Mensuel : Edition de juillet 2006
Rubrique : Assurances
Titre : Pourquoi les institutionnels ont-ils du mal à voter aux AG ?
Article : C'est un comble : alors que les investisseurs institutionnels se voient régulièrement reprocher de ne pas voter aux assemblées générales, ce n'est pourtant pas l'envie qui leur en manque. Dans bien des cas, ils n'y arrivent tout simplement pas! Compte tenu des nombreuses sociétés présentes dans leur portefeuille, les investisseurs qui ont fait le choix de voter ne peuvent se rendre physiquement à toutes les assemblées générales. La plupart ont donc recours au vote par correspondance.

Si beaucoup se contentent d'envoyer leurs pouvoirs à la direction, c'est que la procédure pour pouvoir voter en toute connaissance de cause ressemble à un vrai parcours du combattant. "Les délais sont très courts. Du coup, certains ne disposent parfois que de quelques heures pour voter!", souligne Patrick Viallanex, vice président du directoire d'AGICAM (Groupe AG2R et responsable du groupe de travail dédié à l'exercice du droit de vote à l'af2i (Association française des investisseurs institutionnels). La première étape de ce parcours semé d'embûches commence par la réunion des informations.

Chaque investisseur doit d'abord recenser les différentes sociétés pour lesquelles il va voter. Un exercice beaucoup moins simple qu'il n'en a l'air : selon la taille de l'institution (caisse de retraite, institutions de prévoyance. mais aussi société de gestion), le nombre de participations peut être de plusieurs centaines, voire plus chez les plus grands !

"Dans les sociétés de gestion, la décision de participer à telle ou telle assemblée peut être prise par un comité ad hoc, par le dirigeant, au cas par cas... La sélection s'effectue en fonction des seuils de détention en pourcentage des droits de votes, en montant de capital détenu., indique Katia Chauprade, responsable du groupe de travail à l'AFG. Les sociétés de gestion peuvent également utiliser des critères de nationalité des émetteurs ou de nature de la gestion des fonds (gestion indicielle, gestion alternative.)."

Ensuite, il faut recueillir auprès de chacune des entreprises concernées, les informations nécessaires au vote (bulletin, présentation des résolutions, etc.). L'ennui, c'est que les entreprises se limitent trop souvent au délai minimum légal et ne fournissent ces informations que 15 jours avant l'assemblée, ce qui laisse peu de temps à l'investisseur pour analyser chacune des résolutions. Le sens du vote peut être d'autant plus difficile à déterminer qu'il peut varier au sein d'un même groupe, en fonction de la culture des différentes entités qui le composent (retraite, assurance-vie, prévoyance, épargne salariale, etc.).


Une signature manuelle

Une fois la décision prise, les documents doivent être remplis à la main, la signature, sur papier, du bulletin restant obligatoire. Après quoi ceux-ci doivent être envoyés au bon dépositaire. Un investisseur, qui gère plusieurs lignes d'un même groupe du CAC 40 pour le compte de différentes institutions, devra ainsi envoyer ses intentions de vote à chacun des banquiers dépositaires correspondants.

Ces derniers expédient ensuite les votes au banquier centralisateur de l'entreprise qui les lui fera parvenir. Ce lourd processus est répété pour chaque société dans laquelle le gérant est investi dans un délai restreint puisque l'investisseur doit respecter la date limite, généralement deux à trois jours avant l'AG, fixée par l'entreprise pour les votes par correspondance.

L'investisseur n'a toutefois pas intérêt à réclamer plus tôt l'information nécessaire auprès de l'entreprise. En effet, dès qu'il effectue cette démarche, il enclenche la procédure pour l'exercice de son vote et ses titres se trouvent alors bloqués jusqu'à la tenue de l'AG ! Si une loi de 2002 a tenté d'assouplir le système en accordant la possibilité à l'investisseur de céder ses titres avant l'assemblée, dans les faits, il n'a pas interêt à le faire car il met fin au processus du vote. "Il s'agit d'un blocage implicite des titres", indique Patrick Viallanex. Pour assouplir le processus, l'AMF devrait prochainement imposer, sur le modèle anglo-saxon, une "record date" ou date d'enregistrement des titres 3 jours avant l'assemblée générale. Les investisseurs pourront céder leurs titres dans ces 3 jours, et seront néanmoins toujours considérés comme actionnaires le jour J. Cette date d'enregistrement sera cohérente avec la loi sur le transfert de propriété des titres, selon laquelle la propriété d'un titre ne devient effective seulement 3 jours après son acquisition. "Nous sommes favorable au principe d'une "record date" c'est-à-dire d'une photographie de l'actionnariat avant l'AG, qui permet, si on le souhaite, de céder ensuite nos titres.

Cependant, une date d'enregistrement à J-3 ne nous laisse pas suffisamment de temps pour exercer convenablement notre vote, déclare Patrick Viallanex. Il faudrait appliquer, comme dans certains pays, une date d'enregistrement à J-30. Pour cela, il faudrait accepter que les investisseurs votant par correspondance ne soient pas forcément actionnaire le jour de l'AG". Avec le risque de se retrouver alors avec plus de votes que de titres correspondants.
La nécessité d'informatiser le système

En attendant, la procédure pourrait être également allégée si, lors de ces différentes étapes, tous les intermédiaires utilisaient plus systématiquement la voie électronique. Mais les développements informatiques sont très coûteux. Aujourd'hui, si une entreprise veut que son vote soit facilité, elle doit financer elle-même l'informatisation du processus. Le recours à l'informatique s'effectue essentiellement par le biais des "Proxy Voting Provider" (PVP). Ces cabinets de conseil en politique de vote pour les investisseurs institutionnels mettent en place des plates-formes informatiques greffées au sein de l'outil informatique du dépositaire.

"Cependant à ce jour, il n'existe pas de norme standard pour ces plates-formes, ce qui limite leur développement", indique Patrick Viallanex. L'utilisation de différents types bulletins ralentit également le traitement des informations. "Si le format pour le bulletin standard est l'AFNOR, l'entreprise peut choisir un autre format pour imprimer son bulletin de vote. Il faudrait une uniformisation des bulletins afin de permettre une industrialisation du système", affirme Eric Borremans, responsable de la recherche gouvernance et développement durable, chez BNP Paribas Asset Management. Le développement de la signature électronique nécessitera avant tout un investissement de la part des banques: "elles ont des efforts de modernisation à faire, assure un investisseur. Les établissements dépositaires et centralisateurs ont un rôle clef à jouer dans la modernisation des AG."A terme, l'informatisation de la procédure pourrait peut-être aussi remédier à une autre de ses carences : l'absence de retour sur l'exercice du droit de vote.

L'investisseur ne sait jamais en effet si son vote a bien été enregistré, et n'a aucune information de la part de l'entreprise sur le détail de tous les votes ou sur le résultat final ! "Il faudrait améliorer la sécurité du dépouillement, préconise-t-on chez un grand assureur. Parfois, lorsque nous confrontons nos notes entre investisseurs, nous nous demandons s'ils ont vraiment été pris en compte : le résultat ne correspond pas!" La question du retour du vote est actuellement à l'étude au niveau européen mais elle ne devrait pas déboucher sur une directive avant deux à trois ans.

Source: AOF

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