx/_HjiPg ,27.August2011. 4) Voir sn, « L’Europe doit prendre sa défense en main, sans dépendance étrangère » in Libération , https://lc.cx/Y9KuWz , 5 mars 2025. Du nouveau Munich à une Fédération européenne !
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