AGEFI Luxembourg - juillet août 2025

AGEFI Luxembourg 10 Juillet / Août 2025 Économie ParOliver R. HOOR, ATOZTaxAdvisers * L e 22 décembre 2021, la Commission européenne a émis une propositionde directive (« la PropositiondeDirective », également dénommée la « propositionUnshell ») établissant des règles pour éliminer l’uti- lisation abusive de sociétés écrans (« shell entities ») à des fins fis- cales. Depuis sa publication, la PropositiondeDirective a été à l’origine d’une grande incer- titude juridique en raisonde ses concepts imprécis et de ses indicateurs de substance ambi- gus.Après plusieurs années de discussions entre laCommission européenne et les délégations des États membres de l’UE, la PropositiondeDirective a finalement été abandonnée le 20 juin 2025. Lanotiondesubstancedessociétésatoujoursoccupé une place centrale en fiscalité internationale, notam- ment dans le cadredes investissements et des opéra- tionstransfrontalières.Toutefois,sonimportances’est accentuée avec le développement du projet BEPS (érosionde la base d’imposition et transfert de béné- fices) de l’OCDE, qui a mis l’accent sur la substance et la transparence comme piliers de la lutte contre l’évasion fiscale. Le projet BEPS de l’OCDE a profondément trans- formé le paysage fiscal mondial. Au sein de l’Union européenne, deux directives majeures (ATAD et ATAD2) ont étéadoptées, imposant auxÉtatsmem- bres la mise en œuvre de mesures anti-abus telles que la limitation de la déductibilité des intérêts, le traitement des dispositifs hybrides et les règles rela- tives aux sociétés étrangères contrôlées (« SEC»). Parailleurs,lesconventionsfiscalesbilatéralesontété modifiées via l’instrument multilatéral (« IM »), en vue d’intégrer diverses dispositions anti-abus telles quelecritèredel’avantageprincipal( principalpurposes test , «PPT»). En parallèle, afin d’accroître la transpa- rence, la série des directives «DAC » sur la coopéra- tion administrative a renforcé les exigences de trans- parence, la directive DAC6 imposant notamment la déclaration des transactions potentiellement agres- sives en matière d’impôt sur les sociétés. Ainsi, les autoritésfiscalesdesÉtatsmembresdel’UEdisposent déjàd’unarsenalcompletderèglesanti-abusetd’obli- gations déclaratives qui devraient leur permettre de détecter tout abus résiduel. Dans ce contexte, il était légitime de s’interroger sur la nécessité réelle de la PropositiondeDirective. Cependant,cetteinitiativeaétémotivéeparlaposition de laCommissioneuropéenne selon laquelle les enti- tésjuridiquesayantpeuoupasd’activitééconomique ou de substance représentaient un risque persistant d’être exploitées à des fins de planification fiscale agressive. Le présent article donne un bref aperçu de la Proposition de Directive et de la législation anti- abus que les États membres de l’UE peuvent appli- quer pour lutter contre les sociétés écrans. La (finde la) Proposition deDirectiveUnshell Champd’applicationde laPropositiondeDirective Unshell LaPropositiondeDirective visait à s’appliquer à l’en- semble des entités considérées comme résidentes fis- cales dans un État membre, et susceptibles d’obtenir un certificat de résidence fiscale, indépendamment de leur forme juridique.Dans le cadredumécanisme de déclaration envisagé, l’identification des entités dépourvues de substance aurait reposé sur une série de tests, pouvant, dans certains cas, nécessiter une analyse approfondie. Déterminationdes entités à risque Lors de l’analyse visant à déterminer si une entité constituait une société écran dans le cadre du régime de déclaration proposé, la première étape aurait consisté àvérifier si l’entité était exemptéedes obliga- tions déclaratives. Le régime proposé prévoyait un certainnombre de dérogations. Deuxièmement, dans le cadre du régime proposé, une entité n’aurait eudes obligations de déclaration que si elle remplissait cumulativement trois critères d’entrée. Ces critères consistaient en trois tests concernant : (i) les revenus pertinents (seuil de 75%) ; (ii) les activités transfrontalières (seuil de 60%) ; et (iii) lagestiondesopérations courantesde l’entitéet la prise de décision relative aux fonctions importantes. L’entitén’auraitététenuedeseconformerauxobliga- tions de déclaration dans sa déclaration d’impôt sur les sociétés que si les trois critères étaient remplis. Obligations de déclaration Aprèsavoirsatisfaitauxcritèresd’entrée,l’en- tité aurait dû indiquer des indicateurs de substance minimale spécifiques dans sa déclarationd’impôtsurlessociétés.Cesindi- cateurs comprenaient la possession de ses propres locaux dans son État de résidence, la disposition de locaux réservés à son usage exclusif, lapossessiond’un compte ban- caire actif dans l’UE et le respect decertainesexigencesconcer- nant les administrateurs de lasociété.Cesindicateursde substance minimale étaient tous incompatibles avec le droit communautaire, tel qu’il a été interprété par la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») dans plusieurs décisions. Lorsque tous ces indicateurs étaient remplis, l’entité n’étaitpasconsidéréecommeunesociétéécran.Dans le cas contraire, il existait uneprésomption réfragable que l’entité était une société écran.Dans ce cas, l’entité pouvait renverser cette présomption en fournissant des éléments de preuve supplémentaires, au cas par cas, pour démontrer qu’il ne s’agissait pas d’unmon- tage entièrement artificiel. Les entités pouvaient demander à être exemptées des obligations dedécla- ration si elles pouvaient démontrer qu’elles ne rédui- saient pas la charge fiscale de leur(s) bénéficiaire(s) effectif(s) oudugroupe dans son ensemble. Dans le cadre du régime proposé, les Étatsmembres auraient été obligés d’échanger, en temps utile, des informations complètes sur les entités soumises à déclaration et sur les entités qui renversaient la pré- somption de manque de substance minimale ou qui étaient exemptées des obligations prévues par la PropositiondeDirective. Conséquences fiscales pour les sociétés écran Vue d’ensemble La classificationd’une entité en tant que société écran aurait entraîné des conséquences fiscales considéra- bles tant dans l’État de résidence de l’entité que dans les autres États membres concernés. Il est intéressant de noter que toutes les conséquences fiscales décrites dans la Proposition de Directive existaient déjà dans les législations fiscales des Étatsmembres de l’UE. Conséquences fiscales dans l’État de résidence de l’entité Lorsqu’une entité était qualifiée de société écran en vertu de la Proposition de Directive, les autorités fis- cales de l’État membre dans lequel l’entité a sa rési- dence fiscale n’auraient pas délivré de certificat de résidence fiscale ou auraient délivré un certificat assorti d’unemise engarde. Conséquencesfiscales dans les autresÉtatsmembres de l’UE La Proposition de Directive proposait également des conséquencesfiscalesquiauraientdûêtreappliquées dans d’autres Étatsmembres. - Non-application des directives et conventions fiscales Les États membres dans lesquels la société écran investissait ou exerçait des activités commerciales (autresquel’Étatmembredanslequellasociétéécran est résidente) auraient dû écarter (la mise en œuvre nationale de) la directive mère-filiale (Directive 2011/96/UE)etladirectivesurlesintérêtsetredevances (Directive 2003/49/CE) ainsi que la convention fiscale conclue avec l’État de résidence de la société écran. Par conséquent, la société écran n’aurait pas été en mesure de réclamer des taux de retenue à la source réduits ou nuls sur les dividendes, les intérêts et les redevances sur la base de lamise enœuvre nationale desdirectiveseuropéennessusmentionnéesoud’une convention applicable (avec l’État membre dans lequel le payeur est résident à des fins fiscales) ainsi qued’autresavantagesfiscauxprévusparcesconven- tions fiscales. (1) - Non prise en compte de la société écran La qualification de l’entité en tant que société écran aurait également entraîné des conséquences fiscales pourlesactionnairesdel’entité,dansleursÉtatsmem- bresrespectifs.Plusprécisément,leoulesactionnaires auraient dûdéclarer les revenusde l’entité conformé- ment aux règles fiscales nationales de l’actionnaire, comme si ces revenus avaient été perçus directement parl’actionnaire.Cettedispositionétait,danssoneffet, largementsimilaireàlarèglesurlessociétésétrangères contrôlées(«SEC»)miseenœuvreparlesÉtatsmem- bres conformément à la directiveATAD. - Revenus provenant de biens immobiliers Lorsqu’une entité écran possède des biens immo- biliers situés dans un État membre, cet État mem- bre aurait dû imposer ces biens comme s’ils appar- tenaient directement aux actionnaires de l’entité, conformément à son droit fiscal interne. Si une convention fiscale conclue entre l’État de résidence du ou des actionnaires et l’État membre dans lequel le bien immobilier est situé s’applique, les conventions fiscales allouent fréquemment un droit d’imposition primaire illimité à l’État dans lequel est situé le bien immobilier. Développements concernant la Proposition de Directive Unshell La Proposition de Directive a créé une incertitude juridique importante, ce qui a incité certains inves- tisseurs et entreprises à envisager de réorganiser leurs investissements. Cette incertitude a persisté tout au longdes années 2022 à 2025, laCommission européenne et les délégations des États membres de l’UE n’étant pas parvenues à un accord. Face à cette impasse, la présidence espagnole, qui soute- nait cette initiative, a fait deuxpropositions au cours du second semestre 2023 pour répondre auxpréoc- cupations de certaines délégations. Tout d’abord, étant donné que de nombreuses délégations semblaient particulièrement opposées aux conséquences fiscales qui découleraient de la qualification en tant que société écrandans le cadre du régime proposé, la présidence espagnole a sug- géré demettre enœuvre un régime de déclaration dans un premier temps et de discuter des consé- quences fiscales par la suite. Toutefois, les délégués des Étatsmembres ont semblé voir clair dans cette stratégie de négociation et ont rejeté la proposition. Deuxièmement, il a été proposé d’introduire des exigences minimales en matière de substance qui correspondaient largement aux indicateurs de substance minimale inclus dans la Proposition de Directive. Selon cette proposition, les États mem- bres de l’UE auraient été libres d’établir des exi- gences supplémentaires en matière de substance. Toutefois, étant donné que les exigences de base enmatière de substance étaient déjà incompatibles avec le droit communautaire tel qu’interprété par la CJUE, autoriser des exigences supplémentaires en matière de substance aurait techniquement incité les États membres de l’UE à ne pas respecter le droit communautaire. Aucune de ces propositions n’a abouti à un accord entre toutes les parties avant la fin du second semestre 2023. Par la suite, l’initiative a perdubeau- coupde son élan, malgré la pressionpolitique exer- cée par la Commission européenne pour parvenir à une solution. Le 20 juin 2025, le Conseil des Affaires écono- miques et financières de l’Union européenne (« ECOFIN ») a annoncé que de nombreuses délé- gations estimaient désormais que les objectifs de la Proposition de Directive pouvaient être atteints grâce à des clarifications ou à des modifications des marqueurs prévus dans DAC6. Par consé- quent, il a été décidé que l’analyse de la Proposition de Directive Unshell ne serait pas poursuivie au niveau du Conseil. Législation anti-abus existante et obligations de déclaration Les exigences en matière de substance peuvent découler de plusieurs dispositions anti-abus inté- grées dans les législations fiscales nationales ainsi que dans les conventions fiscales bilatérales conclues par les États membres de l’Union euro- péenne. En outre, la notion de substance peut éga- lement être pertinente pour déterminer d’éven- tuelles obligations déclaratives dans le cadre du régime de communication obligatoire (« DAC6 »). Dispositions anti-abus prévues par le droit fiscal national Généralités De nombreux pays d’Europe (et du monde entier) ont adoptédifférents types de règles anti-abus dans leur législation fiscale nationale. La législation anti- abus s’étend des règles générales anti-abus (« GAAR ») aux dispositions qui ciblent des situa- tions d’abus spécifiques. Ces règles ont en commun de subordonner la reconnaissance des sociétés étrangères ou l’octroi d’avantages fiscaux à la condi- tionque certaines exigencesde fondsoient remplies. Les règles anti-abus des conventions fiscales et des directives Les règles contre le chalandage de directives et de conventions préventives de double impositionper- mettent aux autorités fiscales de remettre en ques- tion l’application de taux de retenue à la source réduits ou nuls sur les dividendes, les paiements d’intérêts et les redevances – sur la base des direc- tives de l’UE (c’est-à-dire la directive européenne concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales (2) , « PSD » et la directive européenne concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de rede- vances effectués entre des sociétés associées d’États membres différents (3) ) ou sur la base des conven- tions fiscales – si le bénéficiaire du revenu ne rem- plit pas des conditions de substance spécifiques. (4) Dans de nombreux cas, ces législations condition- nent l’application de taux de retenue à la source réduits ou nuls à la condition que le bénéficiaire du revenu en soit le bénéficiaire effectif. Règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées D’autres dispositions anti-abus pouvant constituer une source d’exigence enmatière de substance sont les règles relatives aux sociétés étrangères contrô- lées (« SEC »), qui visent à limiter l’utilisation de filiales établies sur un territoire à faible taux d’im- position (les « base companies ») pour réduire (ou dumoins différer) l’imposition dans l’État de rési- dence de la sociétémère en transférant les revenus à la filiale. (5) Les règles SECont été introduites dans les Étatsmembres de l’UEdans le cadre de la trans- position de l’ATAD afin d’attribuer, sous certaines conditions, les revenus des filiales étrangères à fai- ble imposition à leur sociétémère, que la filiale dis- tribue ou non ces bénéfices. Règle anti-abus générale L’implication des sociétés étrangères peut égale- ment être contestée sur la base des règles anti-abus générales (« GAAR ») si les autorités fiscales peu- vent démontrer qu’un investissement est simple- ment motivé par l’obtention d’avantages fiscaux ou si le choix d’instruments juridiques spécifiques constitue un abus de droit. (6) La directive européenne établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale (« ATAD ») a obligé les États membres de l’UE à mettre en œuvre une GAAR au 1er janvier 2019. Selon cette disposition, « les États membres ne prennent pas en compte un montage ou une série demontages qui, ayant étémis en place pour obte- nir, à titre d’avantage principal ou au titre d’un des avantages principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable, ne sont pas authentiques compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents.» Cesmontages sont considérés comme non authen- tiques dans la mesure où ils ne sont pas mis en place pour desmotifs commerciaux valables reflé- tant la réalité économique. Dispositions anti-abus des conventions fiscales Généralités Les conventions fiscales peuvent comporter un certain nombre de dispositions anti-abus. Toutefois, les exigences en matière de substance peuvent principalement être fondées sur le critère de l’avantage principal (PPT) et sur la notion de bénéficiaire effectif. Critère de l’avantage principal Selon le PPT, un avantage (7) au titre d’une convention préventive de la double imposition ne sera pas accordés’ilestraisonnabledeconclurequel’obtention decetavantageétait«l’undesavantagesprincipaux» d’un montage ou d’une transaction, à moins que le contribuable soit en mesure d’établir que l’octroi de cet avantage serait « conforme à l’objet et aubut »des dispositions pertinentes de la convention. (8) Le PPT a été élaboré dans le cadre des travaux de l’OCDE relatifs à l’Action 6 du Projet BEPS, lequel visait à remédier aux abus des conventions fiscales. Le PPT est inclus dans le paragraphe 9 de l’article 29 de la version 2017 duModèle de Convention fis- cale de l’OCDE et constitue l’un des éléments du standard minimum prévu par l’instrument multi- latéral (« IM »), lequel résulte des travaux de l’OCDE sur l’Action 15 du Projet BEPS qui visait à permettre une mise en œuvre rapide des mesures relatives aux conventions fiscales issues du Projet BEPS, telles que le PPT. Selon les indications de l’OCDE, le PPT requiert une analyse approfondie de tous les faits et cir- constances de chaque cas afin de déterminer si l’obtention de l’avantage constituait une considé- rationprincipale et aurait justifié la conclusiond’un accord ou d’une transaction ayant entraîné l’avan- tage. Ainsi, les autorités fiscales ne devraient pas pouvoir aisément conclure que l’un des avantages principaux était d’obtenir des avantages en vertu d’une convention fiscale. La substance est égale- ment un élément à prendre en compte pour ana- lyser si le PPT est respecté ou non.. Le concept de bénéficiaire effectif La notion de « bénéficiaire effectif » joue un rôle de premierplandanslecontextedesconventionsfiscales. Suite enpage de droite La fin de la directive « Unshell » (ATAD 3) : Un cheval mort ne gagne pas la course

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